mercredi 18 juillet 2007 - par Pierre JC Allard

Vae Sinistris !

Pour refonder la gauche.

On parle beaucoup, depuis les dernières présidentielles, d’une refondation de la gauche. Nécessaire non pas tant à cause d’un échec - la gauche en a vu d’autres - que d’un hiatus entre le projet socialiste et les espoirs qu’on souhaiterait qu’il véhicule, cette métamorphose est annoncée par tous les candidats et crypto candidats au leadership du PS. Comme est annoncée sans preuves et dénoncée sans conviction, d’ailleurs, la mort imminente de ce parti.

Mort ou métamorphose d’un parti sont-elles si importantes ? N’est-ce pas plutôt la direction que prend la société qui importe ? A ceux qui se sont réjouis que la victoire de l’UMP ait semblé marquer le déclin du FN, n’a-t-on pas été bien prompt à faire remarquer que c’est toute la France qui avait fait un pas à droite et que l’échec électoral de Le Pen coïncidait avec une incontestable progression de ses idées ? Je me sentirais plus rassuré si c’est sur la gauche qu’on pouvait porter ce diagnostic. Mais il faudrait voir de quel mal elle souffre.

La gauche est malade de ses gauchistes. Pas seulement de ceux qui filent, qui fuguent et qui fuient leurs responsabilités - rarement navire en péril n’a été abandonné si vite, alors que, comme les Législatives l’ont montré, il reste tant de passagers à bord et tant de bon grain dans les cales - mais malade aussi de ses penseurs qui n’ont pas une bonne pensée à offrir et de ses chantres qui ne turlutent que des refrains sans entrain. 35 heures ? Est-ce qu’on a lutté 70 ans à gauche pour s’éviter 5 heures de travail ? Est-ce ainsi qu’on va mettre un peu plus de justice dans la société ?

La gauche est sinistrée, parce qu’elle a rentré les voiles et ne va plus au large, mais fait du « sur place ». La droite, elle, peut motiver par le succès personnel, mais la gauche qui n’a pas un projet de société, un espoir collectif, un grand dessein à proposer n’intéresse pas. Nous avons une gauche sans dessein... et elle ennuie.

Il faut faire le constat que la gauche s’est scindée entre une faction organisée, corporatiste, qui a réussi sa rentrée à la mezzanine, sinon au piano mobile de la société moderne... et les autres dont cette faction s’est délestée pour y parvenir à ses fin : les démunis, les marginaux, les précaires, les irrécupérables dont on n’assume plus vraiment les combats, sauf du bout de la plume, tenue à longueur de bras, par des intellectuels qui ne voient même pas le clivage.

De telle sorte qu’on a une gauche pusillanime qui devient centre gauche, qui ne demande qu’à devenir le parti d’alternance à un parti de centre droite, dans une démocratie à l’américaine où il n’existera qu’un seule politique qui fait consensus et dont tout désir de changement sera exclu. On a une gauche qui se veut « Mouvement démocrate », n’attendant qu’un « Mouvement républicain  », collé tout contre elle à sa droite, qui naîtra pour lui donner la réplique. À gauche de cette gauche sans dessein, se coagulent en groupuscules ceux qui voudraient des changements plus radicaux, mais qui n’ont ni la voix ni les moyens de devenir un parti sérieux.

Ce sont ces radicaux à gauche qui pourraient innover et tracer les plans pour une nouvelle société, mais seuls ils ne constitueront jamais une option électorale crédible. Il resteront du folklore, si les mutins et les naufragés du PS ne leur tendent pas la main, mais préfèrent se mettre en ligne au centre, pour avoir épisodiquement accès au pouvoir que peuvent avoir les gouvernements élus dans un régime néolibéral.

Si c’est ce choix que font les sinistrés, les radicaux à gauche ne pourront espérer un progrès lent, mais au moins constant vers la justice sociale par les voies de la démocratie. Il faudra une génération, peut-être deux, mais tôt ou tard ces démunis, ces marginaux, ces précaires, ces irrécupérables dont le nombre et la colère augmenteront reviendront en force et par la force. Il est dommage qu’on ne lise plus l’Histoire.

Si la gauche veut se refonder sur ses racines, et non dans une potiche, il faudrait qu’elle se donne pour but de changer la société. Changer la société prend du temps, mais la gauche pourrait tout de suite se fixer au moins quelques objectifs, donc j’indique quelques-uns ci-dessous, à titre d’illustrations, car il y a plus à faire.

