samedi 31 juillet 2010 - par Loïc Decrauze

Viser la tête !

Vingt ans d’écriture, depuis la Guerre du Golfe, pour répondre à la devise : « Croquer les malfaisants. Dire au risque de se contredire. Ne se convertir à rien. » Extraits de Abécédaire d’un pamphlétaire au fil du temps :

A comme Abandon

Beauté du monde et joie de vivre n’éclairent pas mes cieux. Je ne me juge même plus digne de pamphléter, si ça ne concerne pas ma propre déliquescence. Comment pourrais-je encore soutenir une critique alors que j’ai tout échoué. Sens de l’humour, un chouïa, sens des affaires, pour le gouffre, sens de la vie, je ne l’ai plus, si je l’ai eu un jour. Les pages de lamentations suffisent.

Positiver, scandent les âmes constructives. La volonté de se battre suppose, aux entournures, quelques fibres frissonnantes. Piètre passion pour ce monde que je ne saisis pas. J’y suis comme un poisson sur la berge. Mon agitation ne fait qu’accélérer ma perte. (1994)

B comme Betancourt (Ingrid)

Otage héroïque dont l’entendement a vite décliné après sa libération. Dès qu’on lui présentait l’acronyme F.A.R.C., elle s’écriait : « Flouze A Réclamer Comptant ! ». (2010)

C comme Carlos (Le terroriste)

Son œuvre se résume à quelques dizaines de cadavres et à plusieurs centaines d’écharpés, d’amputés et d’infirmes à vie. Il va enfin connaître la Cour d’assises et son jury populaire, à défaut de peloton d’exécution sommaire. Epais bonhomme que l’on imagine mal en dentelles, d’un charisme probable, peu enclin à ce qu’on lui grignote des poux sur le crâne, il fascine des chroniqueurs et semble exciter quelques chroniqueuses.

Friandise de l’anecdote : les agents de la dst française lui seraient tombés sur le paletot, alors qu’anesthésié il allait se faire liposucer un peu de gras double, bouée intégrée qui le rapproche du bibendum. Enfant, Carlos se faisait traiter de petit gros ; il avait juré de prendre sa revanche sur ce monde. Le big lard aura été rattrapé par son bide. (1994)

D comme De Gaulle (Charles)

Général ayant connu des débuts difficiles, notamment par une difficulté extrême à se faire entendre des Français : quatre terribles années pour son Appel et douze ans pour son discours de Bayeux. Lui, au contraire, a parfaitement compris les démons de son peuple : une épuration, mais pas trop longtemps, une décolonisation, mais pas trop vite, la chienlit, non ! Le gaulliste demeure encore aujourd’hui le déguisement préféré de nos politiques. (2010)

E comme Epicure

Lors de l’étude de la Lettre à Minécée avec ma charmante étudiante Valérie R., découverte du procédé de dénigrement déformant utilisé par la chrétienté envers l’épicurisme comme le feront plus tard les révolutionnaires de 1789 à l’égard de l’aristocratie.

Pour mieux asseoir son autorité sur les fidèles, le christianisme moyenâgeux va colporter l’image d’un Epicure assoiffé de jouissances amorales. En réalité l’anti-stoïcisme veut redonner à chacun la faculté de diriger sa propre existence sans l’obsession castratrice engendrée par une ou des entité(s) divine(s) à la tutelle jugeante et à la sanction terrorisante. Epicure n’oublie pas pour autant les vertus de la sagesse, mais une sagesse dégagée des manipulateurs de la multitude bernée. Ses conceptions sur la mort et l’univers sont d’un modernisme saisissant. Par ses critiques, il répondait, au IIIe s. av. j.-c., aux dérives intégristes du christianisme, à son bien et à son mal imposés et à la remise de son destin spirituel au grand Manitou-Dieu érigé par les potentats du dogme pour mieux brider les ouailles fidèles. Un visionnaire, en somme. (2000)

F comme Fanatisme

Marre de ces illusions idéologiques, de ces faux-semblants respectueux. L’exil que je me suis imposé me libère d’un joug et m’ouvre à l’indépendance d’esprit. Une salutaire évolution pour qu’éclate la complexité de mon positionnement, reléguant aux antiquités existentielles mon fanatisme débridé. Je ne renie strictement rien, ne regrette pas une once, mais je ne m’empêche pas pour autant un état des lieux critique. (2001)

G comme Gravats (Premier des)

La Turquie compte ses morts par dizaines de milliers et le scandale de l’incompétence crasse des autorités, qu’elles soient centrales ou locales, s’amplifie. Un journal a même écrit, avec la veine pamphlétaire que j’affectionne, que le président constituait le « premier des gravats » à évacuer au plus vite. En France aussi un ménage grands fonds serait de bon aloi.

