vendredi 14 mars - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

Unity Mitford et Adolf Hitler : l’aristocrate anglaise, victime ou complice du Führer ?

Au crépuscule des années 1930, alors que l’Europe vacille au bord de l’abîme, une jeune aristocrate britannique, tisse une relation aussi fascinante qu’énigmatique avec Adolf Hitler, le maître absolu du IIIe Reich. Fille d’une lignée prestigieuse, elle abandonne les salons feutrés de Londres pour les ombres de Munich, où son obsession pour le Führer défie toute raison. Était-elle une admiratrice éblouie, une pionnière d’un pont entre nations, ou une marionnette dans les mains d’un tyran ? Entre dévotion aveugle et jeux de pouvoir, leur lien improbable soulève des questions brûlantes sur l’idéologie, la loyauté et les trahisons intimes.

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Les origines d’une fascination : une aristocrate en quête d’absolu

Unity Valkyrie Mitford voit le jour le 8 août 1914 à Londres, dans une famille d’aristocrates excentriques, les Mitford, dont l’histoire est aussi riche que tumultueuse. Fille de David Freeman-Mitford, 2e baron Redesdale, et de Sydney Bowles, elle grandit dans un manoir du Oxfordshire, entourée de privilèges mais aussi de tensions idéologiques. Ses six filles – dont les célèbres Nancy, romancière, Diana, future épouse d’Oswald Mosley et Jessica, militante communiste – façonnent un foyer où les extrêmes se côtoient. Unity, cinquième enfant, cherche sa place dans cette fratrie éclatée, un terreau fertile pour son futur engagement.

 

Eva Braun's Rival: The British Socialite Who Loved Hitler | National Review

 

Dès l’adolescence, Unity affiche un penchant pour le spectaculaire et le provocateur. Sa chambre, partagée avec Jessica, devient un théâtre d’oppositions : drapeaux rouges et portraits de Lénine d’un côté ; croix gammées et photos d’Hitler de l’autre. Ce qui débute comme une rébellion juvénile prend une tournure sérieuse lorsqu’elle découvre les discours du Führer. En 1932, elle lit Mein Kampf, annotant ses pages avec ferveur. Puis, en 1933, à 19 ans, elle accompagne Diana au congrès de Nuremberg. Là, face aux parades grandioses et au charisme hypnotique d’ Adolf Hitler, elle bascule : le nazisme devient sa cause.

 

 

Son inclination ne naît pas dans un vide. L’aristocratie britannique des années 1930, ébranlée par la montée du communisme et la crise économique, voit parfois dans le fascisme un rempart contre le désordre. Le grand-père d’Unity, Algernon Mitford, admirateur de Richard Wagner et ami de Houston Stewart Chamberlain – idéologue antisémite influent –, transmet à la famille un goût pour la culture germanique. Son père, bien que moins radical, exprime des sympathies pour les idées d’extrême droite, notamment dans des lettres privées. Unity, baptisée Valkyrie en hommage à la mythologie nordique, se rêve en figure héroïque d’un renouveau aryen, une ambition qui la propulsera vers Hitler.

 

La rencontre avec le monstre : une obsession concrétisée

En juillet 1934, Unity s’installe à Munich, officiellement pour étudier l’allemand à l’école de langues de Schwabing. En réalité, elle traque Adolf Hitler. Elle s’établit dans une pension près de la Maison brune, siège du Parti nazi, et passe ses journées à l’Osteria Bavaria, un restaurant discret où le Führer déjeune régulièrement. Pendant dix mois, elle note ses moindres faits et gestes dans un carnet, aujourd’hui conservé aux archives de la British Library. Le 9 février 1935, son attente est récompensée : Hitler, intrigué par cette Anglaise blonde aux yeux bleus, l’invite à sa table. "J’ai enfin rencontré le plus grand homme de tous les temps", écrit-elle à son père dans une lettre datée du lendemain, exultant d’un triomphe qu’elle a minutieusement orchestré.