1. Mettre en place un programme universel de recyclage/formation afin que "tous" puissent être réinsérés dans le processus de production ;

2. Augmenter les salaires et le prix du travail, pour qu’ils coïncident avec le niveau de consommation compatible avec la production ;

3. Éliminer toute sécurité d’emploi et la remplacer par une sécurité du revenu par paliers ;

4. Modifier le système électoral pour que les élus représentent leurs électeurs et non des partis ;

5. Nationaliser les banques et redonner à l’État le contrôle direct sur l’émission de monnaie ;

6. Eliminer l’impôt sur le revenu et la TVA, ainsi que toute mesure fiscale directe ou indirecte, à l’exception d’un impôt sur le capital, selon bilan ;

7. Rembourser la dette publique en la portant au patrimoine des contribuables au prorata de leurs avoirs ;

8. Restructurer la profession médicale et augmenter le nombre des ressources en santé pour en faire la première priorité ;

9. Nationaliser la recherche médicale et l’industrie pharmaceutique ;

10. Assurer la totale gratuité de tout processus judiciaire et universaliser l’arbitrage en matières contractuelles ;

11. Reconnaître la violence comme une pathologie et en tirer les conséquences sur le crime, la récidive et le système carcéral ;

12. Rendre toute immigration conditionnelle à l’adhésion formelle à un Contrat social explicitant les valeurs républicaines ;

13. Mettre fin à toute immigration illégale, en réservant l’accès aux services aux signataires du Contrat social ;

14. Alléger la fonction publique et en accélérer les processus, en réglant par internet la plus grande partie des contacts avec les administrés ;

15. Remplacer le mondialisme par un politique d’import-export en complémentarité avec l’optimisation de la production interne ;

16. Reconnaître les effets négatifs de la colonisation et payer durant cinquante ans aux ex-colonies une compensation annuelle à débattre ;

17. Adopter une politique de gestion intégrale des ressources naturelles et de développement d’une énergie non polluante ;

18. Assurer la défense nationale, mais en réaffirmant les principes de non-agression et de non-ingérence ;

19. Favoriser l’intégration à l’Europe et l’appartenance à des entités supranationales, en ce qui ne contrevient pas aux objectifs ci-dessus.

Cela pour un début, bien sûr, pour que renaisse une façon de voir le monde qui fasse la part belle à l’innovation et à un progrès vers l’égalité. Citant le sage Vyasa, cependant, « si ces mesures ne sont pas suffisantes, qu’on s’en remette à l’inspiration... »



8 réactions


  • aquad69 18 juillet 2007 14:56

    Bonjour Pierre,

    j’apprécie vos articles.

    Mais aujourd’hui, pardonnez-moi, je suis de mauvaise humeur...

    Si la gauche s’est peu à peu décrédibilisée, c’est pour beaucoup parce qu’elle avait cette même attitude que l’on rencontre dans votre article, quand vous listez « ce qu’il faudrait faire », yaka-faukon !

    C’est une liste totalement théorique, idéale.(et incomplète, bien sûr, on pourrait en rajouter encore beaucoup !)

    Mais là où le bât blesse, c’est que tout celà est inenvisageable, de l’ordre du rêve : soit c’est techniquement irréalisable, ou décalé par rapport aux règles qui régissent le système économique qui nous régit, soit c’est tellement en opposition avec les intérêts des pouvoirs qui dirigent le Monde que celà n’a évidemment aucune (aucune !) chance de voir le jour !

    Et c’est finalement cet aspect irréaliste qui, à force de se répéter jusqu’à la litanie, est le plus usant dans tous ces discours de gauchistes occidentaux, et qui décrédibilise toute la démarche.

    Au bout du compte, dans un pays comme la France, il faudrait changer les étiquettes politiques : au lieu de « gauche » et de « droite » on devrait parler du parti des « sympathiques et généreux rêveurs » et de celui des « sales types cohérents »...

    Et c’est là une question qui devrait interpeler tout le monde, de tous bords : pourquoi l’image de la générosité se rapporterait-elle plutôt à la « gauche » (ça, au vu des programmes, celà paraîtrait clair, mais beaucoup moins au vu des bilans), et celle de l’efficacité serait-elle plutôt du coté de la droite ?

    Car d’expérience, il ne s’avère pas du tout que le libéralisme soit plus efficace : moi qui ai vu évoluer une administration de service public vers le statut privé, je peux vous assurer qu’elle n’a pas gagné en efficacité, mais que l’utilisateur a payé très cher le privilège de passer du statut d’usager à celui de client...

