Une rencontre qui pourrait changer les lignes de forces géopolitiques
Voici déjà une douzaine d'années que l'on envisageait le rétablissement des liens entre Chrétiens catholiques et orthodoxes afin de contrer l'expansion islamique en Europe de l'« Altantique à l'Oural, » mais les relations entre les deux Églises restaient tendues, l'Église catholique souhaitant récupérer les propriétés confisquées à l'Église orientale sous Staline, le patriarche de reprocher à l'Église sœur d’avoir voulu convertir des orthodoxes lors de l’implosion de l’Union soviétique. Les observateurs avertis avaient bien remarqué les déplacements d'hommes politiques occidentaux auprès du saint-Siège et l'activité du métropolite Hilarion du service des Affaires étrangères de l'Église russe, mais rien n'avait « fuité. »
La rencontre entre le pape François et son homologue le patriarche Cyril de Moscou a nécessité deux années de tractations secrètes. Les deux figures de l'Église chrétienne se sont rencontrées le vendredi 12 février à la Havane (Cuba), le pape d'évoquer certaines convergences sur les conflits dans le monde arabe, et très en verve de souligner : « La Russie peut apporter beaucoup pour la paix mondiale. (...) En réalité cette guerre n’est pas par morceaux : c’est vraiment une guerre. (...) L’Occident doit faire son autocritique sur la Libye, sur le printemps arabe et sur l’Irak, on pouvait se représenter auparavant ce qui allait se passer. (...) Si l’on pense à la Libye avant et après l’intervention militaire contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, il n’y en avait qu’une, désormais il y en a cinquante ! »
Le rôle du président russe ne saurait être minimisé, il a dû trouver les mots justes pour se rallier le Patriarche de Moscou, ardent défenseur de la doctrine « Russkiy mir » (monde russe), hostile à l'indépendance de l'Ukraine et à « la politique d'endiguement de la menace islamique dans le Caucase et en Europe centrale ! » Un califat islamique au Moyen-Orient aurait des répercussions incommensurables, voire infinies. Le pape avait reçu Vladimir Poutine en novembre 2013 et en juin 2015, les échanges de porter sur la situation en Ukraine et les tensions entre l'Union européenne et la Russie, la situation des Chrétiens d'Orient. La diplomatie vaticane qui bénéficie d'une diplomatie multiséculaire est épaulée d'un service discret d'information (la Sainte Alliance fondée au XVI° siècle sous Pie V) qui maille toute la planète ! Bien des services de renseignement seraient désireux de pouvoir bénéficier des renseignements détenus.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Après plusieurs siècles de tensions entre Chrétiens, le 7° concile œcuménique qui s'est tenu à Nicée en 787 affirma les deux natures du Christ, « Dieu et homme, sans mélange ni confusion », affirmation de la représentation et de la vénération du Christ-Dieu sans adoration. Cet épisode explique la place centrale de l'icône dans l'Église orthodoxe : « L'icône est possible car Dieu s'est fait homme et s'est incarné, a pris chair. » Les rivalités entre Rome et Byzance (Constantinople) sur l'organisation de l'Église et la théologie allaient aboutir au schisme de 1054. Désormais, « orthodoxie » allait désigner la partie orientale du monde chrétien (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem) et « catholicisme » la partie occidentale Rome. Le schisme entre les deux Églises perdurera jusqu'en 1965, année de son abolition par le pape Paul VI et le patriarche Athenagoras I°.
Le chemin fut long pour en arriver là. Le 11 mai 330, Constantin I° dit le Grand, inaugurait sa nouvelle capitale, Constantinople, sur l'emplacement de l'ancienne Byzance. La « Nouvelle Rome " située à l'intersection de l'Europe et l'Orient et au carrefour des grandes voies de communication de l'empire byzantin, allait repousser les attaques des Barbares pendant onze siècles (330-1453) et ainsi contribuer à protéger l'Europe.
Constantin Le Grand (330-337) insuffla au nouvel empire les caractéristiques qu'il allait garder jusqu'à sa disparition, une autorité absolue et de droit divin faisant du christianisme une religion d'État. A la mort de Théodose I° Le Grand en 395, ses deux fils démantelèrent l'empire en deux parties, d'un côté l'Empire romain d'Orient, de l'autre l'Empire romain d'occident. Les invasions : Barbares, Wisigothes, celles des Huns, des Ostrogoths allaient participer au rapprochement de l'empire romain à celui d'orient. Le règne de Justinien I° (527-565) interrompit l'évolution de l'empire byzantin pour un temps, il reconquit l'Afrique, l'Italie, la Corse, la Sardaigne, les Baléares et une partie des côtes espagnoles... Mare Nostrum était chrétienne, Justinien rétablit l'union religieuse avec la papauté.
L'invasion arabe s'abattit sur l'empire byzantin en 634, l'amputant de ses provinces orientales d'Égypte et d'Arménie tandis que les Slaves pénétraient dans les Balkans pour s'établir en Dalmatie, Macédoine, et même en Grèce, les Bulgares de former un empire au sud du Danube qui allait représenter un des dangers les plus redoutables. L'empire à caractère romain et universel allait devenir de plus en plus byzantin avec le régime dit des « thèmes » (tous les pouvoirs furent réunis entre les mains des chefs militaires) qui dura jusqu'en 1453.