Les promoteurs immobiliers turcs ont du souci à se faire pour leur sécurité. Certains immeubles, édifiés avec du ciment mélangé à du sable et des coquillages pour donner une note d’exotisme, sans doute, ou de touche locale selon les endroits, se sont lamentablement écroulés et simplifient le labeur des sauveteurs : là, aucune chance de survivants ! (1999)

H comme Humanistes

L’entêtement de certains humanistes à ignorer qu’un ordre fort doit canaliser les penchants massacreurs de l’humanoïde les rend complices des bains de sang.

A quoi bon avoir mis fin à certains Etats forts d’Europe de l’Est. Combien les peuples, la base peu soucieuse d’une liberté d’expression, vivaient alors plus sereinement. A ma connaissance, aucun journaliste n’a souligné clairement le calvaire de la démocratisation chez des populations figées dans les rancœurs ethniques. Il n’y a qu’un pas pour l’apologie du totalitarisme dans ces situations de violence inextricable. Certes, ce système a ses exclus, ses têtes de Turc torturées dans les cul-de-basse-fosse. Mais le gros du bon pôple peut compter sur une sérénité quotidienne, avec toit et nourriture.

L’aura du démocrate, dans ces contrées immatures, est une couronne mortuaire. (1994)

I comme Inadaptation

Sinistre tentative d’intégrer des lieux en solitaire là où on ne va qu’en groupe. Comme j’aurais pu l’anticiper, rien de bon n’en est sorti. Observer les étalages de frime, de faux-semblants, de courbes trop léchées exacerbe une nausée et un dégoût de tout. Peu importe notre passage à un millénaire tout neuf : la persistance d’une inadaptation au monde se confirme. (2001)

J comme Jet Set

Documentaire sur ce milieu. La réalité des Saint-Tropez, Monaco et Monte-Carlo : microcosme de la « futilité », comme le revendique une emperlousée entre deux vautrements, qui égrène ses soirées pailletées d’or fin et d’esprits gras. Entre les vrais friqués, les incrusteuses adroites et les entre-deux qui ont l’air, la superficialité campe sans faiblir.

Avec ses vingt kilos de trop, Maximo a bien réussi dans cet univers : napolitain de souche modeste, mais avec une belle gueule et une silhouette alors musculeuse, il s’est tapé quelques vieilles sacrées comme Greta Garbo (70 ans) et s’est construit un carnet d’adresses sans égal. Serais-je passé à côté de quelques pistes ? Je préfère mon retrait du monde à ces mascarades fêtardes. (2000)

K comme Kouchner (Bernard)

Humanitaire à paillettes, avec élastiques anti-fuites, qui délivre ses rengaines sans constater le moindre changement. (1994)

L comme Le Flock Prigent (Loïk)

L’ancien pdg d’Elf affirme que les commissions occultes et les emplois fictifs ont été en usage sous tous les présidents de la Ve qui avaient annuellement connaissance de la liste des favorisés, de cette nomenklatura illégale. Les pratiques touchaient toutes les entreprises publiques qu’il a dirigées (la sncf, par exemple) et tout le personnel politique en a profité plus ou moins directement, ou en avait connaissance... Quel panorama ! Le tous-pourris est-il si abusif lorsqu’on veut dépeindre les moeurs économico-sociaux en politique ? (2001)

