vendredi 18 mai 2018 - par Lucchesi Jacques

Vers un retour à l’âge des casernes ?

Un nouveau service national pour les jeunes de touts sexes et de toutes origines sociales ? Pourquoi pas ? Mais à l’examen, ce projet laisse apparaître plus d’une contradiction.

 Ce fut longtemps la hantise des jeunes Français, entre dix-huit et vingt deux ans. Un matin, le facteur vous apportait un ordre de convocation barré des trois couleurs nationales et la vie, dès lors, était comme mise entre parenthèses. Certes, il y avait d’abord les fameux trois jours au centre militaire de Tarascon – même si, dans les faits, les appelés n’y passaient qu’un jour et demi. Avec un certificat médical dans sa poche, on était à peu près certain d’une exemption rapide, surtout dans les années 80/90. Quant aux malheureux déclarés « bons pour le service », commençait pour eux la vie de caserne ; et, entre les classes et les corvées de chiottes, ce n’était pas vraiment une vie de château. Cela ressemblait plutôt à une pénitence républicaine, même s’il y avait parfois des distractions moins austères que celles qui se pratiquent dans les couvents. Car depuis la révolution française, tout citoyen étant potentiellement un soldat, il fallait en passer par là. Et, par temps de guerre, le service militaire pouvait vous expédier rapidement sur le front, dans une contrée inconnue et sans garantie aucune de retour.

 Mais soyons optimistes et restons sur le versant de la paix. Avec l’école et le mariage la conscription militaire fut l’une des grandes étapes dans la formation d’un jeune homme. C’était une sorte d’initiation qui devait assurer son intégration harmonieuse dans la société. Durant cette année de vie collective, le brassage social était la règle commune, ouvriers, paysans, chômeurs

 et étudiants partageant le même dortoir, la même cantine. Reste que les plus riches s’arrangeaient pour la contourner, notamment en se faisant remplacer par des volontaires stipendiés. Dans les années 90, c’est à peine si un jeune français sur deux effectuait son service national. Le monde avait changé et Jacques Chirac, alors président de la république, prit en 1996 la décision – courageuse - de le supprimer. Désormais, la défense du pays serait assurée exclusivement par une armée de métier.  

Cette suppression est-elle définitive ? Non, elle suspend seulement, pour une durée indéfinie, cette obligation faite, deux siècles durant, aux jeunes Français. Mais la violence des attentats de 2015, après un bref moment de sidération, a relancé la mécanique patriotique chez bien des jeunes gens. Il ne fallait pas laisser se perdre tant de bonnes volontés prêtes à sauver la patrie en danger. Du coup, Emmanuel Macron a ressorti l’idée d’un service obligatoire pour tous – filles et garçons – à partir de dix-huit ans. Ce ne serait pas un service militaire à proprement parler, avec instructions et maniement d’armes, mais une sorte de service civique qui mettrait l’accent sur les fondamentaux de la citoyenneté française. Cette mesure – qui, pour une fois, plaît autant à la droite qu’à la gauche – coûterait quand même trois milliards d’euros annuels. Même si l’armée ne supporterait pas exclusivement cette dépense, elle ne voit pas d’un très bon œil cette proposition. Car cela l’obligerait à affecter à cette tâche du personnel encadrant qui pourrait être plus utile ailleurs. D’autre part, ses opposants ont beau jeu de rappeler qu’il existe déjà un service volontaire de six mois pour les jeunes désireux d’engagement civique. Dix mille d’entre eux, chaque année, choisissent cette option qui leur permet de se former dans des associations et des administrations. La différence ne serait, finalement, que dans le caractère imposé d’un tel service.

D’abord planifiée sur six mois, la durée de ce nouveau service national a été ramenée à seulement un mois. Que peut-on apprendre dans un laps de temps aussi bref ? Et où logerait-on les appelés maintenant que la plupart des casernes ont été fermées ou recyclées ? Dans des internats désaffectés ? Soit ! Mais comment, dans ce cas, s’arrangerait-on avec la mixité sexuelle ? Ce sont des questions qui laissent augurer que ce projet a tout d’une fausse bonne idée.