En 717, les Arabes semblent sur le point de s'emparer de Constantinople qui sera sauvée l'année suivante avec l'avènement de Léon III°, les empêchant ainsi de passer en Europe. La rupture entre Byzance et la papauté, et le rétablissement de l'empire romain d'Occident en 800 avec le couronnement de Charlemagne, allaient avoir de graves répercussions. Les Arabes réapparaissent à Constantinople en 783 et s'emparaient de la Crête en 826, prenant pied en Méditerranée orientale. Sous le règne de Théophile (829-842), Byzance va rivaliser avec Bagdad, la capitale des Califes, et l'Université de Constantinople devenir le centre d'une culture intellectuelle. L'empire byzantin va connaitre une ère d'incomparable grandeur et reprendre l'offensive sur toutes ses frontières jusqu'en 1025. Les Arabes se débandaient, la Crête fut reprise en 946 et la Palestine, la Syrie, redevenaient byzantines. Byzance finit par regrouper une série d'États vassaux : Serbes, Croates, Moraves, et Bulgares adoptèrent la religion byzantine. L'influence byzantine allait pénétrer en Russie en 988 avec la conversion du Grand Prince de Russie, Saint Vladimir.
Un danger extérieur allait menacer Byzance, les Turcs Seldjoukides firent prisonnier l'empereur Romain IV Diogène lors de la bataille de Mantzikiert en 1071. Après vingt-cinq années d'anarchie et de guerres civiles, l'empire semblait être à la veille de sa disparition. C'est grâce à la dynastie des Comnènes (1081-1204), une grande famille féodale d'aristocrates militaires, que Byzance va connaitre une splendide renaissance qui va s'étendre jusqu'au royaume de Jérusalem et de repousser les Turcs en Asie mineure. Le désastre de la bataille de Myrioképhalon en 1176 en Asie mineure, va sonner le glas de la puissance byzantine dans cette région, amplifié par les croisades qui n'avaient fait qu'attiser la haine entre Grecs et Latins contribuant ainsi à détourner Byzance de la lutte contre les Turcs et de faciliter l'introduction de nouveaux ennemis au sein de l'empire.
La dynastie des Paléologues (1261-1453) va tenter de reconstituer une partie de l'empire amputé par les Vénitiens qui conservaient une partie des îles, des seigneurs latins qui régnaient sur une partie de la Grèce, des bulgares qui occupaient une partie de la Thrace, sans oublier Charles d'Anjou qui allait disputer la possession de l'Epire (région des Balkans). A la mort de Michel VIII en 1282, la décadence sembla s'amorcer pour ne jamais s'arrêter, la situation intérieure et extérieure devint intenable. L'empire bulgare et l'empire serbe étaient décidés à disputer à Byzance son hégémonie dans la péninsule balkanique. Au XIV° siècle, les Ottomans passaient en Europe et transférèrent leur capitale à Andrinople en 1365. Trois décennies plus tard, les Turcs écrasaient les Serbes à Kosovo en 1389, à Nicopolis en 1396, et à Varna en 1444. En 1453, Mahomet II assiégeait Constantinople. Le dernier empereur de Byzance, Constantin XI (1448-1453) était tué le 29 mai sur les remparts en défendant courageusement sa capitale. Le lendemain, Mahomet II se rendait à l'église Saint-Sophie et annexait l'édifice pour en faire une mosquée. Moscou devint la « troisième Rome. »
En France, l'ordre ancien dans lequel l'argent comptait peu, le prêt à intérêts interdit et la notion de salarié inconnue, est consommé. La séparation de l'Église et de l'État n'a pas totalement disparu, l'esprit laïc restant allié à la religion, mais les laïques entendaient intervenir dans toutes les questions religieuses. Les revendications bourgeoises laïques finirent par prendre le pas sur les évêques, les villes de conquérir leur liberté sur un fond anticlérical et le roi de revendiquer l'autorité sur ses sujets. Nombre de valeurs humaines laïques reposent sur des vertus chrétiennes.
Ce bref survol de notre histoire montre que l'occident ne s'intéressa jamais sérieusement à la sauvegarde de Byzance et on peut aujourd'hui mesurer où cela l'a conduit. Une grande partie de notre histoire et de notre culture se résume à la civilisation byzantine - hellénique - et chrétienne, c'est à cela que la visite entre le pape et le patriarche nous invite. Tous les peuples européens ont gardé le souvenir vivace de cette lutte contre les Barbares et mahométans (1575 subst et adj), inutile de pinailler sur ce mot construit comme Perse et persan utilisé par Pascal ou Voltaire. Étymologiquement, musulman veut dire vrai musulman ce qu'apparemment tous ne sont pas, alors que mahométans nous dispense d'utiliser les mots : islamistes, wahabites, salafistes, fondamentalistes, etc., pour ainsi différencier le bon grain de l'ivraie.
Que l'on soit croyant, non-pratiquant, athée, incroyant, ou laïc, se reconnaître dans le dénominateur civilisationnel de la chrétienté sera-t-il suffisant pour contenir la volonté hégémonique de l'ouma islamique ? Le pape et le patriarche combien de divisions ? pour paraphraser Staline. Les Chrétiens sont 2,2 milliards soit un tiers de la population mondiale réparti en : 37 % de catholiques - 12 % de protestants - 12 % d'orthodoxes soit 572 millions d'individus en Europe. Petite phrase du jour : « La vie d'un peuple organisé est tissue de liens multipliés dont la plupart passent dans l'histoire et ne se nouent que dans les temps les plus antiques » (Paul Valéry).