 

Who Was Hitler (2017)

 

Leur relation s’épanouit rapidement. Entre 1935 et 1939, Unity rencontre Hitler au moins 140 fois, un chiffre qu’elle consigne dans ses journaux personnels, partiellement publiés par le Daily Mail en 2025. Elle devient une figure familière de son entourage, partageant des thés à la chancellerie, des dîners à Munich et des retraites au Berghof, près de Berchtesgaden. Hitler lui offre un appartement au 17 Schwabingstrasse – confisqué à une famille juive – et une carte postale signée de sa main, aujourd’hui exposée au Imperial War Museum. Pour le Führer, Unity est une vitrine : une aristocrate britannique séduite par le nazisme, un atout pour convaincre l’élite anglaise de soutenir sa vision.

 

When Adolf Hitler confidante Unity Mitford came to stay - BBC News

 

Mais que cachent ces tête-à-tête ? Les témoignages divergent. Albert Speer décrit Unity comme une "groupie excentrique", une présence tolérée mais secondaire. Eva Braun, jalouse, la surnomme "la grande Anglaise" dans son journal, suggérant une rivalité affective. L’historienne Anne de Courcy (The Mitford Girls, 2001) privilégie une admiration platonique, nourrie par l’idéalisation d’Unity, tandis que David Pryce-Jones (Unity Mitford : A Quest, 1976) évoque des rumeurs d’intimité, sans preuves concrètes. Unity elle-même, dans une lettre à Diana datée de 1937, parle d’Hitler comme d’un "dieu vivant", un langage qui oscille entre dévotion mystique et délire personnel. Hitler, maître de la mise en scène, reste ambigu, exploitant son enthousiasme sans jamais révéler ses véritables sentiments.

 

Meet Unity Mitford, The British Socialite Who Fell For Hitler

 

Une Britannique dans la machine nazie : enjeux et ambiguïtés

Unity ne se limite pas à un rôle de spectatrice. Elle s’engage activement dans la propagande nazie, au mépris des convenances britanniques. En juillet 1935, elle publie une lettre dans Der Stürmer, organe antisémite dirigé par Julius Streicher : "Je suis une Anglaise fière de haïr les Juifs. Heil Hitler !". Cet écrit, reproduit dans les archives du Wiener Library à Londres, déclenche une tempête médiatique en Angleterre. Le Daily Mirror titre : "Une Mitford avec Hitler", tandis que son père tente de minimiser l’incident. En 1936, elle assiste aux Jeux olympiques de Berlin aux côtés du Führer, paradant dans une loge officielle.

 

How Unity Mitford met Hitler 140 times in build up to the Second World War  | Daily Mail Online

 

Sa proximité avec Hitler alimente les soupçons. À Munich, certains nazis, comme Rudolf Hess, la considèrent comme une possible espionne britannique, une hypothèse relayée dans les mémoires de Walter Schellenberg (Le Chef du contre-espionnage nazi parle, 1957). En Angleterre, le MI5 ouvre un dossier sur elle dès 1936, selon des documents déclassifiés en 2003. Guy Liddell, chef adjoint du service, note dans un rapport du 12 mai 1940 : "Ses liens avec Hitler sont si étroits qu’ils frôlent la trahison". Unity, elle, se voit comme une ambassadrice, rêvant de réconcilier Londres et Berlin. En 1938, elle propose à Hitler une rencontre avec des lords britanniques, une initiative avortée mais révélatrice de ses illusions.

Cette position ambiguë reflète les fractures de l’époque. L’aristocratie britannique, divisée entre pacifistes et bellicistes, compte des sympathisants nazis, comme Lord Halifax ou le duc de Windsor. Unity incarne cette frange séduite par l’ordre nazi, un courant que la politique d’apaisement de Chamberlain encourage jusqu’en 1939. Pour Hitler, elle est un symbole, une preuve que son idéologie peut transcender les frontières. Mais son rôle reste marginal : ni diplomate ni espionne, elle navigue dans un no man’s land idéologique, entre dévotion sincère et instrumentalisation.