    Gauche, droite, il s’agit de visions des choses différentes : comment voulez-vous que ces visions puissent se réaliser de manière équivalentes sur la même trame économique ? Comment voulez-vous faire une politique « de gauche » dans un monde régi par la loi du marché ? Et pour des gens qui dans leur majorité, sous l’influence des médias, n’avaient qu’un but : s’élever au-dessus de leur condition « populaire », et accéder à la condition « royale » par la consommation...

    Finalement, qu’est-ce qui différencie la gauche occidentale démoralisée, française par ex, de la gauche en action d’Amérique du Sud, sinon que cette dernière est réellement populaire, et qu’elle s’adosse à un peuple qui vit encore, chez qui le lien social et familial existe encore, autrement dit pour qui le mot « culture » n’est pas encore synonyme du mot « médias » ?

    Si le discours politique paraît tellement creux et abstrait chez nous, c’est peut-être qu’il n’est plus qu’un jeu intellectuel pour professionnels et amateurs avertis, déconnecté de la réalité parcequ’il n’y a plus de vie sociale ici, de liens de société et d’identité commune pour lui donner un sens.

    Ou en d’autre mots, qu’il n’y a plus ici une société humaine, mais un système, une « machine à vivre » comme on a pu décrire les HLM comme des « machines à habiter ».

    Une des plaies de l’esprit moderne, c’est de ne voir les choses qu’en surface, de ne concevoir que deux dimensions, et de s’imaginer, par exemple, qu’en matière d’organisation sociale on n’aurait le choix qu’entre le collectivisme et l’individualisme : c’est à cet impasse que mène un certain matérialisme hypnotisé par l’organisation du système, le « rendement de la machine » et qui ne voit l’Univers que comme une succession de « chantiers » à maîtriser et à réaliser.

    Mais qui est définitivement incapable de comprendre que la seule chose qui tient une société debout, c’est sa dimension humaine, ni de gauche, ni de droite, mais purement culturelle, au sens complet du mot.

    Si nous voulons rechercher cette dimension, il nous faut accepter de reconnaître que nos prétentions à être des humains « évolués et modernes » ne sont que vents et illusions, et que c’est précisément chez les peuples les moins « avancés » que nous aurions peut-être une chance de retrouver ce qu’il nous manque, à condition d’être prêts enfin à les écouter.

    Cordialement Thierry


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 19 juillet 2007 16:25

      @ aquad69 : Quel plaisir de trouver sur ce site la courtoisie qui résiste au désaccord ! Je vous soumets quelques précisions, dans l’espoir de changer votre humeur... Votre humeur et non vos idées, puisque je suis TOTALEMENT d’accord avec vous sur le diagnostic.

      Nous ne divergeons, en fait, que sur l’opportunité de garder un oeil sur le phare à l’horizon, pendant qu’on se place au mieux face à la vague et qu’on cherche à rester à flot.

      Ce que je propose est un projet de société, pas un programme électoral. J’ai choisi cette approche, parce que je crois que c’est justement au palier de sa vision du monde que la Gauche est décevante, pas à celui de ses manigances politiques, où elle s’en sort aussi bien et donc avec la même abjection que ses adversaires.

      Oui, donc, c’est bien « une liste totalement théorique, idéale et incomplète » que j’ai proposée, parlant bien, d’ailleurs, d’illustrations...

      Non, je ne crois pas que « celà (soit) inenvisageable, de l’ordre du rêve (ni) techniquement irréalisable » - les liens indiqués peuvent vous mener à quelques centaines de textes qui s’efforcent d’en montrer la faisabilité - mais je suis bien d’accord avec vous que tout ça est « décalé par rapport aux règles qui régissent le système économique qui nous régit, (et) tellement en opposition avec les intérêts des pouvoirs qui dirigent le Monde que celà n’a évidemment aucune (aucune !) chance de voir le jour ! » J’ajouterais seulement : « À court terme ».

      Parce qu’à long terme - et avec l’évolution accélérée des techniques et des rapports de forces, les générations ne se reconnaissent plus et le long terme peut être bien court - ceux qui dirigent le Monde et leurs intérêts ne seront plus les mêmes.

      Je crois que nous allons rapidement vers une nouvelle société qui appliquera le genre de règles auxquelles je fais ici allusion, et pour laquelle ces changement qui semblent radicaux ne seront qu’une mise en bouche.

