mercredi 25 septembre 2013 - par Sylvain Reboul

Vers une politique de centre-gauche en Allemagne ?

Toute la presse française (et allemande) parle du « Triomphe » de Madame Merkel, réélue, comme nul(le) autre en Europe depuis la crise, pour la troisième fois, avec une majorité relative renforcée. Il n y a aucun doute : son habileté politique est exceptionnelle en particulier pour éliminer, sous un faux air maternel, ses meilleurs amis ou alliés qui pourraient lui faire concurrence ou gêner sa politique, comme on vient de le voir dans le cas du FDP (parti ultra-libéral sur le plan économique, mais « progressiste » sur le plan sociétal) éliminé du parlement, et dont elle avait fait en parole son allié privilégié pour ensuite ordonner à ses troupes de ne pas voter pour lui lors du deuxième scrutin concernant le vote proportionnel.

Il faut rappeler en effet que chaque citoyen a, en Allemagne, deux voix à exprimer lors des élections parlementaires : une voix pour un candidat à élire à la majorité et une voix pour une liste de parti à élire à la proportionnelle. Cette double élection permet à chaque citoyen de panacher son vote par exemple de voter pour la liste d'un parti (ex : FDP), mais aussi de voter pour un candidat d'un autre parti(ex : CDU). Or Madame Merkel, contrairement aux dernières élections législatives et dernièrement à celles du Lander de Basse-Saxe (ce qui avait permis aux sociaux-démocrates et aux verts de gagner cette élection) a demandé expressément et publiquement aux membres de son parti (CDU) et à ses sympathisants de ne plus voter pour le FDP. Le score exceptionnel de son élection exprime donc logiquement la glissement des voix du vote à la proportionnelle d'électeurs qui avait l'habitude de voter à ce scrutin pour le FDP pour provoquer un coalition CDU-CSU-FDP. Il faut donc comprendre que triomphe de Madame Merkel est la conséquence d'une défaite annoncée de la FDP par Madame Merkel en personne. Cette défaite a donc été provoquée par elle pour mettre fin, sans le dire mais en le faisant, à la coalition antérieure et rendre ainsi possible une nouvelle coalition plus au centre- gauche de l'échiquier politique. Quelles sont les raisons qui l'ont conduite à opérer une telle manœuvre, laquelle est en grande partie à l'origine de son succès ?

La première raison est qu'elle a été pendant 4 ans paralysée par sa collision avec les deux partis alliés plus à droite, mais moins adroits, qu'elle, le FDP et La CSU bavaroise, sur les questions familiales et sur celle du SMIG et des retraites. Ce qui fait qu'elle n'a pas pu gouverner à sa mesure pendant la dernière législature, toujours empêchée de prendre des décisions dans le domaines social et sociétal. La seule décision qu'elle a imposée a été est l'abandon du nucléaire en accord avec les verts !

La deuxième raison, plus profonde, est qu'elle sait, car elle l'a appris par l'expérience de ses législatures précédentes, que l'Allemagne est un pays à la fois social-démocrate et fédéral dans son fonctionnement. La codécision syndicat-patronat dans les grandes entreprises et les négociations rituelles obligatoires dans toutes les branche, ainsi que le besoin de protection sociale, elle qui vient de l'est, de la majorité des allemands font que l'Allemagne ne peut pas se permettre une politique ultra-libérale, sauf à briser le consensus social qui fait une grande partie force du soi-disant modèle allemand dans le domaine industriel. Enfin le fédéralisme impose un consensus pour la plupart des toutes décisions à caractère social entre les lander, c'est à dire le Bundesrat et le parlement fédéral (le Bundestag). La question de la social-démocratie en Allemagne n'est donc pas seulement politique, dont l'enjeu serait de savoir quel parti doit gouverner le pays, mais (car) elle s'inscrit dans les structures sociales allemandes elles-même let es rapports idéologiques qu'elles génèrent, profondément sociaux-démocrate . Ainsi les électeurs allemands ont voulu par leur vote imposer une grande coalition à la chancelière d'abord en élisant un Bundesrat, issu des élections dans différents lander, gauchisant afin de limiter le pouvoir d'une majorité CDU-CSU/FDP au parlement fédéral .trop à droite et qui plus est, impuissante à gouverner du fait des bisbilles incessantes entre les alliès de droite de la précédente législature.

