mercredi 8 juillet 2015 - par Gabriel

Une journée ordinaire

 

Un brouillard se dissipe, le commérage des piafs filtre sous la fenêtre de la chambre. J’ai l’impression que leur joyeuse musique est là pour palier à l’absence d’alarme du cube coréen aux chiffres fluorescents qui me sert de réveil. C’est sympa de se faire sortir d’un coma nocturne par des moineaux, malheureusement ils n’ont pas de calendrier et le week end, bien qu’étant écolo dans l’âme, je leur clouerais bien le bec quand ils me font la sérénade vers les cinq plombes du mat…

  Debout le zombie, douche pour te ramener au pays des vivants et café noir, élixir de courage pour affronter le monde des hommes et de la sacro sainte entreprise. Voilà pas dix minutes que je suis sur le trajet du pays du bonheur qu’un embouteillage monstre bloque la circulation. Parait que ce sont les taximan qui en veulent à Bébert parce qu’un ministre sans cervelle (pléonasme par les temps qui courent) a prit la décision que tout le monde pouvait être chauffeur de taxi sans taxe. A cela vient se greffer la grève des transports urbains et de petits groupes égrenés le long du parcours, pour l’occasion, se sont transformés en auto stoppeur. Assise à l’avant, ma première passagère est une charmante dame en boubou africain multicolore qui, à entendre ses remerciements répétitifs, doit flipper à l’idée de perdre son travail si elle n’arrive pas à l’heure pour alimenter l’ignoble pointeuse. Sur la banquette arrière, mon second squatter d’une cinquantaine d’année, appartenant à l’immense masse des dix millions de sans emploi, est moins exubérant, plus taciturne. Remarquez, je le comprends, il se rend à pôle emploi pour la huitième fois en espérant décrocher un job. Le jour où ils trouveront un boulot à un chômeur, ma belle mère attaquera la face nord de l’Everest en solo et sans oxygène (Réflexion que je garde pour moi, évidement). 

 Patience, j’allume la radio. Pas de bol je tombe sur France Inter et le cireur de pompes Cohen qui comme à son habitude nous joue un air de pipeau à la sauce gouvernementale. Il est tout triste le Patou, chantre de la pensée unique, larbin et perroquet du pouvoir à 11 000 € par mois. Il gémit sa litanie suite à la quenelle que viennent de glisser les Grecs en votant non au référendum. Quoi qui dit déjà ? A oui, que si la Grèce refuse les efforts (Traduction son pillage et sa mise en esclavage), nous risquons l’implosion de cette huitième merveille du monde qu’est l’Europe. Oui, vous savez l’Europe, celle qui nous promet le bonheur et le plein emploi une fois que le social et la protection des travailleurs seront laminés, une fois que nos salaires seront au niveau de ceux des chinois ou des indiens, une fois que la retraite sera à soixante quinze ans, une fois que ces salauds de chômeurs ne seront plus indemnisés ect ect … Ce sera le bonheur qu’ils nous disent. Bon, je zappe, quitte à entendre des conneries autant passer sur rires et chansons, eux au moins ils les assument et les revendiquent. Cela a pour conséquence immédiate de détendre l’atmosphère dans l’habitacle en faisant rire aux éclats ma voisine et assouplir très légèrement les zygomatiques de notre compagnon de trajet.

 Une charmante cycliste s’arrête à ma hauteur, tourne la tête et me sourit. Vision idyllique qui me réconcilie momentanément avec la vie et me fait oublier le gros con sans gène dans son 4x4 qui a faillit reverser un piéton en doublant la file sous les klaxons un doigt d’honneur lever bien haut à l’abri dans son auto. Tout ça pour gagner deux places, pauvre tache ! L’elfe sur deux roues se faufile et disparait de l’encadrement de ma vitre droite pour laisser place à la vision d’un SDF couché dans son carton sur le trottoir d’en face. Courage camarade, comme dit plus haut, l’Europe travaille à ton bonheur. Une femme entièrement recouverte d’un linceul noir qui ne laisse apparaitre que ses yeux passe devant lui. Sous un soleil de plomb par 37° annoncés, je me demande si à choisir, ce n’est pas la place du malchanceux de la vie qui aurait ma préférence. Je sais, certains me diront que c’est son choix, que je stigmatise ect… Non, je me pose juste la question de l’avantage et du côté pratique pour la dame de se balader en sauna portatif pendant que le Monsieur à ses côtés qui l’accompagne est à l’aise dans son tee shirt et se la pète sous ses Ray ban…