      Est- ce que ce n’est pas d’un rêve que nous avons besoin, n’oubliant pas que la réalité n’est que le rêve que nous faisons tous ensemble ? Et puis, je suis trop vieux pour penser à autre chose qu’au long terme. smiley

      Cordialement

      PJCA


  • karg se 18 juillet 2007 18:45

    1- ok

    2- oui et non, va falloir passer par du workfare plutôt qu’augmenter le smic au risque de créer du chômage

    3- Oui mais pas trop quand même, il faut favoriser les managements évolutioniste, mais au niveau de convention collective plutôt que via le code du travail. Sur la sécurisation du revenu ok.

    4. ok

    5. Non, la BCE est indépendante et c’est temps mieux, ça évite les conneries des apprentis sorciers, sinon il faut clairement mettre le nez dans les banques, mais pas aller jusqu’à la nationalisation.

    6. Oui sur la TVA, non sur l’IR qui est le seul impôt vraiment juste car progressif. Attention à l’imposition sur le capital, c’est un outil incitatif pas une source fiable de revenu pour l’état.

    7. Infaisable, la dette n’est pas un problème, une décennie de croissance rapide et hop elle est plus là.

    8. Ok

    9. Non, mais assurer la recherche publique et mettre fin au markéting médical

    10. ok

    11. Attention, tous les violents ne sont pas malade mentaux, et tous les malades mentaux ne sont pas violent. Risque d’amalgame pour le moins douteux

    12. ok, mais avec un quota annuel en fonction de notre capacité d’intégration (langue + formation + emploi)

    13. oui de fait

    14. Oui mais beaucoup de gens n’ont pas encore internet, et beaucoup ne savent pas s’en servir, il faudrai des services physique locaux plus souple.

    15. Non, la mondialisation est une chance, décidé dans un bureau ce que les gens doivent acheter ou vendre n’est pas souhaitable

    16. Oui mais pas donner de l’argent pour que les chefs s’achètent des merco. Cela serait avant tous symbolique.

    17. ok

    18. Oui mais bon parfois, faut y aller

    19. ok


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 19 juillet 2007 15:26

      @Karg se : Merci pour vos commentaires. Je ne relancerai pas le débat, puisqu’il y a déjà des pages et des pages d’arguments via les liens que j’ai indiqués pour chaque point. Juste un mot sur les sujets où nous avons peut-être plutôt un malentendu qu’un désaccord. 5- Banque : je vois le FMI, la BCE et autres IFI comme toute une manade de Chevaux de Troie du capitalisme au sein de la démocratie. 9-Recherche pharmaceutique : des gens meurent par milliers, privés de médicaments qui ne coutent que quelques centimes à produire, parce qu’ils faut bien amortir et rentabiliser le coût de la recherche. C’est la collectivité qui devrait assumer ce coût et toute découverte médicale devrait être du domaine public et diffusée sans délai. 11- Crime=pathologie. D’accord, mais la distinction entre les « traitements » devrait être la deuxième décision ; la première est de les mettre sous garde permanente et de protéger la population. -15 le problème n’est pas essentiellement commercial. Il semble clair que nous allons vers un choc brutal entre cultures ; élémentaire prudence de ne pas rendre notre économie dépendante de l’apport de gens dont on ne peut à moyen terme être sûr de l’amitié.

      Evidemment, tout est plus clair si vous avez le temps de voir le site Nouvelle Société. http://www.nouvellesociete.org

      PJCA


  • moebius 18 juillet 2007 23:17

    Et les anchois vous faites quoi avec les anchois ? je suis pour la refondation du PS mais sur des bases solides en granit par exemple, il faut aussi pensez à changer les serrures et placer un cadenas sur la porte du local a ordure ?... Mais reste le probléme des anchois, les anchois ça m’emeut, que faites vous de tous ces anchois ?


  • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 19 juillet 2007 14:57

    @ moebius ; Les anchois ? On les traite comme le PS : « Enlevez les têtes et l’arête centrale, nettoyez les soigneusement, laissez les deux dos séparés... » smiley

    PJCA


  • Brousse_Ouilisse 20 juillet 2007 00:11

    « 35 heures ? Est-ce qu’on a lutté 70 ans à gauche pour s’éviter 5 heures de travail ? »

    5 heures * 47 semaines de travail par an * 40 ans ça fait plus d’un an de temps libre supplémentaire tout de même.

    Par contre je suis bien d’accord avec vous sur l’absence d’envergure et de créativité de cette mesure.


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