jeudi 15 mars 2018 - par Gabriel

Vive la vie !

 

 Bonjour Madame, aujourd'hui comme chaque jour, sans en avoir pleinement conscience, je viens frapper à la porte de votre éternité. Les lignes qui vont suivre ne sont que prétexte à démystifier, exorciser la panique et le trouble que vous inspirez. Nos sociétés modernes préfèrent vous ignorer et pour cela vous ont sacralisé en vous élevant au rang de tabou suprême. Je rédige cette missive d'une bien pauvre sémantique mais avec un profond respect car ceux qui, sans votre autorisation vous ont approché de trop près et vous ont froissé, d'un départ prématuré l'ont payé. Je ne vous vois pas comme une terrible épreuve, mais vous ressens comme une grâce et ce n'est pas vous qui êtes triste mais, malheureusement trop souvent, ce que nous avons fait de nos vies. Ne trouvez-vous pas étrange que ce soit en vous côtoyant que je me sente terriblement vivant ? Vous nous invitez à un voyage surprise où, notre courage, notre probité sont mis à rude épreuve. Vous n'êtes pas une fin, mais une suite naturelle, un passage nécessaire. Ce n'est pas vous qui nous effrayez, mais notre ignorance, notre méconnaissance, notre anxiété de l'inconnu. Je sais au plus profond de mon âme que vous êtes l'aurore d'une vie nouvelle, d'une vie meilleure, un calme sommeil aux rêves sans limites...

 De moissonner, vous n'êtes pas pressée, vous avez tout votre temps. Avec les guerres, les tyrans, les famines et les moutons qui défilent aux sons des clairons, trop de clients, trop de prétendants à gérer. Tomber aux champs d'horreurs et des mensonges de leurs ainés pour s'enorgueillir d'un monument coiffé d'un drapeau empestant le sang. Voilà bien de quoi vous faire rire aux éclats ou vous attrister. Ils ignorent que le jour de la bataille tous ceux qui doivent y prendre part ont le même âge, car tous aussi près de vous, vous frôlent, vous cherchent, vous agacent. Ça se bouscule aux portes des cimetières, les fosses communes débordent et on affiche complet à l'entrée des nécropoles. Ne les avons nous pas prévenus de fuir les porte-drapeaux, les politiciens, les fanatiques, les enragés, les doctrinaires qui les envoient mourir pour leur gloire éphémère, leurs croyances haineuses, leurs dogmes sectaires, que cela était une question de santé mentale, de survie.

 Ils se servent de vous pour inspirer la peur afin d'alimenter leur commerce. Pour eux, vous êtes l'unique source de leurs religions, car sur nos têtes les prêcheurs ont gravé des croix, des jugements, des purgatoires et des enfers. Ils se croient immortels les imbéciles, alors qu'ils ne sont en fait que les ombres des replis de votre suaire et c'est la faux à la main, le glas aux lèvres, que le temps venu, vous les emporterez.

 À l'aube de ma vie je peux faire ce constat que, vous ayant en permanence sentie à mes côtés, j'ai bien vécu du moins m'y suis je employé. Maintenant la blancheur de mes cheveux annonce les catacombes. Je ne suis pas triste, car j'ai l'audace et la prétention de ne pas vous craindre, mais ce n'est que forfanterie, car même avec la croyance d'un au-delà meilleur, je sais qu'un poison nommé doute infiltrera mon esprit aux dernières secondes. Cette cigüe sera là pour me rappeler à plus de modestie et d'humilité face à l'inconnu. Comment lutter contre cette peur d'avoir peur ? Durant cette attente je me suis organisé à vous accueillir, imaginé le scénario de notre rencontre mais, quoique nous fassions nous ne serons jamais totalement prêts. Les doutes, les regrets, les remords, toutes ces choses qui restent à faire constituent cet inventaire à la Prévert qui mesquinement nous retient de larguer les amarres. Que ceux qui m'ont précédé dans cet ultime voyage me donnent le courage qui m'a parfois fait défaut dans cette vie qui s'achève avec le trépas de mes certitudes.

 Ne sois pas pressé de voir ceux que tu aimes pleurer sur ta tombe me murmurez vous à l'oreille. J'aime que les vivants ne m'attendent pas, ils me cacheraient le plaisir de la surprise mais parfois, je ne déteste pas qu'ils me supplient un peu me confessez vous. Comment pouvez-vous vivre pleinement si vous passez votre temps à me redouter, m'attendre, m'espérer ou m'ignorez ? Ne soyez pas triste, ne me craignez pas mais restez sur terre le plus longtemps possible pour apprendre, découvrir. Vous devez vous souvenir que l'intérêt n'est pas dans la longueur de la vie, mais bien dans la valeur de son contenu.

