lundi 15 février 2016 - par Desmaretz Gérard

Une rencontre qui pourrait changer les lignes de forces géopolitiques

Voici déjà une douzaine d'années que l'on envisageait le rétablissement des liens entre Chrétiens catholiques et orthodoxes afin de contrer l'expansion islamique en Europe de l'« Altantique à l'Oural,  » mais les relations entre les deux Églises restaient tendues, l'Église catholique souhaitant récupérer les propriétés confisquées à l'Église orientale sous Staline, le patriarche de reprocher à l'Église sœur d’avoir voulu convertir des orthodoxes lors de l’implosion de l’Union soviétique. Les observateurs avertis avaient bien remarqué les déplacements d'hommes politiques occidentaux auprès du saint-Siège et l'activité du métropolite Hilarion du service des Affaires étrangères de l'Église russe, mais rien n'avait « fuité. »

La rencontre entre le pape François et son homologue le patriarche Cyril de Moscou a nécessité deux années de tractations secrètes. Les deux figures de l'Église chrétienne se sont rencontrées le vendredi 12 février à la Havane (Cuba), le pape d'évoquer certaines convergences sur les conflits dans le monde arabe, et très en verve de souligner : « La Russie peut apporter beaucoup pour la paix mondiale. (...) En réalité cette guerre n’est pas par morceaux  : c’est vraiment une guerre. (...) L’Occident doit faire son autocritique sur la Libye, sur le printemps arabe et sur l’Irak, on pouvait se représenter auparavant ce qui allait se passer. (...) Si l’on pense à la Libye avant et après l’intervention militaire contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, il n’y en avait qu’une, désormais il y en a cinquante  ! »

 

Le rôle du président russe ne saurait être minimisé, il a dû trouver les mots justes pour se rallier le Patriarche de Moscou, ardent défenseur de la doctrine « Russkiy mir » (monde russe), hostile à l'indépendance de l'Ukraine et à « la politique d'endiguement de la menace islamique dans le Caucase et en Europe centrale ! » Un califat islamique au Moyen-Orient aurait des répercussions incommensurables, voire infinies. Le pape avait reçu Vladimir Poutine en novembre 2013 et en juin 2015, les échanges de porter sur la situation en Ukraine et les tensions entre l'Union européenne et la Russie, la situation des Chrétiens d'Orient. La diplomatie vaticane qui bénéficie d'une diplomatie multiséculaire est épaulée d'un service discret d'information (la Sainte Alliance fondée au XVI° siècle sous Pie V) qui maille toute la planète ! Bien des services de renseignement seraient désireux de pouvoir bénéficier des renseignements détenus.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Après plusieurs siècles de tensions entre Chrétiens, le 7° concile œcuménique qui s'est tenu à Nicée en 787 affirma les deux natures du Christ, « Dieu et homme, sans mélange ni confusion », affirmation de la représentation et de la vénération du Christ-Dieu sans adoration. Cet épisode explique la place centrale de l'icône dans l'Église orthodoxe : « L'icône est possible car Dieu s'est fait homme et s'est incarné, a pris chair. » Les rivalités entre Rome et Byzance (Constantinople) sur l'organisation de l'Église et la théologie allaient aboutir au schisme de 1054. Désormais, « orthodoxie » allait désigner la partie orientale du monde chrétien (Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem) et « catholicisme » la partie occidentale Rome. Le schisme entre les deux Églises perdurera jusqu'en 1965, année de son abolition par le pape Paul VI et le patriarche Athenagoras I°.

 

Le chemin fut long pour en arriver là. Le 11 mai 330, Constantin I° dit le Grand, inaugurait sa nouvelle capitale, Constantinople, sur l'emplacement de l'ancienne Byzance. La « Nouvelle Rome " située à l'intersection de l'Europe et l'Orient et au carrefour des grandes voies de communication de l'empire byzantin, allait repousser les attaques des Barbares pendant onze siècles (330-1453) et ainsi contribuer à protéger l'Europe.