 

La chute : une tentative de suicide et ses mystères

Le 3 septembre 1939, la déclaration de guerre britannique à l’Allemagne brise Unity. Incapable de concilier son amour pour son pays natal et son idolâtrie pour Hitler, elle agit dans un geste désespéré. Ce jour-là, dans le Jardin anglais de Munich, elle sort un pistolet Walther – un cadeau d’Hitler, selon Diana – et se tire une balle dans la tempe droite. La balle, de calibre 6,35 mm, reste logée dans son cerveau, mais elle survit. Hospitalisée sous la supervision de médecins nazis, elle est rapatriée en janvier 1940 via la Suisse, sur ordre personnel d’Hitler, qui finance son transfert, selon un télégramme retrouvé dans les archives de Berne.

Son retour en Angleterre, orchestré par le Foreign Office, est un événement médiatique. Le 3 janvier 1940, des caméras filment son arrivée à Folkestone : une femme frêle, au regard vide, portée sur une civière. Les rapports médicaux, exhumés par le Guardian en 2015, décrivent des lésions cérébrales graves : perte de mémoire, troubles moteurs, incohérence verbale. Jusqu’à sa mort, le 28 mai 1948, d’une méningite liée à sa blessure, elle vit recluse à Inch Kenneth, une île écossaise appartenant aux Mitford. Pourtant, son sourire énigmatique sur certaines photos alimente les théories.

 

When Adolf Hitler confidante Unity Mitford came to stay - BBC News

 

Que cache cette tentative de suicide ? Diana soutient qu’Unity ne supportait pas la guerre entre ses deux mondes. Une rumeur persistante prétend qu’elle était enceinte d’Hitler et que sa tentative visait à cacher une naissance illégitime. Les registres d’Oxfordshire montrent une entrée suspecte en 1940 – un enfant mort-né anonyme – mais aucune preuve ne relie Unity à cette affaire. Le psychiatre Henry Dicks, qui l’examine en 1941, conclut à une "instabilité émotionnelle" aggravée par son culte pour Hitler. Sa fin, entre tragédie et mystère, reflète une vie déchirée par ses propres contradictions.

 

Conséquences et héritage : une ombre sur l’histoire

L’histoire d’Unity Mitford éclaire les sympathies fascistes au sein de l’élite britannique. Après 1945, son cas embarrasse Londres. Le MI5 envisage son internement mais sa santé fragile l’épargne. Elle devient un symbole des errements d’une classe dirigeante prête à pactiser avec le nazisme pour préserver ses intérêts. 

Dans la sphère familiale, son parcours fracture les Mitford. Diana, emprisonnée de 1940 à 1943 avec Mosley, reste une paria sociale. Jessica, horrifiée par ses sœurs, s’exile aux États-Unis et dénonce leur "trahison" dans ses écrits. Les journaux d’Unity, révélés en 2025 par le Daily Mail, confirment ses 140 rencontres avec Adolf Hitler et son obsession jusqu’au bout. Ces pages, annotées de dessins de croix gammées, montrent une femme prisonnière de son propre mythe.

Sur le plan historique, Unity n’influe pas sur la guerre, mais elle incarne une passerelle entre deux nations en conflit. Elle fut à la fois actrice et victime d’un régime qui exploitait les âmes perdues. Son héritage, teinté de scandale, interroge la séduction du totalitarisme sur des esprits troublés.



11 réactions


  • Seth 14 mars 14:44

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     smiley

    Merci de traduire.


    • @Seth

      Je pense que je suis victime d’un piratage organisé par les reptiliens illuminati qui dirigent la Terre. C’est le signal pour l’anéantissement total de l’humanité. smiley


    • @Seth

      Il doit s’agir d’un problème technique. Je l’ai signalé à l’équipe AgoraVox. Je remarqué également que les commentaires sont touchés : ils apparaissent tous en italique, comme la partie de mon article qui est compréhensible.