 De quelle manière viendrez-vous me serrez dans vos bras pour me donner l'ultime baiser ? L'étreinte sera-t-elle douce ou violente ? Allez-vous me surprendre, faire durer notre face à face dans une chambre blanche ou, luxe suprême, fermerez-vous la porte durant mon sommeil ? Que d'options, que d'interrogations inutiles face à l'inéluctable. Quoi qu'il en soit, votre choix sera le bon, car la façon d'en finir fait partie de la leçon de vie. Dernier soupir, le bail arrivera à terme, l'âme et l'enveloppe ne seront plus d'accord, trente grammes quitteront le corps.

 Alors, vous enverrez Charon, capitaine immortel de la nef de l'ultime croisière, me faire traverser l'Achéron. Sur le lac Averne, il fera franchir le Styx. Avant la traversée, je l'aurais payé d'une pièce d’or glissée dans ma bouche. Debout à la proue dans la barque des trépassés, je guetterai la lumière au bout du tunnel, celle qui nous appelle, nous purifie, et nous ramène à la source première... 

 Lorsque la mort nous réclame, l'esprit des sens brise le sceau, car la tombe est un nid où l'âme prend des ailes comme l'oiseau !  

 V.Hugo



27 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2018 10:36

    Merci. La mort est une amie qui vous accueille avec bienveillance si votre coeur y a construit un puit d’amour (certains « aveugles ici sur ce site n’y voient qu’un égo démesuré,...je m’en accommode comme du reste dans la vie. Je sors d’une échange sublime entre Platon et Orphée. 


    Platon : »Quelle est cette sorte d’amour dont ut parles Orphée ? Crois-tu en un amour sourd au bruit du coeur ? Tu voulais la revoir, mais la clé est de savoir s’entendre avec sa moitié« .
    Orphée : Loin des yeux, loin du coeur » n’est-il pas le vrai ? Je voulais la revoir pour mieux reconnaître mon coeur et le savoir vivant, juste en la regardant, elle qu’il aimait. Sa mort est devenue mienne, je ne lui étais même pas survivant.
    Platon : C’est bien là encore ton erreur et le grand malentendu. J’emploie ce mot à dessein car la clé de l’amour n’est pas tant de se voir que de s’entendre. Et lorsque l’aimé est loin de tes yeux, c’est qu’il est temps de faire silence pour écouter son coeur. L’amour que j’ai enseigné est celui qui n’a pas le toit commun pour trait d’union entre deux êtres, il est celui qui transcende et l’espace et le temps en réunissant les âmes originellement séparées,...

    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 10:50

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      Merci pour ce sublime échange entre une Orphée égarée par le chagrin et un Platon éclairée par la vie qui a fait de la mort une amie...


  • Sozenz 15 mars 2018 11:13

    Magnifique texte !
    Merci


  • karibo karibo 15 mars 2018 13:20

    Merci pour ce texte , tres bien écrit ce qui ne gâche rien .

    Pour l’ anecdote, la mort est la fin de cette épreuve qu ’ est le karma, mais pas la fin de notre entité, juste la fin corporelle de l ’enveloppe charnelle , ce que nous ne sommes pas .

  • pallas 15 mars 2018 13:36
    Gabriel

    Bonjour,

    Je ne pense pas qu’elle soit venue vous voir, vêtu d’un ensemble de couleur bleu nuit, couvrant ça tête, faisant un tendre baiser sur la joue gauche et murmurant des mots à votre oreille.

    Des ont dit et témoignage smiley.

    Sur ceux, je pense que mon temps est aussi compter, ça ne me dérange pas.

    Salut


    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 13:40

      @pallas
      Petite licence poétique construite sur le ressenti mais il est vrai, que nous n’avons pas tous le même... Quant à la couleur de ses oripeaux, je suppose qu’ils varient suivant le voyageur.


    • pallas 15 mars 2018 14:04

      @Gabriel

      Bonjour,

      Comment l’a voyez vous vêtu et son apparence ?.

      Pour moi elle me parait sympa.

      Salut


    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 15:54

      @pallas
      Le terme sympa ne veut pas dire grand chose à ce niveau, je la vois comme une justice éternelle, une renaissance nécessaire, un passage obligé pour progresser vers avenir meilleur et inévitable.

      Salut à vous

    • pallas 15 mars 2018 17:36

      @Gabriel

      Personnelement,

      Je la vois comme sympa, une charmante personne et non comme une justice divine ou éternelle.

      Elle est plutôt tranquille, chacun son point de vu n’est ce pas ?.

      Salut


    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 17:53

      @pallas
      Absolument, votre avis, par sa différence, à le même intérêt et la même valeur que le mien et je vous en remercie.


    • pallas 15 mars 2018 18:55

      @Gabriel

      Il n’y a que ceux côtoyant la mort de prêt, la sentant peuvent me comprendre.

      Merci de votre témoignage, votre sentiment n’est pas exclu.

      C’est une dame plein de compassion et de gentillesse, parcontre elle n’est pas idiote, bien au contraire.

       smiley

      Salut


  • Claude Courty Claudec 15 mars 2018 17:43

    La morbidité a toujours fait recette, sans se forcer.


