Une façon délétère de faire de la physique
Mon premier souvenir d’une physique qui, hélas, semble assez répandue aujourd’hui, remonte à un cours de taupe...
Mon premier souvenir d’une physique qui, hélas, semble assez répandue aujourd’hui, remonte à un cours de taupe dans lequel on avait à résoudre un problème qui se résumait dans la recherche des zéros d’un déterminant nxn qui dépendait d’une variable u. Le professeur nous expliquant alors que pour trouver les zéros de ce polynôme de degré n, il suffisait de poser, l’équation se résolvait alors simplement. Oui, mais voilà, ramener la fameuse variable u à quelque chose qui varie entre -2 et +2 alors qu’a priori rien n’imposait à cette grandeur physique de rester dans cette plage, relevait d’un artifice de calcul fort douteux. Et les élèves de demander au professeur pourquoi on faisait cela… Et le professeur de répondre : « parce que ça marche ! ». Ayant fait 5/2 comme on dit, j’ai vécu l’événement deux années de suite, et je dois bien avouer que cela me fâcha un peu avec la physique qui, pour moi, avait une vocation supérieure à cela, celle d’expliquer comment marche le monde et ne pas s’exclamer simplement et, au final, niaisement, « ça marche » !
Je me suis alors plutôt orienté vers les mathématiques qui, elles, ne souffrent pas ce genre de souci. Certes, il y a des axiomes en mathématiques, ceux de Zermelo Fraenkel par exemple, mais le mathématicien a généralement l’honnêteté de dire que ce sont des axiomes, que l’on a le droit d’en choisir d’autres, bref, on a le droit, si l’on veut, de refaire le monde, de refaire son monde.
Le temps passant, je me suis dit que peut-être que j’étais parti d’un mauvais pied en physique et que, peut-être encore, cela venait de mon professeur, qu’après tout, le monde est vaste et que d’autres seraient plus rigoureux. Je me suis donc, sur le tard, intéressé à nouveau à la physique et j’ai pu l’apprécier depuis mon bagage mathématique qui s’était, entre temps, un peu étoffé. J’y ai alors trouvé des parties évidemment rigoureuses, disons, pour simplifier, ce qu’on appelle la physique newtonienne, celle de la mécanique classique. Paradoxalement, la théorie de la relativité est aussi cohérente et rigoureuse. Mais les choses s’arrêtent quelque peu là. Volontairement, dans ce texte court, je ne parlerai pas des équations de Maxwell par exemple, qui sont discutables à bien des égards et l’incursion d’Einstein dans le système n’a pas rendu les choses plus claires comme le lecteur qui voudra bien pourra s’en rendre compte en lisant l’approche particulièrement intéressante de Pierre Poubeau. Je me concentrerai donc sur la physique quantique qui est, probablement, la partie la plus moderne de la physique actuelle.
Je vais commencer par le livre de Walter Greiner, qui est une introduction à la physique quantique. Sans entrer dans le détail, dès le début, il a des nombres entiers qui, j’insiste, sont entiers. Pour arriver à ses fins, monsieur Greiner, dont l’ouvrage est par ailleurs excellent, considère des éléments de volume
. Rien que cela ! Comme si certains physiciens, manifestement au-dessus des lois des mathématiciens, pouvaient s’octroyer le droit de dériver des nombres entiers ! Encore Walter Greiner a-t-il l’honnêteté d’aller au bout de l’idée et de l’exprimer clairement. Dans le cours de l’X de physique quantique ou encore dans celui de Michel Le Bellac, on préfère noyer le poisson, mais, au final, ce qui est fait, sans officiellement dériver des nombres entiers, revient au même. On voit donc bien là un trait caractéristique des physiciens à vouloir justifier les moyens par la fin.
Mais cet exemple, somme toute anecdotique et en général, encore une fois, passé pudiquement sous silence dans les ouvrages en question, n’est pas le cœur du problème, il y a bien pis. Je prends, par exemple, le cours d’Albert Messiah, récemment réimprimé. Et j’y lis, en page 101, il n’est pas évident que les expressions (2) et (6) soient les seules que l’on puisse adopter en se fondant sur des arguments de ce genre. En fait, les quantités et
peuvent être en principe directement confrontées avec les résultats expérimentaux ; la justification des définitions (2) et (6) réside en définitive dans le succès de cette confrontation.
Ce texte datant de 1953, on aurait pu être en droit d’attendre quelques progrès aux vingtième et vingt-et-unième siècles. Regardons alors ce que nous dit le cours de l’X de Basdevant et Dalibard. On y lit, en page 14, la justification de l’équation de Schrôdinger réside dans ses conséquences. Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, elle donne des résultats en parfait accord avec l’expérience…
Et même le meilleur livre actuel, à mon avis, d’introduction à la physique quantique, celui de Michel Le Bellac, déjà cité, cède à cette tentation, hélas, de justifier les moyens par la fin avec toutefois, dans ce dernier cas, une tentative d’axiomatiser la physique quantique, ce qui, au moins pour un matheux, choque moins.
Au final, le physicien d’aujourd’hui semble ne pas chercher quels sont les fondements de la nature mais cherche, sur une plage bien définie, une sorte d’abaque qui lui permettra de prédire les phénomènes au mieux. Et je dis au mieux, car la physique quantique a, de plus, introduit un hasard intrinsèque dans la nature, Dieu en quelque sorte, qui va décider de savoir si la tartine beurrée tombera sur une face ou l’autre. Ce ne sont donc plus des physiciens qui s’occupent de physique mais des ingénieurs ! Peut-être cela est-il dû à l’air du temps qui veut que toute activité humaine soit monétisée et concoure à la pseudo-croissance économique ? Mais où sont passés les vrais physiciens, ceux qui rêvaient d’expliquer le monde et ses fondements ? Où sont passés les philosophes de la science de la nature, qui, depuis l’antiquité, s’étaient fixés un objectif de Savoir avec un grand S ?
Pourtant, les contradictions de la physique quantique ne manquent pas. Par exemple, on nous explique qu’une particule serait en réalité un paquet d’ondes dont la localisation est tellement difficile que l’on ne peut pas exactement savoir où elle est et quelle est sa vitesse. Mais, bizarrement, alors que les contours même de la particule sont flous, du fait même de sa consistance ondulatoire, elle a quand même une masse exacte, ou une charge exacte si elle est chargée. N’est-ce pas étrange ? Cela ne sonne-t-il pas faux ? N’y a-t-il pas là de quoi donner des cauchemars à un vrai physicien ?
Et quand on passe à l’intrication des particules dans leur description par un vecteur d’état dans un produit tensoriel d’espaces de Hilbert, on nous assène, sans rire, qu’avant la mesure de Bell, les particules qui forment un système quantique dont on sait décrire l’état, n’ont, elles, pas d’état physique. Cela revient, d’un point de vue mathématique, à supposer une sorte de complétion des axiomes de la mécanique quantique en contradiction évidente avec le théorème d’incomplétude de Gödel, mais, là encore, cela n’empêche, semble-t-il, personne de dormir…
Ainsi va le monde ! Il semble manifestement glisser lentement vers un âge sombre, celui du dogme et de l’ingénierie productive au détriment de la connaissance et de l’humanité. Combien de siècles ou de millénaires faudra-t-il attendre pour voir, enfin, le soleil se lever à nouveau sur la vraie science ?