La frontière est ténue. Nous pouvons basculer dans le monde des "sans" du jour au lendemain.
Derrière chaque sans-papiers, domicile ou abri, se cache une histoire qui nous ressemble.
Cinq heures du matin ? Ce n’est plus Paris qui s’éveille, mais Bamako, Alger, Pékin, Delhi, Islamabad, Dakar ; la capitale a changé de couleur, la France s’est métissée, il va falloir s’adapter Messieurs les politiques. Cette France laborieuse, de souche récente et moins récente a aussi besoin de représentants dans l’hémicycle.
Il n’y a pas de solution miracle pour les flux migratoires, le fossé et trop grand, en revanche, pour les sans-papiers qui travaillent, une seule saute aux yeux, elle est limpide, économique, pragmatique : la régularisation.
Que l’on ne me parle pas d’appel d’air, le seul appel d’air qui existe trouve sa source dans la misère, le sous-développement et l’insolente prospérité véhiculée par les publicités, le cinéma hollywoodien, les coopérants et les diplomates.
Peut-on reprocher à un jeune du Sud de vouloir vivre dans une société de consommation, dans un État de droit ?
Un appart, un travail, une nana, et pourquoi pas un i-Pod ou un PC relié au haut débit. S’il a la chance de voter ou de faire entendre sa voix, il pourrait même avoir l’audace de critiquer à visage découvert le pouvoir en place. Est-ce un crime ?
Lorsque mes amis et moi-même étions plus jeunes, nous ne rêvions pas d’émigrer, mais de vivre dans une société moins verrouillée, nous souhaitions simplement échapper aux sermons, aux tabous et aux traditions archaïques.
Nous brûlions d’aimer, de baiser ou alors de tenir la main d’une fille de notre âge sans avoir à subir de regards réprobateurs ou lubriques.
Les interdits de toutes sortes nous écrasaient, nous rêvions de voir du pays en écoutant de la funk, de militer sans risquer les railleries ou la brutalité.
D’ouvrir nos bras à l’Occident et à l’Orient et de faire table rase du passé, nous rêvions de nous tourner vers l’avenir.
Et puis, il y avait la France. Attention, pas celle des colonies, « du bruit et des odeurs », pas « la France aux Français ». Non, il y avait cette France de Voltaire à Sartre, de l’hospitalité des Lumières, cette France pétrie de liberté, la France du bon boulanger, du Baiser de l’hôtel de ville, de la lutte des femmes pour l’égalité. La France combattante, la France résistante, anti-coloniale, celle de Zola, Jean Moulin, Frantz Fanon, de Vidal-Naquet, de Jean-Pierre Vernant et de combien d’autres encore.
La France, c’était pour nous la promesse d’une belle histoire d’amour, mais, bon, je vous mentirais, si je ne vous disais pas que nous rêvions aussi de belles Suédoises.
Puis sont venues les années de prêches incendiaires, de diabolisation et de violence extrême. Notre tendre insouciance s’est brisée sur les flancs de l’ogre intégriste et l’ivresse de la jeunesse s’est terminée par une belle gueule de bois.
Il reste de tout cela une soif inextinguible et, Dieu merci, une folle envie de dévorer la terre entière.
La terre est notre patrie !