 

Jacques Lucchesi  



15 réactions


  • Dzan 18 mai 2018 11:21
    J’ai eu du « pot »Classe 64/1 chez les gonfleurs d’hélice.
    D’abord Toulouse Francazal, où j’ai appris a tirer au MAS 36- des vieilles pétoires toutes déglinguées- ou au PM MAT 49, encore plus déglinguées, car revenant d’Algérie. Marcher au pas, obéir, faire son li, etc...
    Pas dérouté du tout, ayant été interne en Lycée.
    Brassage sociologique.
    Ce que j’ai fait ? Ce qu’un civil aurait pu faire.Chauffeur. Amener les équipages aux avions. Ramasser dans Pau ou les environs, le personnel de la base. Monté la garde une fois un soir d’été.J’ai eu de bons potes, nous étions un quatuor inséparable.
    Je suis revenu nanti de tous mes permis.
    Je revenais en perm tous les mois. Ah les trains de nuit pour soldats.
    Bon, je ne suis pas allé dans les paras, ou d’autres régiment dit semi-disciplinaires, car ils avaient fauté sous Napoléon (Si ça a existé)

  • Eric F Eric F 18 mai 2018 11:51
    « D’abord planifiée sur six mois, la durée de ce nouveau service national a été ramenée à seulement un mois. » Cela prouve que c’est de la daube, un faux-semblant. Mais comme c’était au départ une fausse bonne idée basée sur une vision idéalisée de la mixité sociale dans les casernes qui en fait n’existait pas vraiment, l’ombre de la montagne (prétendu service militaire) accouche d’une souris (colonie de vacances et stage de bénévolat). Cela monopolise davantage en terme d’encadrement que le retour pour la nation.
    Le sens des valeurs, la mixité sociale, cela devrait être du ressort de l’école, un « service » tardif pour rattraper le coup est une illusion.

    • Eric F Eric F 18 mai 2018 11:52

      ça rappelle un peu le stage d’une semaine de « découverte de l’entreprise » en troisième comme ersatz de formation en alternance.


  • Elliot Elliot 18 mai 2018 13:15

    avec un certain bonheurJ’ai fait mon service militaire à une époque où les seules dérogations étaient liées à l’état de santé ou physique.

    Être réformé n’était pas de bon augure.

    Nous étions réunis dans de grandes chambrées où se coudoyaient enfants de la bourgeoisie et gueux des campagnes. Certains de mes compagnons avaient de beaux diplômes et d’autres étaient illettrés voire analphabètes.

    Si, à l’époque, j’avais l’impression de perdre mon temps ( j’ai fait un an de service dont 8 en Allemagne ) dans de fastidieux exercices répétitifs, j’ai révisé mon jugement avec le temps.

    Ce passage m’a permis de rencontrer des gens issus de toutes les régions du pays et de toutes les extractions sociales. Ceux qui étaient issus de famille aisées ne se montaient pas la tête et les gagne-petit ne se sentaient pas mis sur le côté. Chacun faisait sa part des corvées qu’il n’était de toute manière pas possible de sous-traiter, les « juteux » étant très stricts en la matière et vérifiaient si l’exécutant était bien celui qui avait été désigné par le rôle.
    Ce brassage à l’époque plus social qu’ethnique a permis le développement harmonieux des solidarités du moins pendant la durée du service , que ces dernières aient été oubliées dès après la quille est dans l’ordre des choses. 

    La dispersion sociale est une réalité mais au moins pendant 12 mois tout le monde avait été sur un pied d’égalité et des amitiés se sont quand même nouées.

    Aujourd’hui la France est malade de ces groupes ou communautés qui ne se fréquentent plus et qui n’ont même plus envie de se connaître. 

    Le lien social qui avait pendant un an réuni des gens si différents de culture et de moyens a pourtant immanquablement laissé des traces : je connais fort peu de personnes de mon âge qui ne regrettent pas cette expérience.

    On a préféré envoyer au chômage sans grande chance d’en sortir des classes entières plutôt que de leur faire acquérir la moindre utilité sociale par des formations que dispensait l’armée.

    Avec un certain bonheur en tout cas si l’on compare les résultats d’antan avec ceux proprement insuffisants des multiples organismes aujourd’hui chargés de la formation.

