mercredi 10 août 2011 - par Gabriel

Une journée à glander

Une journée à glander.

 Assis le cul dans l’herbe, je matais un couple de moineaux paradant près d’un étang. C’est marrant me dis je, ces piafs qui s’ébrouaient bruyamment ne faisaient pas fuir les batraciens qui bronzaient la nuque au soleil et le derrière dans l’eau, cohabitation des différences. La tête posée sur un nénuphar, une grenouille sommeillait d’un œil tout en guettant de l’autre l’insecte imprudent qui finira scotché sur sa langue. Une brise légère, simoun pyrénéen, ridait la surface liquide du point d’eau sans pour autant troubler la quiétude de ses résidents. Un anarchique écrin végétal encerclait le petit lac au trois quart. L’automne, précoce en cette année, avait déjà jeté son sang et sa rouille sur les feuilles et les troncs. Les arbres en feux admiraient leurs reflets volcaniques dans ce miroir naturel. L’étendu bleue verte, au milieu de cette palette arc en ciel, aurait certainement inspiré le vieux Cézanne. A la droite du point d’eau, les vestiges d’une petite chapelle finissait de mourir avec la naissance de ce siècle. L’hémorragie intemporelle de ses pierres avait formé des monticules désordonnés, abri de luxe pour reptiles et sauriens, que la mousse et le lichen s’étaient empressés de coloniser. Seul, et on ne sait par quel miracle, le clocher en équilibre sur les deux pans latéraux restant, continuait d’abriter une rangé de vieilles poutres que le temps dévorait. Entre la flaque démesurée et cette cathédrale pour lilliputiens, un saule pleurait ses branches sur une colonie de roseaux fièrement plantés dans la vase. Au lointain, telle une horrible balafre sur fond de ciel bleu, la centrale nucléaire de Golfech ruinait l’idyllique tableau. Vomissant ses vapeurs dans les airs, unique indice laissant espérer que le monstre avait son comptant d’eau fraîche et que son cœur ne se mettrait pas en colère.

 A mes côtés, le livre que je n’avais toujours pas ouvert gisait au milieu des reliefs d’un sandwich qu’un bataillon de fourmis avait pris pour acquit. Je prenais un certain plaisir à être le voyeur de ce spectacle, de ce paysage. La lecture de cette vie grouillante alentour, ignorant ma présence ou s’en accommodant, me faisait l’effet salutaire d’un demi somnifère ou d’une plante séchée qu’il est interdit de fumer.

 Depuis des millions d’années, l’imperturbable activité de la faune minérale, végétale et animale suivait sa progression, sa mutation, ignorant le pouvoir destructeur de l’humain en s’adaptant à ses catastrophiques résultats. C’est là, au milieu de ce calme que préconisait Pascal, que je pris conscience que rien ne pourrait arrêter la vie. L’homme pourra saccager, brûler, empoisonner, maltraiter la terre et ses frères, peut importe, la nature reprendra irrémédiablement ses droits. Nous ne sommes que des invités sur la planète et, à nous comporter en envahisseur, en conquérant, tôt ou tard la vie nous mettra à la porte de chez elle.

 La température diminuait. Le jour négociait quelques degrés à la baisse avec le soir qui s’annonçait sans tambour ni trompette. RÂ commençait à prendre ses distances en incendiant l’horizon. Las, je ramassais le recueil de nouvelles aux pages encore vierges de mes empreintes et, le regard légèrement vitreux je retournais chez les hommes. 



22 réactions


  • Clojea Clojea 10 août 2011 09:59

    Bel article et superbes photos Gabriel. Je médite quelquefois comme ça, devant une nature sympathique, et c’est vrai que quand je retourne dans le monde « civilisé », je prend aussi une claque. Je me dis que les choses ne tournent pas rond, mais on peut y faire quelque chose en étant actif à dénoncer ce qu’il faut et à agir. A + 


  • Fergus Fergus 10 août 2011 10:08

    Bonjour, Gabriel, et merci pour cet intermède reposant dans une actualité délirante et violente.

    Personnellement, je n’arrive pas moi non plus à lire lorsque je suis dans un environnement superbe. Ni à lire, ni à écrire. Je contemple ou je me promène, le plus souvent les deux à la fois, à la recheche de ces menus plaisirs de l’observation qui ne coûtent rien mais qui infiniment plus enrichissants que les programmes de la télévision.

    Oui, la nature reprend toujours ses droits, même si c’est parfois long, et cela jusque dans les lieux les plus pollués, parfois au prix d’un renouvellement des espèces végétales et animales. Et c’est très bien ainsi. Encore ne faudrait-il pas que cela donne un alibi aux industriels pollueurs et aux politiques qui leur permettent ces agressions contre l’environnement.

    Vive la contemplation. Celui qui s’y adonne est riche d’une certitude : il possèdera jusqu’à la fin de ses jours quelques souvenirs de cette plénitude que l’on ne rencontre que très rarement dans une vie.

    Cordiales salutations.


  • Harfang Harfang 10 août 2011 10:21

    Ah la vache, ça fait du bien tient !

