Vladimir Poutine et l’islam : entre ambivalence et alliances stratégiques
Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a navigué entre des alliances stratégiques avec des pays à majorité musulmane et une politique intérieure parfois répressive envers les minorités musulmanes. Cette ambivalence, oscillant entre coopération très étroite et méfiance, soulève de nombreuses questions sur la manière dont Poutine utilise l'islam comme un outil de légitimation et de contrôle, tout en cherchant à maintenir l'unité d'un pays aussi diversifié que la Russie et à consolider son image de leader mondial de premier plan.
Une vision critique de l'islam
Lorsque Vladimir Poutine, ancien apparatchik ayant fait carrière au sein du KGB, accède au pouvoir à la fin des années 1990, son discours sur l'islam est marqué par une véritable méfiance. À cette époque, la Russie est encore en proie aux conséquences des conflits meutriers intenses en Tchétchénie, où des groupes islamistes ont mené des actions violentes contre l'État russe. En 1999, Poutine, alors Premier ministre et dauphin de Boris Eltsine, déclare que « le terrorisme est une menace qui doit être combattue sans relâche », établissant ainsi un lien direct entre islam et terrorisme. Cette position est renforcée par la guerre en Tchétchénie, où les forces russes sont engagées dans une lutte acharnée contre des séparatistes islamistes.
Au fil des années, Poutine utilise cette rhétorique pour justifier des actions militaires et des politiques répressives. En 2005, il déclare que « l'islam radical est une menace pour la sécurité mondiale », soulignant ainsi une vision qui assimile l'islam à une idéologie violente. Cette approche contribue à alimenter un climat de suspicion envers les 20 à 25 millions de musulmans en Russie, où les tensions ethniques et religieuses sont intensifiées par les conflits en cours.
Un tournant stratégique : l'islam comme outil politique
Toutefois, à partir des années 2010, Poutine commence à adopter un discours beaucoup plus conciliant, voire même plutôt complaisant, envers l'islam, en partie pour renforcer son image sur la scène internationale et apaiser les tensions internes. En 2013, lors d'une rencontre avec des leaders musulmans, il affirme que « l'islam est une religion de paix et de tolérance », marquant un tournant dans son approche. Cette déclaration s'inscrit dans un contexte où la Russie cherche à se positionner comme un acteur clé dans le monde musulman, notamment en raison de ses intérêts géopolitiques et économiques au Moyen-Orient.
Cette évolution est également liée à la montée en puissance de Ramzan Kadyrov, le président de la République tchétchène, qui joue un rôle crucial dans la réconciliation entre le Kremlin et les populations musulmanes. Kadyrov, un fervent défenseur de l'islam, a su établir un contrôle strict sur la Tchétchénie tout en promouvant une image d'un islam « modéré » et loyal envers la Russie. En le soutenant, Poutine renforce ainsi son propre pouvoir tout en s'assurant le soutien des élites musulmanes en Russie.
Kadyrov : un allié indispensable
La relation entre Poutine et Kadyrov est emblématique de cette nouvelle stratégie. Kadyrov, qui a été nommé puis élu président de la Tchétchénie en 2007, a su transformer la République constitutive de la fédération de Russie en un bastion de loyauté absolue envers le Kremlin. En retour, Poutine lui accorde une grande autonomie et des ressources financières considérables. Le tyran tchétchène n'hésite pas à afficher son islamité, se présentant comme un défenseur des valeurs musulmanes tout en étant un allié indéfectible du redoutable maître du Kremlin.
Kadyrov a également été un fervent opposant à l'extrémisme islamique, affirmant que « l'islam ne doit pas être associé à la violence ». Cette position, qui vise à dissocier l'islam, cette religion de « paix et d’amour » selon ses adeptes, des actes terroristes qui prennent de plus en plus d’ampleur au niveau mondial, est en phase avec la volonté de Poutine de présenter la Russie comme un pays où les différentes confessions peuvent coexister pacifiquement. En soutenant Kadyrov, le président russe renforce son image de leader capable de gérer la diversité religieuse de la Russie tout en maintenant un contrôle strict sur les régions majoritairement musulmanes.
La diplomatie islamique de Poutine
Sur la scène internationale, Poutine utilise également l'islam comme un levier diplomatique. En 2015, lors d'une conférence sur la coopération islamique, il déclare que « la Russie est un pays multiethnique et multiconfessionnel, et que l'islam fait partie intégrante de notre identité nationale ». Cette déclaration vise à renforcer les liens avec les pays musulmans et à contrer l'influence occidentale dans la région. Poutine cherche à établir des partenariats stratégiques avec des nations musulmanes, notamment en Syrie, où il soutient le régime génocidaire de Bachar el-Assad, un allié clé dans la lutte contre les groupes islamistes.
En parallèle, Poutine a également renforcé les relations avec des pays comme l'Iran des ayatollahs et la Turquie de l’islamo-populiste Recep Tayyip Erdoğan , cherchant à créer un front uni contre le terrorisme islamique tout en promouvant une image d'unité entre les nations musulmanes et la Russie, pourtant majoritairement chrétienne. Cette stratégie peu orthodoxe lui permet de se positionner comme un leader mondial capable de rassembler les différentes factions de l'islam, tout en consolidant son pouvoir, déjà très fort, à l'intérieur du pays.
Malgré cette évolution vers un discours plus positif sur l'islam, Poutine n'hésite pas à revenir régulièrement à des positions plus critiques lorsque cela sert ses intérêts politiques. En 2017, il déclare que « l'extrémisme islamique est une menace qui doit être combattue », rappelant ainsi les dangers associés à certaines interprétations de l'islam.
Cette ambivalence dans son discours reflète une stratégie pragmatique, où Poutine adapte ses déclarations en fonction des circonstances politiques et les besoins de son régime autoritaire. Elle soulève également des questions légitimes sur la sincérité de son engagement envers les musulmans de Russie. L’idylle affichée entre le maître du Kremlin et l’islam ressemble fortement à un véritable mariage de la carpe et du lapin.
« Le mariage de la carpe et du lapin ne donne jamais rien de bon. »
Françoise Bourdin