 Le bouchon vient de sauté et la circulation se clarifie, avec un peu de chance je recroiserai ma cyclotouriste mais pour l’instant, je double le 4x4 du prix Nobel de la connerie qui s’est garé en double file pour acheté ses clopes. Je dépose mes deux compagnons et après le salut d’usage, croque les cinq cent derniers mètres qui me séparent du bonheur prolétarien. Arrivé au parking, j’ouvre les portes de cet Eden pour salarié où, jusqu’à bientôt soixante sept ans, il faudra trimer pour avoir le droit de, une fois cette limite d’âge atteinte, profiter rapidement de son cancer avant de tirer sa révérence dans l’indifférence générale. Les premiers bagnards du labeur arrivent. Comme chaque matin, il y a les endormis, les taciturnes, les désabusés et les éternels ou presque joyeux. Nous avons là, une palette assez représentative de la société dans laquelle nous évoluons. (Le terme « évoluer », s’entend ici comme mouvement giratoire perpétuel et non comme progression car, vu les résultats depuis que le primate c’est cassé la gueule de son baobab pour inventer le parcmètre et la bombe atomique… Mon scepticisme est en pleine croissance). Je dois vous confesser que concernant ma foi en l’homme, je suis pratiquant mais pas bigot.

 La journée de travail s’écoulera suivant la granularité des problèmes que viendront amplifier ou minimiser les acteurs suivant leur humeur du moment ou, de l’importance qu’ils s’accordent. Evidement, quelque soit l’entreprise, il y a toujours un petit chef en manque de reconnaissance qui palliera à son incompétence par un fayotage excessif auprès d’une direction générale s’amusant de tant de servilité. Un vrai professionnel de l’obséquiosité. L’heure de quitter le cimetière des illusions approche, et chez certains, la grande aiguille de l’horloge est la promesse d’un shoot instantané d’adrénaline. Comme au départ d’un marathon, c’est la ruée vers leur automobile direction canapé, télé, Maiiisssooonnn… C’est étonnant de voir qu’après une journée au turbin, l’exploité est en meilleur forme en partant qu’en arrivant. Cette fois, la fluidité du trafic est mise à mal suite à un accrochage. En effet, après une demi-heure de cul à cul sous la chaleur et la pollution, je vois le 4x4 de gros con encastré dans l’arrière train d’un trente huit tonnes. Manquerait plus que je tombe sur la petite fée en deux roues rentrant chez elle et mon bonheur serait à son comble. Comme quoi, il suffit d’un score en faveur de son équipe préférée (Princesse 1 – Gros con 0) pour que la sérénité et une joie intérieure vous envahissent à nouveau (Pas très chrétien tout ca…).

 L’individu, responsable de ces quelques lignes de délire, pousse enfin la porte de chez lui. Soirée au top avec la moitié de sa vie, un petit bout de femme d’un mètre cinquante sept et des poussières dont la tendresse, le calme et l’humour colorient de bleu la grisaille de mes journées ordinaires. La suite étant du domaine du privé, faites tourner les ventilateurs. Je vous salue frères terriens et vous souhaite en cet été caniculaire hydratation et fraicheur... 



17 réactions


  • cevennevive cevennevive 8 juillet 2015 17:28

    Bonjour Gabriel,


    Votre bel article commence par des chants d’oiseaux que vous ne semblez pas priser si tôt le matin.