    Punaise ce que c’est reposant de vous lire après toutes ces histoires de bourses qui partent en couille (aussi bien en matière d’économie que dans un Sofitel d’ailleurs...), de centrales nucléaires qui partent en couille, de manifestations populaires qui partent en couille... Des fois j’ai l’impression que l’humanité part en couille en fait...

    Tient, je vais aller me poser le cul dans mon jardin, et mater les piafs qui chantent en sirotant un pastaga...


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 14:17

      @ Clojea, Fergus et Harfang,

      Le lâcher prise, s’ouvrir et souffler, fuir la fureur et le bruit, pacifier ses émotions. Oublier les haineux et les agressifs, les donneurs de leçon et les moralistes. Faire corps avec le milieu naturel et essayer de vivre selon ses propres éléments constitutifs. Quelques heures de totale liberté afin de contrecarrer ces journées d’emprisonnement. Merci à vous de vos commentaires.


  • Tall 10 août 2011 10:31

    C’est bien vrai que ce texte est reposant ... je me suis endormi au 3e paragraphe.


  • LE CHAT LE CHAT 10 août 2011 12:43

    C’est vrai que ça fait du bien de s’assoir et d’observer la nature peinard !


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 14:22

      Exact le chat, il faudrait le faire plus souvent afin de se nettoyer la tête et recharger ses accus. Merci pour votre griffe. 


  • bart153 bart153 10 août 2011 13:11

    Une bouffée d’oxygène qui aide à relativiser un peu.

    En effet, comme c’est bien dit, la Planète reprendra toujours ses droits. Il est de bon ton de constater que l’on mélange allègrement protection de la planète et développement durable. Ne l’oublions pas, le concept de développement durable est définit par l’Homme pour l’Homme (assurer nos besoins sans affecter ceux des générations futures). C’est donc considérer que la planète a pour unique fonction celle de nous héberger. Nous sommes le nombril du monde...

    Arrêtons donc de confondre ce concept avec celui de « sauvons la planète ». Si il y a trop de CO2, la planète le résorbera sans peine en le re-intégrant dans ces cycles peu à peu. Par contre, NOUS, nous aurons sans doute beaucoup à perdre vu notre échelle de temps humaine (versus géologique).


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 14:27

      Bonjour bart153,

      Protection de la planète et développement durable ne sont pas des actions forcement antinomiques. L’homme étant une composante de l’éco système, il peut très bien penser et agir pour son futur tout en respectant l’environnement dans lequel il évolue. Mais cela est un autre débat. Merci de votre passage.


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 14:32

      Il est temps, en effet, que l’homme prenne conscience qu’il n’est pas le propriétaire de cette planète mais un juste un locataire parmi tant d’autre. Vous avez raison lorsque vous dites : « Celui qui n’est plus capable de rêves ou d’imaginations est déjà mort… » Merci de votre lecture.


    • Benito 10 août 2011 15:45

      Par contre à l’état des lieux, faut pas s’attendre à récupérer la caution smiley


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 16:10

      Bénito, non seulement nous ne récupérerons pas la caution mais le prix des travaux risque d’être faramineux. Enfin, vous savez, le problème principal le jour de la fin du monde, ce sera le parking !... 


  • luluberlu luluberlu 10 août 2011 14:04

    Yes !!! sauf que la vie elle découvre avec nous aussi ce quelle devient, et notre expérience est aussi celle de la vie. nous sommes tous (le vivant et pas que) dans le même bateau et sur la même vague le substrat d’espace temps qui est notre, ultimes concéquences.. pour le bouquin moi c’est FN


    • Gabriel Gabriel 10 août 2011 14:36

      Luluberlu « tout est dans tout » Vieille formule alchimique. Pour votre livre, j’aurai tendance à vous dire que toutes les lectures sont bonnes, le problème est l’interprétation que l’on en fait.  Merci de vos remarques.


  • webrunner webrunner 10 août 2011 15:10

    très beau texte et photos.merci pour ce billet qui nous sort un peu de la crasse ambiante et redonne espoir à la Vie.


  • Yvance77 10 août 2011 15:51

    Salut,

    Ah bin voila une promenade en songe qu’elle est belle !

    Merci


  • Axel de Saint Mauxe Axel de Saint Mauxe 11 août 2011 00:20

    Jolie méditation !


  • Gabriel Gabriel 11 août 2011 07:15

    Remerciements à webrunner, Yvance77, Perseus et Axel de SaintMaure pour leur passage sur ce post et leurs commentaires. 


  • Intelle Intelle 11 août 2011 09:46

    Merci Gabriel pour votre article.
    Que ce soit à la campagne, à la montagne ou à la mer la nature est plus belle et plus forte que l’homme, qui persiste à la maltraiter malgré les signes qu’elle nous envoie (tempêtes destructrices, dérèglement du temps). On lui demande tout pour notre confort mais on ne lui donne rien, on détruit les forêts, on pollue la mer et l’air, tout cela n’est pas anodin.
    Alors pour me détendre, je vais contempler la mer quand les touristes sont partis et qu’il ne reste que le vent, les vagues et les mouettes...


    • Gabriel Gabriel 11 août 2011 10:16

      Bjr Intelle,

      Ecoutons la nature qui nous parle de vérité et oublions pour quelques instants le langage des hommes qui n’est que mensonges.


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