La troisième raison est donc que si madame Merkel et son parti sont de centre-droit, ils ne sont pas de droite comme peut l'être par exemple l'UMP dans sa majorité en France. Son parti reste dans la majorité de ses membres et militants un grand parti populaire inspiré par le « socialisme chrétien » et les églises qui se réclament de lui, y compris l'église catholique en Allemagne dont le pape François, après l'église luthérienne, se fait aujourd'hui un défenseur explicite(« je n'ai jamais été de droite ». S'ils ne sont pas de droite ou ultra-libéral sur le plan économique, c'est qu'ils ne peuvent pas l'être en tant que grand parti populaire de gouvernement en Allemagne (si tant qu'ils puissent l'être en France).

Pour toutes ces bonnes raisons madame Merkel a eu raison de renverser la table afin de retrouver une majorité de centre gauche plus conforme à ses vœux mais surtout à ceux de la grande majorité des allemands comme l'ont montré toutes les élections locales et les sondages précédant les dernières élections . Son triomphe lui impose d'imposer sa propre voie, avec l'appui des membres et responsables gauchisants de son propre parti (ex : Madame von der Leyne, ex ministre du travail ), à savoir de composer avec le SPD et les verts pour gouverner en cette période de crise et de déchirement de la société allemande dont il fait rappeler qu'elle compteplus de 3 Millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Ainsi Madame Merkel, et elle l'a sans doute voulu, n'a plus de majorité à droite pour gouverner ni au parlement fédéral (Bundestag), ni au sénat et dans les régions (Bundesrat). Or, ne l'oublions pas, le régime allemand n'est pas présidentiel, mais parlementaire, (ce qui sans cesse rappelé par la cour constitutionnelle allemande), elle a dorénavant toute légitimité de gouverner au centre-gauche.

Ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle pour François Hollande et son gouvernement de centre-gauche.

Article envoyé de Hildesheim (Basse-Saxe, Allemagne)



7 réactions


  • Richard Schneider Richard Schneider 25 septembre 2013 17:40

    Que Merkiavel ait souhaité se débarrasser de « ses amis » libéraux, cela est bien possible. Je pense plutôt qu’elle a cru réussir le Grand Chelem - comme Adenauer - et être, toute seule, majoritaire au Bundestag. Et cela n’était pas un rêve inaccessible ... La popularité (près de 70% de satisfaits) de la Chancelière pouvait laisser envisager un tel résultat.

    Certes, il existe des nuances au sein de la majorité actuelle en ce qui concerne l’Europe. La CSU bavaroise est nettement moins favorable à l’européïsme que la CDU. En outre le parti anti-euro n’a pas fait un mauvais score dimanche dernier. Mais la grande majorité des Allemands n’est pas anti-euro ; elle est pour une « Europe allemande » et un « euromak ». C’est exactement la position de Merkel. Aussi me semble-t-il prématuré de parler de « politique centre-gauche » pour ces quatre prochaines années. La CDU et surtout la CSU restent solidement attachées aux valeurs du capitalisme libéral et mondialisé. Je ne pense pas que Hollande obtienne quoi que ce soit de tangible de la coalition qui se prépare à Berlin. Avec à peine plus de 25% de suffrages, les socio-libéraux du SPD ne pèseront pas bien lourd face à la toute puissance Chancelière.
    Bonne fin d’après-midi,
    RS 

    • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 25 septembre 2013 17:54

      Vous oubliez un détail qui change tout dans votre commentaire !