M comme Magistrature

Les juges français poursuivent leurs investigations terrorisantes dans les milieux politiques. Carignon est maintenu en prison, Longuet se trouve sur la sellette. Jusqu’à quel point les juges d’instruction confondront-ils équité d’un pays de droit et acharnements parcellaires, démesurés. A l’abus de biens sociaux qu’ils brandissent, nous pourrions leur opposer le détournement de pouvoir à des fins de jouissance personnelle. La magistrature est l’une des dernières corporations intouchables dont il faudra un jour ausculter sans complaisance les usages. (1994)

N comme Niches fiscales

Amusante anecdote narrée par le gros Beynard, maître d’œuvre de nos travaux dirigés en droit fiscal des affaires. Chaque individu peut déduire de ses traite­ments et salaires dix pour cent au titre d’une évaluation forfaitaire des frais professionnels. Toute une série de fonctions (V.R.P., pilotes d’avion, mannequins) se voient accor­der un abattement supplémentaire pou­vant aller jusqu’à quarante pour cent. Au cours des années soixante-dix, décision d’organiser une grande émission télévisuelle contre ces pri­vilégiés, puis de mettre au point une grande marche en référence à la Nuit du 4 août et à l’abolition des privi­lèges. Un journaliste s’informe auprès de notre narrateur sur sa situation fiscale. Beynard lui rappelle alors qu’il fait parti des privilégiés (déduction supplémentaire de vingt pour cent). Aïe, le bouche-à-oreille fera son chemin : plus d’émission ni de défilé. (1991)

O comme O.N.U.

L’onu vient, encore une fois, de nous démontrer sa totale incapacité à faire respecter ses décisions. Même plus un grand machin, juste un petit, un tout petit truc crotté. Les politiques occidentaux s’étaient gonflés de fierté lors de la si tardive intervention pour arrêter le dépeçage de Sarajevo. Avec quelques raids ridicules d’avions bleus, on se croyait invulnérable, ponte du Droit international. Foutaise de technocrates à l’intellect sclérosé par tant d’ineptes procédures pour envisager un numéro de résolution à expédier au plus vite dans les fosses onusiennes.

L’onu est plus que jamais le repère de l’intellectualisme stérile, des principes pour la bonne parole, des escrocs de l’action politique. Rien, nenni, que dalle, peau de zob. Gorazde, ville musulmane de la feue Yougoslavie, est en cours d’extermination, de réduction en cendre, d’anéantissement par la pisserie du sang d’innocents. Les casques bleus lacèrent leur béret, désespérés que leurs responsables les aient, à ce point, castrés. Les Serbes massacrent allègrement, jouant le jeu de la guerre à plein. Les instances, gavées de crédits pour faire respecter une prétendue justice internationale, se désolent dans de confortables antichambres. Lamentable d’abjection. (1994)

P comme Paris ou Big Lutèce

Tu aimes notre capitale... moi non plus comme le chanterait Gainsbourg. Certes Big Lutèce forme une concentration extraordinaire de l’univers humain, mais cette tendance à l’entassement excessif, signe de notre toujours persistante nature grégaire, ne favorise pas la qualité individuelle. (1996)

Q comme Quarantaine

Maussade nuit de samedi à dimanche, comme des myriades que j’ai sacrifiées. Finalement, je me suis abstrait du monde, ma Quarantaine s’affirme imparable, je n’ai plus rien à espérer de cette vie. Lamentable sort d’autodestruction, d’effondrement intellectuel, d’avachissement existentiel. Trente ans pour un désastre silencieux, clandestin et dérisoire. Tant de rencontres pour qu’aucune complicité, qu’aucun partage n’en émerge. Pour les meilleurs de ceux que j’ai croisés, je ne suis plus qu’un très vague souvenir. La mort n’est pas loin. (2000)

R comme Rabelais

Rabelais, renais ! ils amplifient leur folie : progrès technique sans éthique mine l’âme… (2009)

S comme Soleil

Petit film scientifique sur les secrets du soleil. Magnifique découverte de l’histoire de cette quête de connaissance sur l’astre. Une mise en perspective du colosse en fusion-ébullition qui relativise tout le reste. A ces échelles, l’histoire de la terre, n’abaissons même pas l’angle à l’humaine, n’est qu’un épiphénomène. Quelle beauté saisissante que ces éruptions solaires, ces tempêtes magnétiques, ces forces incommensurables qui se déchaînent. De ce chaos, toujours recommencé, les neutrinos en nombre astronomique permettent la vie.