    • Seth 14 mars 15:14

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      Il est bien dommage que vous vous soyez limité à Unity. Les frangines Mitford étaient connues pour être toutes givrées. Round the bend, deranged ou mad as a hatter as you like it.

      Cette pauvre Valkyrie comme les autres. Sa soeurette Diana était aussi maquée avec le chef des fafs anglais, Mosley. A côté des ça il y avait aussi des cocos comme vous le dites.

      Des pucelles aristocrates qui s’ennuyaient nées d’une famille de barjots, les pauvrettes.

      Il n’était pas ce qu’il y a de plus attirante. Et si elle n’a connu les plaisirs de la chair qu’avec les 7 cm d’Hitler, elle est morte dans une ignorance crasse.  smiley


    • Seth 14 mars 15:15

      @Seth

      Tiens... C’est vrai que tout sort en italiques. Curieux, n’est-il pas ?  smiley


    • @Seth

      Je vois que tout est rentré dans l’ordre. Tant mieux.

      C’est vrai que toutes les soeurs Mitford étaient connues pour être excentriques, tout comme leur père. Dana a épousé sir Oswald Mosley, le chef des fascistes britanniques, et sa soeur Unity a eu un destin vraiment incroyable et, surtout, tragique. C’est la raison pour laquelle je connais beaucoup mieux son histoire et que je me suis intéressé à elle dans cet article.

      Il y a quelque chose d’étrange que j’ai remarqué depuis longtemps : toutes les femmes qui ont côtoyé Adolf Hitler ont eu le besoin d’en terminer avec la vie : Geli Raubal, sa nièce, s’est suicidé. Evra Braun a tenté de se suicider, tout comme Unity « Valkyrie » Mitford. Ca me fait également penser aux compagnons de Dalida...

      On ignore si Unity entrenait des relations intimes avec Hitler. Mais cela semble fort possible, d’après les nouveaux éléments dont disposent les historiens britanniques depuis quelques mois.


    • Seth 14 mars 16:19

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      La sœurette Diana est la plus connue de toutes car elle a sévi en Angleterre. Elles avaient sur un sujet différent un côté « soeurs Brontë », le talent en moins.

      Pour des rapports avec adolphe, mettons qu’elle était plutôt clitoridienne.  smiley

      Et pour Eva Braun et sa « tentative » de suicide, elle a fini par y arriver. Comme quoi quand on veut, on peut.  smiley


  • juluch juluch 14 mars 21:04

    Elle avait de gros problèmes psychiatriques apparemment .


    • @juluch

      Bonsoir et merci pour votre commentaire. Oui, je pense également que cette femme avait des problèmes psychiatriques, tout comme ses cinq soeurs et son père. Toute la famille avait un pet au casque...


  • SilentArrow 15 mars 09:13

    Les Britanniques et le Américains sont des Allemands qui parlent anglais.


  • Laurent 18 mars 09:32

    Bonjour ! Article très intéressant mais elles n’étaient pas toutes folles, plutôt extravagantes et originales, souhaitant exister au sein d’une aristocratie décadente. Déborah que j’ai connue était très sensée, intelligente, posée et réaliste. Nancy était très francophile et ses romans sont un pur délice d’humour british. Pamela était très discrète et les trois autres ont rivalisé de provocations... 

    Donc, toujours très intéressant de lire et relire la vie des Mitford et leurs destins extraordinaires. Celui des sœurs (et de leur frère oublié), mais aussi des autres, moins connus mais tout aussi... extravagants ! Pour en savoir plus, je conseille vivement, en anglais mais très facile à lire et à comprendre  : « The Mitford family : nearly a thousand years of history » par Hugh Mitford Raymond (le dernier descendant), ISBN 978-1-903506-44-8, Zymurgy publishing (Newcastle-upon-Tyne, UK) mais disponible sur Amazon et autres sites.

    Epoustouflant !


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