Constantin Le Grand (330-337) insuffla au nouvel empire les caractéristiques qu'il allait garder jusqu'à sa disparition, une autorité absolue et de droit divin faisant du christianisme une religion d'État. A la mort de Théodose I° Le Grand en 395, ses deux fils démantelèrent l'empire en deux parties, d'un côté l'Empire romain d'Orient, de l'autre l'Empire romain d'occident. Les invasions : Barbares, Wisigothes, celles des Huns, des Ostrogoths allaient participer au rapprochement de l'empire romain à celui d'orient. Le règne de Justinien I° (527-565) interrompit l'évolution de l'empire byzantin pour un temps, il reconquit l'Afrique, l'Italie, la Corse, la Sardaigne, les Baléares et une partie des côtes espagnoles... Mare Nostrum était chrétienne, Justinien rétablit l'union religieuse avec la papauté.

L'invasion arabe s'abattit sur l'empire byzantin en 634, l'amputant de ses provinces orientales d'Égypte et d'Arménie tandis que les Slaves pénétraient dans les Balkans pour s'établir en Dalmatie, Macédoine, et même en Grèce, les Bulgares de former un empire au sud du Danube qui allait représenter un des dangers les plus redoutables. L'empire à caractère romain et universel allait devenir de plus en plus byzantin avec le régime dit des «  thèmes » (tous les pouvoirs furent réunis entre les mains des chefs militaires) qui dura jusqu'en 1453.

En 717, les Arabes semblent sur le point de s'emparer de Constantinople qui sera sauvée l'année suivante avec l'avènement de Léon III°, les empêchant ainsi de passer en Europe. La rupture entre Byzance et la papauté, et le rétablissement de l'empire romain d'Occident en 800 avec le couronnement de Charlemagne, allaient avoir de graves répercussions. Les Arabes réapparaissent à Constantinople en 783 et s'emparaient de la Crête en 826, prenant pied en Méditerranée orientale. Sous le règne de Théophile (829-842), Byzance va rivaliser avec Bagdad, la capitale des Califes, et l'Université de Constantinople devenir le centre d'une culture intellectuelle. L'empire byzantin va connaitre une ère d'incomparable grandeur et reprendre l'offensive sur toutes ses frontières jusqu'en 1025. Les Arabes se débandaient, la Crête fut reprise en 946 et la Palestine, la Syrie, redevenaient byzantines. Byzance finit par regrouper une série d'États vassaux : Serbes, Croates, Moraves, et Bulgares adoptèrent la religion byzantine. L'influence byzantine allait pénétrer en Russie en 988 avec la conversion du Grand Prince de Russie, Saint Vladimir.

Un danger extérieur allait menacer Byzance, les Turcs Seldjoukides firent prisonnier l'empereur Romain IV Diogène lors de la bataille de Mantzikiert en 1071. Après vingt-cinq années d'anarchie et de guerres civiles, l'empire semblait être à la veille de sa disparition. C'est grâce à la dynastie des Comnènes (1081-1204), une grande famille féodale d'aristocrates militaires, que Byzance va connaitre une splendide renaissance qui va s'étendre jusqu'au royaume de Jérusalem et de repousser les Turcs en Asie mineure. Le désastre de la bataille de Myrioképhalon en 1176 en Asie mineure, va sonner le glas de la puissance byzantine dans cette région, amplifié par les croisades qui n'avaient fait qu'attiser la haine entre Grecs et Latins contribuant ainsi à détourner Byzance de la lutte contre les Turcs et de faciliter l'introduction de nouveaux ennemis au sein de l'empire.

La dynastie des Paléologues (1261-1453) va tenter de reconstituer une partie de l'empire amputé par les Vénitiens qui conservaient une partie des îles, des seigneurs latins qui régnaient sur une partie de la Grèce, des bulgares qui occupaient une partie de la Thrace, sans oublier Charles d'Anjou qui allait disputer la possession de l'Epire (région des Balkans). A la mort de Michel VIII en 1282, la décadence sembla s'amorcer pour ne jamais s'arrêter, la situation intérieure et extérieure devint intenable. L'empire bulgare et l'empire serbe étaient décidés à disputer à Byzance son hégémonie dans la péninsule balkanique. Au XIV° siècle, les Ottomans passaient en Europe et transférèrent leur capitale à Andrinople en 1365. Trois décennies plus tard, les Turcs écrasaient les Serbes à Kosovo en 1389, à Nicopolis en 1396, et à Varna en 1444. En 1453, Mahomet II assiégeait Constantinople. Le dernier empereur de Byzance, Constantin XI (1448-1453) était tué le 29 mai sur les remparts en défendant courageusement sa capitale. Le lendemain, Mahomet II se rendait à l'église Saint-Sophie et annexait l'édifice pour en faire une mosquée. Moscou devint la « troisième Rome. »