    C’est vrai aussi qu’un mois, c’est peu, c’est même un projet symbolique. 

    La France qui parvient à allouer des crédits quasi illimités à l’armement destructif ne trouve pas un centime pour rétablir un service digne de ce nom, ce qui pourrait être la solution à la fragmentation de la société qui, si l’on n’y prend garde, détruira le pays.

    Mais oui, j’oubliais, ce n’est pas rentable de rendre à sa nation la cohésion qu’elle perd, c’est peut-être même contre-productif.


  • Elliot Elliot 18 mai 2018 13:16

    J’ai fait mon service militaire à une époque où les seules dérogations étaient liées à l’état de santé ou physique.

    Nous étions réunis dans de grandes chambrées où se coudoyaient enfants de la bourgeoisie et gueux des campagnes. Certains de mes compagnons avaient de beaux diplômes et d’autres étaient illettrés voire analphabètes.

    Si, à l’époque, j’avais l’impression de perdre mon temps ( j’ai fait un an de service dont 8 en Allemagne ) dans de fastidieux exercices répétitifs, j’ai révisé mon jugement avec le temps.

    Ce passage m’a permis de rencontrer des gens issus de toutes les régions du pays et de toutes les extractions sociales. Ceux qui étaient issus de famille aisées ne se montaient pas la tête et les gagne-petit ne se sentaient pas mis sur le côté. Chacun faisait sa part des corvées qu’il n’était de toute manière pas possible de sous-traiter, les « juteux » étant très stricts en la matière et vérifiaient si l’exécutant était bien celui qui avait été désigné par le rôle.
    Ce brassage à l’époque plus social qu’ethnique a permis le développement harmonieux des solidarités, que ces dernières aient été oubliées dès après la quille est dans l’ordre des choses. La dispersion sociale est une réalité mais au moins pendant 12 mois tout le monde avait été sur un pied d’égalité et des amitiés se sont quand même nouées.

    Aujourd’hui la France est malade de ces groupes ou communautés qui ne se fréquentent plus et qui n’ont même plus envie de se connaître. Le lien social qui avait pendant un an réuni des gens si différents de culture et de moyens a immanquablement laissé des traces : je connais fort peu de personnes de mon âge qui ne regrettent pas cette expérience.

    On a préféré envoyer au chômage sans grande chance d’en sortir des classes entières plutôt que de leur faire acquérir la moindre utilité sociale par des formations que dispensait avec un certain bonheur l’armée en tout cas si l’on compare les résultats d’antan avec ceux proprement insuffisants des multiples organismes chargés de la formation.

    C’est vrai aussi qu’un mois, c’est peu, c’est même symbolique. La France qui parvient à allouer des crédits quais illimités à l’armement destructif ne trouve pas un centime pour rétablir un service digne de ce nom ce qui pourrait être la solution à la fragmentation de la société qui, si l’on n’y prend garde, détruira le pays.

    Mais oui, j’oubliais, ce n’est pas rentable de rendre à sa nation la cohésion qu’elle perd, c’est peut-être même contre-productif.


    • Eric F Eric F 18 mai 2018 14:26

      @big or no
      Cela tient de la nostalgie de sa propre jeunesse ! J’ai aussi un souvenir ému du Service, alors que je me suis ennuyé ferme et ai perdu un an, désormais le but est de retirer quelques milliers de personnes des stats du chômage.


    • Ouallonsnous ? 18 mai 2018 18:24
      @big or no

      Tu es trop négatif pour être sincère !

    • JC_Lavau JC_Lavau 18 mai 2018 18:28

      @Ouallonsnous ? Si t’es sincère, desserre-les.


    • Eric F Eric F 19 mai 2018 09:28

      @Vraidrapo
      Après fin de la guerre d’Algérie, les « soldats du contingent » n’ont plus été envoyés sur des terrains d’action, et la défense nationale du territoire a pour sa part reposé sur la dissuasion -les éventuels agresseurs potentiels n’étant plus des pays de proximité-. De ce fait, il n’y avait plus d’« enjeu » lié au service militaire, devenu simple routine.