Une grande leçon de modestie, d’humilité lorsqu’on songe à la fragilité inouïe de notre système solaire et à l’ordonnancement du tout. Si l’humanité avait un tant soit peu l’objectif de perdurer sur une durée infinie, elle devrait s’exiler d’ici un à deux milliards d’années dans un autre système, le nôtre étant voué, après la fin en forme d’apogée du soleil, à devenir une naine blanche. Certes les durées avancées sont hors de l’échelle humaine, et semblent absurdes à évoquer. Il convient au moins de le savoir, ce qui fait la caractéristique de notre condition. Impossible maîtrise, mais conscience du tout. (2000)

T comme Techno (La)

Musique hormonale par excellence, elle provoque des trépidations corporelles. Les décibels flirtent avec les sommets, au point de contraindre le cœur à tressauter au rythme de la mélodie en cours.

Etuve chauffée du jeune monde en transes : on imagine aisément le plaisir paroxystique de l’allumé psychotique déterminé au massacre à la Rwandaise. Les flashes blancs découvriraient quelques viscères au rouge. De la mélodie organique pour fêlé du ciboulot. (1994)

U comme Ubiquité stellaire

Le Bring on the night de Sting sur scène, avec un virtuose des blanches et noires, vous envoie vers l’ubiquité stellaire, des ondes musicales comme un voyage à la vitesse des sens, tous azimuts, sans limite, inénarrable décollage vers les cimes de l’impro, chef d’œuvre incarné des élancements rythmés. (2008)

V comme Vengeance

Ce matin, dans la pommeraie, nous découvrons la piscine éventrée par des branleurs de seconde zone. La rage nous prend au ventre. Des envies d’os brisés et de gueules en sang montent en nous. Nos tripes sont incandescentes.

La sanction sera plus subtile. Après repérage de l’ouverture par laquelle ils se sont glissés, nous la truffons de tessons de bouteilles pour honorer leur prochaine visite. Si intention récidiviste il y a, les chairs tailladées rabougriront ces piètres merdeux. (1991)

W comme Webunivers

Internet ne fait qu’amplifier les divergences, chacun propageant sa conception sur la toile sans jamais s’essayer à comprendre l’ennemi déclaré. Triste farce du « village planétaire », oxymore idyllique que la seule évolution des communications et du transport ne pouvait réaliser. Quoique, si ! bien sûr, c’est un dangereux Clochemerle avec six milliard de villageois qu’ont enfanté les déplacements frénétiques et le webunivers. (2009)

X comme XXIe siècle

Dernières heures de cette année 2001 qui ne nous aura pas offert l’Odyssée de l’espace, mais les abysses barbares. Si on la retient comme l’année d’entrée dans le xxie siècle avec, pour une fois, conjonction entre la logique numérologique et les aléas historiques, elle se hisse aussi comme parangon des penchants les plus primaires de l’être humain. Pauvre monde englué pour longtemps encore dans ses travers toujours recommencés. La gorgone à deux têtes Bush-Laden n’obéit qu’à deux motivations : dominer et posséder. Du classique depuis les grottes cromagnonnes ! (30 décembre)

Y comme Yougoslavie

Le potage yougoslave m’indiffère totalement. Le scénario ne bouscule pas trop mes tripes. Je n’essaye même pas de retenir les noms barbares des hordes ennemies : aucun Saddam Hussein ne vient, flamboyant, éclairer le sinistre tableau. Les militaires onusiens avaient été priés, par un petit chef perdu, de n’intervenir, avec toute la fermeté d’un bleu, que lorsque les parties ennemies ne se tireraient plus dessus. Sir Fanfan Mité est venu, poitrine tombante en avant, tel un condottiere sur son hélico, libérer des forces maléfiques et des mauvais courants l’aéroport de Sarajevo. Rien à faire : ça me fait toujours bâiller. (1992)

Z comme Z.I.

Passage par les zones in­salubres d’Aubervilliers : dégénéres­cence des gens, laideur sor­dide des bâtiments, gri­saille générale qui se répand comme une sale peste. (1991)



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