En France, l'ordre ancien dans lequel l'argent comptait peu, le prêt à intérêts interdit et la notion de salarié inconnue, est consommé. La séparation de l'Église et de l'État n'a pas totalement disparu, l'esprit laïc restant allié à la religion, mais les laïques entendaient intervenir dans toutes les questions religieuses. Les revendications bourgeoises laïques finirent par prendre le pas sur les évêques, les villes de conquérir leur liberté sur un fond anticlérical et le roi de revendiquer l'autorité sur ses sujets. Nombre de valeurs humaines laïques reposent sur des vertus chrétiennes.

Ce bref survol de notre histoire montre que l'occident ne s'intéressa jamais sérieusement à la sauvegarde de Byzance et on peut aujourd'hui mesurer où cela l'a conduit. Une grande partie de notre histoire et de notre culture se résume à la civilisation byzantine - hellénique - et chrétienne, c'est à cela que la visite entre le pape et le patriarche nous invite. Tous les peuples européens ont gardé le souvenir vivace de cette lutte contre les Barbares et mahométans (1575 subst et adj), inutile de pinailler sur ce mot construit comme Perse et persan utilisé par Pascal ou Voltaire. Étymologiquement, musulman veut dire vrai musulman ce qu'apparemment tous ne sont pas, alors que mahométans nous dispense d'utiliser les mots : islamistes, wahabites, salafistes, fondamentalistes, etc., pour ainsi différencier le bon grain de l'ivraie.

Que l'on soit croyant, non-pratiquant, athée, incroyant, ou laïc, se reconnaître dans le dénominateur civilisationnel de la chrétienté sera-t-il suffisant pour contenir la volonté hégémonique de l'ouma islamique ? Le pape et le patriarche combien de divisions ? pour paraphraser Staline. Les Chrétiens sont 2,2 milliards soit un tiers de la population mondiale réparti en : 37 % de catholiques - 12 % de protestants - 12 % d'orthodoxes soit 572 millions d'individus en Europe. Petite phrase du jour : « La vie d'un peuple organisé est tissue de liens multipliés dont la plupart passent dans l'histoire et ne se nouent que dans les temps les plus antiques » (Paul Valéry).

 

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8 réactions


  • lsga lsga 15 février 2016 10:33

    Profitons en pour rappeler que le zombie juif appelait à l’abolition de la propriété privée (acte des apôtres : ’que tout soit mis en commun et que chacun ai selon ses besoins’ ) et qu’il ne s’est jamais exprimé sur la différence entre catholicisme et orthodoxie.


    Quoi qu’il en soit, dans cette période capitaliste, le temps est aux religions de consommation : évangélistes et salafistes vont bouffer tout le marché.

  • Daniel Roux Daniel Roux 15 février 2016 11:54

    Il n’a jamais été aussi difficile de séparer l’état et l’église c’est à dire la religion depuis que les hommes politiques organisent et instrumentalisent le communautarisme religieux, désignent les bonnes et les méchantes religions, les bons et les méchants croyants.

    C’est plus facile que de prendre ses responsabilités devant les Français.

    Quoi de plus ridicules que de voir nos Présidents et nos premiers ministres passer au Vatican recevoir, au moins symboliquement la grasse onction du Pape.

    Quoi de plus pathétique que de voir Valls, l’homme au coup de menton et aux sourcils froncés mais aux engagements aussi virevoltants qu’une girouette, multipliant les amalgames, initiatives et dénonciations en faveur d’une communauté fondée sur une religion (peu importe laquelle).

    Comme si c’était son rôle constitutionnel.

    Rappelons à nos élus qu’une grande majorité de Français est attachée à la raison et à la liberté de conscience et que cette majorité souhaiteraient que les hommes politiques redeviennent sérieux.


  • Donbar 15 février 2016 13:28

    Intéressant rappel historique.
    Quant au « dénominateur civilisationnel de la chrétienté », très peu pour les libres penseurs.
    Ecr. les Inf.