      Il y a des expériences variées (en ce qui me concerne, à part la vacuité, je n’ai pas à me plaindre) , mais l’idéalisation qui en a été fait ces dernières années en terme de « melting pot » est un leurre, le brassage géographique s’effectue désormais du fait des déplacements, on ne voit plus de jeunes de 20 ans qui n’avaient jamais quitté leur bourgade, et le brassage social n’existait guère. Quant à l’« apprentissage de la discipline », s’il n’est pas fait en âge scolaire, le temps perdu ne se rattrape pas.
      Vous parlez de « mauvais esprit », mais rappelez-vous que pour les « appelés » de base, la durée du service militaire était structurée par le temps restant à passer avant la quille.

  • foufouille foufouille 18 mai 2018 16:17
    il existait aussi le service d’objecteur de conscience.


    • foufouille foufouille 18 mai 2018 17:49

      @Raymond75

      c’était pour l’auteur, début 90, c’était un service civil pour sans dents deux fois plus long.
      tout le monde n’aime pas les casernes et les cheveux rasés.


  • clermontparis 18 mai 2018 18:39

    2 ans en Algérie . Pas de brassage social pour mon cas . Uniquement des ouvriers , des employés et des jeunes dans les services publics ( poste , edf , sncf ) , très très peu de fils de paysans ( assez indispensables à la bonne marche de l’exploitation familiale tout au moins dans le département du Cantal ) Une exception ,le gendre du préfet de la Somme . 

    Mais mon cas n’est peut-être pas représentatif ?
    L’objection de conscience . Assortie de combien de mois de prison ? perte des droits civiques ? ne pas réintégrer sa fonction pour ceux qui avaient réussis un concours de la fonction publique , fonctionnaires ?
    Pour entendre aujourd’hui que j’ai très certainement participé à un crime contre l’humanité .....
     La seule leçon valable , ce n’est qu’après un an de service armé comme militaire que je l’ai vraiment apprise . Détaché un an comme chauffeur poids lourd et manutentionnaire à travailler pour la poste et la SNCF avec des Algériens de souche comme on dit . Je ne les torturais pas pour leur faire dire s’ils étaient au FLN ou à l’ANL . Ils étaient soit l’un soit l’autre et ne s’en cachaient pas . Devant un café nous discutions interminablement et amicalement des postes qu’ils occuperaient après le départ des français . C’est à dire de leur promotion pour occuper les postes intéressants qui allaient se libérer . Mais je sais que ces personnes compétentes pour la plupart n’ont que très rarement obtenues satisfaction . Comme dans tous les pays ce sont les résistants de la dernière heure ou leurs amis, souvent incompétents , qui les ont occupés . 
     

    • Eric F Eric F 19 mai 2018 09:32

      @clermontparis
      c’est peu être plus tard qu’a été mise en place la « coopération » pour ceux qui refusaient l’aspect « militaire » du service, mais acceptaient de servir dans l’humanitaire avec une durée plus longue.


  • ticotico ticotico 18 mai 2018 23:01

    J’avais déjà le syndrome du déserteur... envoyé en Allemagne dans un régiment dur... j’en suis revenu au bout d’un mois, « diplômé P4 »... titre de gloire à l’époque... Heureusement qu’ils m’avaient envoyé dans cet endroit sinistre où de parfaits abrutis avaient décidé de nous « apprendre la vie ». Très motivant pour trouver la porte de sortie. Je leur avais foutu une belle trouille quand ils m’avaient donné un PM avec de vraies balles dedans, je me tournais dans tous les sens en disant « je peux pas tirer » ... et hop... éjecté. Dommage, j’ai raté mon année d’initiation au tabagisme, à l’alcoolisme, au détournement de matériel et à la baston (la distraction dans le coin, c’était d’aller boire avant de se bastonner avec les militaires US et allemands des casernes voisines)... Pour Macron, faut pas s’inquiéter, son « idée » est impossible à mettre en pratique...


  • Esprit Critique 19 mai 2018 01:14

    L’initiation de jeunes musulmans de nos banlieues au maniement des armes devrait accélérer le processus de mutation vers une république islamique déjà bien entammé.


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