    Puis viennent tous ces individus, tristes ou mièvres, voire écoeurants, le travail glauque, les rues encombrées, la chaleur malodorante, les problèmes, etc.

    Les seuls êtres intéressants et vivants que j’y ai rencontrés sont les oiseaux, la cycliste, votre compagne, et vous, bien entendu.

    Mais ce n’est pas un reproche, c’est juste un constat que vous faîtes. Et que je m’interdis parfois de faire moi aussi. J’essaie de ne voir que le beau. Hélas, bientôt je ne verrai plus grand chose, bien que mes yeux soient fidèles...

    Je suis sans doute plus optimiste que vous. Et les seuls chants d’oiseaux à cinq heures du matin suffisent à éclairer ma journée (je me lève très tôt, il fait si bon à cette heure-là !)

    Bien à vous Gabriel dont j’apprécie les commentaires.



    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 07:08

      Bonjour cevennevive,

      Merci de votre lecture. Dans les êtres intéressants et vivants vous avez oublié ma passagère africaine et son magnifique boubou couleur arc en ciel. Concernant la vision de cette journée, c’est juste un constat, il peut paraître amer mais j’ai préférer l’humour et la dérision avec une once de désinvolture. Bien à vous et bonne journée. 


    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 10:28

      Oncle archibald,

      Je vous souhaite aussi le bonjour mais dites moi, votre jardin c’est le paradis des piafs, sur que la sérénade doit vite tourner à la symphonie. Cordialement 

    • cevennevive cevennevive 9 juillet 2015 10:56

      @Gabriel


      Le problème avec les oiseaux, c’est ainsi que le dit Oncle archibald, qu’il ne nous reste que des fruits entamés, des cacas partout et certaines plantes en pot déterrées...

      Cette année, je crois qu’il ne me restera que la peau des figues. Je dois, si j’en veux une, la cueillir à moitié mûre et cela n’est pas très bon.

      Puis, j’ai bien en vue de mes escaliers, un nid de faucons où se disputent 5 petits lorsque les parents apportent lézards, serpents et mulots ! Ils sont en rang d’oignon sur la lauze qui leur sert de terrasse, ils sont désopilants ! Par contre, ils font leurs besoins le long du mur où trône mon hortensia. Le pauvre a les feuilles constellées de leurs fientes. 

      Je pardonne tout car la compagnie des oiseaux est quelquefois bien plus plaisante que celle de certains humains.

      Bonne journée à tous.

  • bernard29 bernard29 8 juillet 2015 18:22

    Et ce jour là, il y a un grec qui gesticule et se démène à l’eurocapitale.

    N’est-ce pas extraordinaire ?

    D’autres disent que c’est une journée historique,

    ce jour où j’ai écouté Sébastien sur « rires et chansons »",

    et raté une jolie cycliste.


    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 07:17

      Bonjour Bernard,

      Le grec gesticule et souffle un vent de liberté sur cette Europe oligarchique sclérosée par des financiers avides et enchainée par des politiciens corrompus. Vite une manif et un setting de belles cyclotouristes provocant des embouteillages monstres devant le parlement européen. 


  • alinea alinea 9 juillet 2015 00:15

    J’ai failli vous rater Gabriel, et c’eût été dommage, comme rater beau Dommage ; est-ce vraiment une journée ordinaire ?
    J’ai beaucoup aimé, vous êtes, là, si différent, moqueur léger acrimonieux sans fiel cependant.. oui, ça fait du bien, et vos commentateurs aussi
    Merci Gabriel ( avez vous dit à Marie qu’elle sera pleine d’un Dieu qui, sur cette planète, rendra les gens heureux ? Ça urge !)


    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 07:26

      Bonjour Alinéa,

      La merveille est dans l’instant et les cœurs ne se souviennent que des bons moments. Ce jour là, Marie était vêtue d’un boubou, elle faisait du vélo, elle est arrivé en souriant à son boulot, elle a lu mon article et m’a pris dans ses bras en fin de journée dés que la porte de notre foyer c’est refermée. Marie parle à travers toutes ces femmes…


  • Le p’tit Charles 9 juillet 2015 07:56

    +++++

    Une journée ordinaire en somme.. ?