      Nous ne sommes ici pas dans une Vème république allemande. C’est le gros défaut, que j’ai souligné dans mon article, de beaucoup de commentateur français : raisonner comme si la république allemande était présidentielle, comme:chez nous, et non pas parlementaire : or dans les nouvelles chambres (Députés et sénateurs) la CDU-CSU est minoritaire ! C’est les SPD-Verts et Die Linke qui feront la loi avec la chancelière, laquelle le sait parfaitement et n’a rien fait, bien au contraire, pour éviter cette situation.


    • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 25 septembre 2013 17:57

      « de commentateurs » , avec mes excuses pour cette coquille et d’autres dans mon article


    • Richard Schneider Richard Schneider 25 septembre 2013 18:34

      Certes, Merkel n’a pas la majorité absolue au Bundestag. Entre nous, ce serait assez marrant que l’opposition présente un candidat sérieux contre elle ! Malheureusement, c’est impossible en Allemagne ...

      D’autre part, admettons que le SPD (et pourquoi pas les Verts ?) refusent la coalition avec la CDU/CSU. Que se passerait-il ? De nouvelles élections. Et alors gare à ceux qui auraient amené le « désordre » dans la gouvernance de l’État.
      De tte façon, que ce soit Merkel avec ou sans SPD, comme tout le monde le sait, à quoi cela servira aux peuples européens du Sud qui sont à la botte de la toute puissante Allemagne ?
      Les Allemands ne quitteront l’Euroland qu’à partir du moment où ils ne seront plus les maîtres. Car un sentiment anti-européen existe chez nos voisins. Il éclatera quand ils auront l’impression qu’ils sont obligés de payer pour les autres. Ce n’est pas l’ordre du jour ... pour le moment : Berlin a encore intérêt à soutenir, à ses conditions, les pays du Sud.


    • Fergus Fergus 26 septembre 2013 10:00

      Bonjour à tous.

      D’accord avec Richard sur le fait que Merkel a probablement tenté d’obtenir la majorité absolue au Bundestag. Son objectif n’était donc pas, à mon point de vue, de mettre en place une politique de centre-gauche, mais bel et bien une politique allemande et européenne dominée par l’ « euromark » comme le souligne Richard avec pertinence, mais une politique probablement teintée de social par la création d’un salaire minimum.

      Un pari raté, au grand dam (malgré ses sourires) de la Chancelière qui se trouve confrontée à la nécessité de mettre sur pied une coalition avec le SPD. Des socialistes qui vont vendre très cher leur ralliement, la culture de consensus allemande imposant de facto cette coalition. Très cher car il ne faut pas oublier que la 1ere coalition du même type avait coûté 11 points au SPD, pourtant les véritables maîtres d’œuvre de la politique suivie alors par le gouvernement Merkel .

      Tout le talent de la dame est là : dans cette faculté à récupérer les qualités des autres à son profit. Mais comme dit le proverbe allemand  : « Gebranntes Kind scheut das Feuer », l’enfant brûlé craint le feu, dont le sens  équivaut à notre « Chat échaudé craint l’eau froide ». Un proverbe que les caciques du SPD ont, plus que jamais présent à l’esprit !

      Cordialement.


    • Richard Schneider Richard Schneider 26 septembre 2013 11:03

      Bonjour Fergus,

      Il est vrai que certains de la SPD gardent un très mauvais souvenir de la dernière Grande Coalition. Vous le rappelez opportunément : les élections de 2009 ont eu des résultats catastrophiques pour le parti social-démocrate ...
      Mais avec seulement 25% des suffrages, je ne crois pas qu’il sera en mesure de peser véritablement sur la gouvernance allemande ; il aurait fallu que le score soit beaucoup plus serré.
      En fait, Merkel continuera très fermement sa politique hégémonique dans la zone euro et, forte de sa légitimité politique incontestable, Hollande (et les autres) - peut-être en râlant - seront obligés de suivre.
      Bonne journée.

  • COLLIN 26 septembre 2013 00:23

    « le cas du FDP (parti ultra-libéral sur le plan économique, mais « progressiste » sur le plan sociétal) »

    Mais c’est exactement le positionnement du « Parti Solférinien »....  smiley


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