lundi 28 février 2011 - par
Une couverture de Paris-Match pro ou anti-DSK ?
Se prêtant apparemment au plan-média électoral de M. Strauss-Kahn, Paris-Match a choisi cette semaine de lui réserver sa couverture. Rien d’autre apparemment ne la méritait : le chambardement qui, après 40 ans de tyrannie, met le dictateur Kadhafi et son régime les quatre fers en l’air, n’a droit qu’à une mention discrète en marge. Seul Gainsbourg, l’épave naufragée il y a vingt ans, a droit à un traitement avec photo pour rappeler, comme si c’était urgent, le tombeur de ces dames qu’il était, par cette légende : « Gainsbourg et les femmes ».
1- Le refus de l’instantané extorqué simulé
La photo du couple Strauss-Kahn-Sinclair toutefois surprend tant justement elle ne vise pas à surprendre : la pose la plus banale et conventionnelle qui soit, paraît avoir été, en effet, sciemment recherchée. On le mesure en la comparant à la photo en couverture de VSD, parue en octobre 2008 : le couple indifférent à l’objectif paraissait alors avoir été surpris déambulant dans la rue. Ce leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée feignait de gommer toute mise en scène pour rendre l’information plus crédible comme si l’instantané avait été extorqué à l’insu et/ou contre le gré du couple alors que la pose avait été savamment composée avec lui.
2- Le choix de la pose la plus banale
Cette fois, pour Paris-Match, le couple Strauss-Kahn-Sinclair a renoncé à ce leurre : sans doute est-ce pour écarter la duplicité que révèle ce genre de mise en scène masquée. Et puisque toute photographie est mise en scène, il a préféré la pose conventionnelle la plus simple, à la bonne franquette, qui ne la dissimule pas : pour qui veut paraître n’avoir rien à cacher, elle a le mérite d’être plus franche.
Pris en plan moyen, le couple se présente souriant de face en amoureux. La première métonymie de l’époux enveloppant de son bras l’épaule de son épouse manifeste l’attachement indéfectible qu’il lui voue, et qu’elle lui rend bien en inclinant légèrement la tête vers lui. La seconde métonymie de leur sourire est l’effet de leur entente sans nuage et de leur bonheur. Afin que nul n’en doute, selon le procédé de l’image mise en abyme qui instaure un simulacre de relation interpersonnelle, ils fixent même des yeux le lecteur pour le prendre à témoin de l’harmonie de leur relation : ne saute-t-elle pas aux yeux ? Qui pourrait contredire ?
3- La promotion de l’image contraire de soi
La banalité de la pose par paradoxe va, cependant, jusqu’à faire oublier l’apprêt de la mise en scène que néanmoins elle comporte. Est, en effet, effacé soigneusement tout luxe ostentatoire chez ce couple réputé pour sa richesse. Vêtements et décor sont autant de métonymies de la sobriété et de la simplicité : lui porte un costume cravate ordinaire, elle, une sobre veste noire à col ouvert et manches retournées blancs sur un modeste haut noir. Le décor choisi pour la photo est tout aussi discret. Ce n’est certes pas un appartement HLM, mais on ne trouve trace ni de lambris, ni de rideau de velours, ni de dorure ; l’arrière plan ne livre que des allusions de l’aisance : le couple est photographié, semble-t-il, dans un intérieur près d’une baie ouverte sur un jardin boisé mais sans qu’on puisse en jauger le luxe.
Par intericonicité, ce type de photo conventionnel fait penser à celle d’un vieux couple prise par un de ses enfants ou un ami de passage à l’occasion d’une rencontre.C’est précisément la banalité de leur couple que les Strauss-Kahn paraissent vouloir promouvoir. En fait, ils tendent à faire croire le contraire de ce qu’ils sont :
1- ils jouent, d’une part, les aisés modestes alors qu’ils sont fortunés : lui perçoit un salaire mirifique de directeur du FMI et elle est une riche héritière. Ce premier leurre du couple aisé mais sans ostentation vise ainsi à correspondre à l’attente de tous ceux qu’indispose l’exhibition clinquante du luxe, chère à l'actuel président en fin de mandat.
2- Lui, d’autre part, à la réputation d’époux volage pour avoir défrayé la chronique en octobre 2008 par un harcèlement sexuel sur son lieu de travail selon le témoignage d’une employée hongroise du FMI (2), s’exhibe en mari aimant avec une femme tout aussi aimante. Ce second leurre du couple fidèle vise, cette fois, à stimuler un réflexe d’adhésion dans une part de l’électorat conservateur attaché aux valeurs d’une société fondée sur l’institution du mariage.
Une affiche électorale détournée ?
Dans ce contexte, on en vient alors à s’interroger sur la juxtaposition insolite de la photo du couple Strauss-Khan-Sinclair et de celle de Gainsbourg célébré par la légende comme un coureur dans le coin supérieur droit de la couverture. Ce rapprochement est-il fortuit ou tient-il du détournement ironique d’affiche ? Les deux légendes, de construction syntaxique identique, se font écho et s’opposent par le pluriel et le singulier : « Gainsbourg et les femmes » - « DSK et Anne Sinclair ». Tant de symétrie n’invite-t-elle pas par allusion à la comparaison pour rappeler que cet homme qui se pavane au bras de sa légitime, partage avec Gainsbourg le même goût du vagabondage sexuel ? En lui offrant généreusement sa couverture aux airs d’affiche électorale, Paris-Match de M. Lagardère, ami de M. Sarkozy, n’embrasserait-t-il pas ainsi son adversaire pour mieux l’étouffer et le discréditer en lui permettant d' exhiber de lui l’image… de ce qu’il n’est pas ?
C'était bien la peine d'avoir choisi la mise en scène la plus banale et conventionnelle qui soit pour ne pas donner prise au soupçon de duplicité. Voici que cet artifice de mise en page gâche tout ! Les lecteurs de Paris-Match, éventuels électeurs, sont directement pris à témoin de la duplicité du candidat ! À bon entendeur salut ! Paul Villach
(1) Paul Villach, « Une couverture digne de VSD : le fou rire indigne des époux Strauss-Kahn-Sinclair », AGORAVOX, 27 octobre 2008.
(2) Paul Villach, « DSK, une candidature dangereuse ? », AgoraVox, 3 décembre 2010.
Marcelo Wesfreid, « Affaire DSK : la lettre qui accuse », L’Express, 17.02.2009.