  • Profil supprimé Jean-Michel Lemonnier 15 février 2016 13:42

    Bonjour,
    L’article est courageux quand on sait que sur ce site défilent en majorité des matérialistes marxistes ou « bourgeois », finalement des Modernes (qu’ont-ils à dire sur la question religieuse de manière générale ? opium du peuple, oppression, obscurantisme ? Sans jamais en apprécier les aspects CONTESTATAIRES) qui méprisent donc les questions théologiques, métaphysiques (il en est peu question ici) et ignorent généralement à peu près tout de l’histoire de la moitié de l’Europe (toujours cette histoire centrée sur le « système westphalien ») mais aussi de l’histoire du christianisme depuis les origines.
    Je vois que vous reprenez, en partie, la grille d’analyse d’un Mackinder reprise par les néo-eurasistes (praxis inversée) sur l’opposition Rome/Byzance qui n’aurait jamais cessé que je vous suggérais dans un précédent message.

    Pour ce qui est d’une possible retour vers l’unité primitive de l’Église, le chemin est encore long vers sa réalisation et aucun orthodoxe (monde orthodoxe lui-même divisé) n’acceptera de compromis avec les hérésies théologiques et les schismatiques.
    Cette rencontre a dans tous les cas permis de montrer que le dialogue entre « Rome » et « Byzance » est bien renoué. Puisse-t-il être utile à contribuer à faire (re-)prendre conscience à l’Européen benêtisé sans identité fixe, broyé par la mégamachine technicienne, de son héritage spirituel séculaire. Car en effet seules une vision du monde verticale enracinée au cœur de l’histoire grande-européenne , une métaphysique sont en mesure de s’opposer aux semeurs de chaos, qui sont à la fois les sectes d’assassins et les barbares de l’anglosphère.
    Le problème est que l’Europe de culture catholique latine et une partie du monde orthodoxe sont sous domination judéo-protestante. Qu’il y ait dialogue religieux entre « latins » et « grecs », très bien, s’il pouvait y avoir rapprochement (géo-)politique rapide entre cette Europe occupée, de Paris à Bucarest (et donc demain libérée ?) et la Russie...


  • Jason Jason 15 février 2016 18:42

    Le Vatican : combien de divisions ? Tout le reste me fait sourire. Car les chrétiens, comme les autres populations ne se sont pas privés de se faire la guerre entre eux, et de plus ne s’entendent pas. On peut rêver, il est vrai.

    Et pas besoin de remonter aux Gaulois ou à Byzance, oh pardon, à Constantinople.


  • fcpgismo fcpgismo 16 février 2016 09:38

    Mein Kampf tout était écrit le coran tout est écrit

    Ni dieu ni maître
    On s’est débarrassé de l’emprise de l’église, éradiquons l’emprise de l’islam politique et gardons nos curés comme vestige d’un autre temps.

  • Hector Hector 16 février 2016 12:54

    Bonjour Gérard,
    Il me semble que vous abordez un sujet de fond qui sera prépondérant dans les années à venir et où l’allégation de Malraux prendra toute sa valeur.
    Nous n’en sommes qu’au début et la rencontre entre le pape François et son homologue le patriarche Cyril de Moscou marque le début d’une opposition et sera décisive pour l’équilibre mondial.
    Il est évident, et je l’espère, qu’il ne pourra y avoir de guerre civile dans les pays d’Europe submergés par l’immigration musulmane.
    Une des solutions, du moins je le crois, devant l’inertie et l’incapacité due à l’UE de nos politiques, sera d’opposer au bloc Mahométan une réponse Chrétienne, au moins aussi dense d’un point de vue démographique que géographique et même politique.
    La laïcité, impossible à appliquer, a vécue.
    Vous êtes un des rares à avoir souligné le rapprochement de Poutine et de l’église orthodoxe russe et pourtant cela me parait être capital. Poutine est décidément un visionnaire et je veux croire qu’il n’est pas pour rien dans cette entrevue.
    C’est à travers ce filtre que l’on se rend compte que cette politique politicienne de fonctionnaires que nous subissons, est déjà un combat d’arrière garde et que l’occident n’aura d’autres solutions que de se reconnaitre dans sa religion.
    Nous n’allons pas vers une guerre, mais vers une nouvelle croisade.


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