    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 17:54

      @Claudec
      Chacun sa vision de la mort, la votre semble être morbide, dommage.


    • Claude Courty Claudec 15 mars 2018 21:20

      @Gabriel


      Elle « semble » en effet, car je veux simplement souligner que la morbidité fait recette à coup sur, ce que bien d’autres ont fait avant moi. (morbidité s’entendant comme obsession par la mort, je précise).

      Il suffit, pour en avoir la preuve, de considérer à quel point la mort a été depuis toujours au centre de la plupart des œuvres des auteurs en tous genres, petits et grands. Cf. TV, cinéma, littérature ; assassinats et mises à mort y sont des sujets omniprésents. Davantage que l’amour ou le rire, avec lesquels la mort partage souvent la vedette. Probablement la conséquence d’un manque d’imagination qui porte chacun à s’intéresser à ce qu’il y a de plus banal dans la vie ?

      Et pour vous permettre de réviser votre ressenti, sachez que la vision que j’ai de la mort tourne à l’impatience eu égard à mon âge avancé, ayant fait depuis longtemps de ce qui la suivra l’objet supérieur de ma curiosité, refusant de m’en remettre aux charlatans.

    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 21:55

      @Claudec
      La mort n’a rien de morbide, elle est la suite logique de la vie, sa continuité, sa renaissance. Juste un passage où, j’en ai la conviction, l’amour et le rire sont de la partie. Vous avez raison de vous méfier des charlatans, pour ma part, je n’ai rien vendre mais juste essayer à travers mes écrits à donner un peu d’espérance. 


    • Claude Courty Claudec 16 mars 2018 10:10

      @Gabriel


      Voyez simplement comment vous abordez vous-même votre sujet et de quoi parlent les contributeurs à ce fil de discussion : de la Mort, dont le contraire n’est au demeurant pas la vie (en tant qu’existence) mais la naissance.

      La Vie (ou existence), quant à elle, n’est ni belle ni moche, elle est tout simplement ce que chacun veut et peut en faire par ses ambitions, ses aptitudes et son talent, ainsi que par un sort aussi aveugle qu’indifférent, qui lui assigne, à sa naissance, une place à tel ou tel endroit de la pyramide sociale, la suite étant affaire de chance et de circonstances. N’est-ce pas ce à quoi se réduit tout message d’espérance concernant la vie, qui n’est en fin de compte qu’une condamnation à mort.

      Ce qui ne s’oppose pas à ce que la vie, en tant que principe, puisse revêtir esthétiquement des aspects plus ou moins plaisants – voire merveilleux – selon l’imagination, le goût et l’humeur de chacun. 

  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2018 18:58

    J’ai lontemps discuté avec mon médecin. Il est d’accord avec moi. Ceux qui ont une certaine connaissance d’eux-mêmes et travaillent leur glande pinéale ont la possiblilité de choisir le moment et la porte de sortie,...


    • Gabriel Gabriel 15 mars 2018 19:01

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      Vous pouvez approfondir concernant le choix de l’instant ? Merci


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2018 19:10

      @Gabriel

      j’ai une formation psy et jungienne. Je sais, selon mon histoire familiale entre autre le moment où je rejoindrai mes ancêtres dans l’arbre de ma filiation. C’est long à expliquer. Certains croient ou non à la ré-incarnation. Platon oui. Les hindois estiment au contraire la ré-incarnation comme étant un fardeau (ce qui se comprend en fonction de leur philosophie). Personnellement, je ne crains pas la ré-incarnation et conduit ma propre vie (arbre séphirotique) de manière à réaliser ce que je n’ai pu faire dans cette vie si. Ce qui au final, rend la perspective de ma mort assez joyeuse. Déjà à six ans je me disais comme dans le célèbre film : Les Ailes du Désir de Wim Wenders. Pourquoi suis-je née dans ma vie et pas celle d’un autre ??? (une chinoise de Tonkin ou un malienne),...)

    • Francis, agnotologue JL 15 mars 2018 19:30

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
       
       ’’Pourquoi suis-je née dans ma vie et pas celle d’un autre ???’’
       
       Pourquoi deux et deux font quatre ?
       
       


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 15 mars 2018 19:35

      @JL

      Cette question m’a conduite sur la voie de la connaissance, du goût pour les études, la littérature et la création artistique : POURQUOI ? N’est-ce pas le point de départ essentiel de notre existence. Maintenant les jeunes ne pensent plus : Pourquoi ? mais : Comment ? Autre époque. On constate le résultat.

    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 mars 2018 13:00

      @JL


      L’univers pourrait parfaitement se passer de l’homme. Et pourtant celui existe. Pourquoi ?

    • Claude Courty Claudec 18 mars 2018 14:56

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Le même propos peut être tenu concernant n’importe quel caillou. 

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