    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 08:31

      Bonjour Le p’tit Charles,
      Absolument, je vois qu’il y a aussi du vécu de votre côté. Cordialement


  • cevennevive cevennevive 9 juillet 2015 10:47

    Gentil Gabriel, bonjour,


    Votre article a attiré des gens charmants, sensibles et intelligents, et je suis contente d’être en leur compagnie...

    J’ai oublié, en effet, votre belle Africaine en boubou ! Je lui présente toutes mes excuses. J’adore les Africaines, les Africains et les boubous. Une toute petite histoire de boubou :

    J’ai, il y a longtemps, tapé la thèse d’un ami Africain « la plicature mésentérique... »

    Béninois de naissance, il est devenu un grand chirurgien à Alençon.

    Ayant tapé sa thèse, j’ai été invitée à son examen à la Fac de Médecine de Montpellier. J’avais mis ce jour là un magnifique boubou qu’il m’avait offert. Moi, la blonde bien blanche, j’étais superbe en cet appareil ! Et très fière en plus !

    Par contre ce n’a pas été pour moi « une journée ordinaire » ! C’est un souvenir inoubliable.

    Bien à vous Gabriel et bonjour aux amis !




    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 11:34

      @cevennevive
      Votre compagnie sur ce site est toujours la bienvenue, vous lire est un plaisir et votre participation à mes délires d’écrivaillon un honneur. Je vous souhaite une excellente journée et passe le bonjour à nos amis ailés… 


  • L'enfoiré L’enfoiré 9 juillet 2015 12:20

    Bon billet...J’ai une question : on fait si peu de home-working chez vous ?Quant à Uber, il ne va pas résister à l’ère du numérique.Comme dit Gates,« La polémique autour d’Uber n’est que provisoire. La vraie révolution commencera lorsque les chauffeurs seront inutiles »


  • L'enfoiré L’enfoiré 9 juillet 2015 12:29

    « Non, je me pose juste la question de l’avantage et du côté pratique pour la dame de se balader en sauna portatif pendant que le Monsieur à ses côtés qui l’accompagne est à l’aise dans son tee shirt et se la pète sous ses Ray ban… »


    Oui, c’est souvent la question que je me suis posé.
    Puis, j’ai vu notre Paris Match de cette semaine qui montrait une dame à poil qui posait pour des photos.
    Là, j’ai compris la solution et pourquoi les camps de nudistes ont de plus en plus de partisans...
     

    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 13:13

      Salut L’enfoiré,

      Le home-working serait une excellente solution pour régler différents problèmes tel que la circulation, la pollution, cela serait aussi une source d’économie d’énergie, de gains de temps etc… Malheureusement c’est encore loin, en France, d’être dans les mœurs. Pour le point suivant, il est vrai que le corps de la femme est une œuvre d’art et il est dommage de cacher la beauté sous un voilage de triste couleur.


    • L'enfoiré L’enfoiré 9 juillet 2015 16:11

    • Gabriel Gabriel 9 juillet 2015 17:06
      @L’enfoiré,

      Je connais un type qui après un cassoulet avait fait une magnifique sculpture dans une cuvette bleue faïence, dommage il a tiré la chasse sur ce qui aurait pu être le « Guernica » du 21e siècle. Comment se nommait le peintre qui attachait des pinceaux à la queue d’un âne pour barbouiller ses toiles ? Je dois confesser que je ne suis pas très réceptif à l’art décadent. Gainsbourg disait déjà, dans le langage châtié qu’on lui connaissait : « L’art mineur a enc… l’art majeur ». Pour pousser la réflexion plus loin, est ce que la télé réalité c’est de la culture ou de l’abrutissement de masse ?

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