lundi 14 mars 2011 - par Aimé Mathurin Moussy

Cameroun : Paul Biya passe la main aux militaires…

Paul Biya aime surprendre, casser les codes, bousculer les conventions. C'est un homme de coups plus qu'un stratège au long cours. Il vient de le prouver en promouvant certains officiers aux grades de généraux. Vendredi 11 mars dernier, sur le dos d’une armée vieillissante, regorgeant des officiers, ayant plus de 50 ans de métier. Cette exception, est camerounaise, quand on s’imagine que le métier de militaire est avant tout physique.

 La gesticulation dans l’immobilisme

Il a été conforme à son personnage, imprévisible et versatile. Il a promu deux ses proches, le commandant de la garde présidentielle et son aide de camp. Lequel commandant de la garde présidentielle, est devenu le chef d’état major de Marine, a été érigé en homme fort de l’armée, en contre-pouvoir aux vieux généraux décatis. Cette promotion, encouragée par ses conseillers militaires occidentaux, était programmée, élection oblige. Ce qui l'était moins, c'est ce qui allait suivre : le palais présidentiel annonçait, dans la foulée, que plusieurs hauts gradés sans postes, reconnaitraient au commandement, les nouveaux promus, comme seuls représentants légitimes des forces armées camerounaises. En marge de cette reconnaissance à la flamme montante, on détaillait l'option privilégiée en haut lieu : des frappes sur des supposés opposants en cas de soulèvement populaire.

L'ennui, c'est que personne, la veille encore, n'était véritablement au courant de cette pathétique blitzkrieg présidentielle. Dans l'entourage le plus proche du président de la République, on expliquait doctement depuis que si Yaoundé apportait un soutien politique à une dictature militaire, cela ne signifiait pas une reconnaissance juridique, puisque le Cameroun, comme chacun sait, reconnaît le pluralisme politique, et non le pouvoir des armes. Quant aux soulèvements éventuels, ou d’une tentative de putsch, des pistes de contention de la meute sont mises en place. On insistait dans l’entourage du président, sur le fait qu'il s'agissait de la mise sur pied, d’une stratégie visant à fragiliser, le pouvoir exorbitant ce certaines chapelles qui minent cette armée… Tout ceci, n’est qu’une option sécuritaire, parmi tant d'autres.

Ce brusque virage sur l'aile sécuritaire a été effectué alors que les puissances occidentales, veulent faire de la démocratie, leur nouveau cheval de bataille. Et pour se prémunir de la pétaudière électorale, pouvant exploser, lors de la prochaine élection présidentielle d’octobre, pas si simple aux yeux du pouvoir, compte tenu des aspirations brûlantes, couvant ici et là ; Paul Biya se veut prudent. C'est peu dire que la chevauchée solitaire de Paul Biya a provoqué une stupeur agacée au sein de l’opposition et de la société civile.

  Et la succession militaire en question

 La classe politique est franchement hostile à toute cette nouvelle aventure militaire de Paul Biya, et ce malheureux épisode ne va pas arranger les relations entre le peuple et son armée. Vendredi, la nomination de nouveaux généraux, et le manque de courage d’envoyer les généraux octogénaires à la retraite, Paul Biya semble recadrer les choses à sa manière : l’armée est considérée comme un "interlocuteur sécuritaire digne de foi", et non le seul légitime, puisque d’autres officines privées et publiques restent agissantes ; la sécurité militaire(SEMIL), la direction de la recherche extérieure(DGRE), le bataillon d’intervention et de recherche(BIR), etc. Quant aux options militaires, au cas où il y aurait vacance de pouvoir, elles sont évoquées avec une prudence de serpent et seront examinées sous condition d'une base juridique claire et du soutien du parti au pouvoir et de ses affidés.

Que reste-t-il de cette armée de papys ? Avant même que le séisme terrifiant de ce vendredi ne se déclenche, n'importe quel observateur était tenté de se demander comment une telle armée pouvait tenir debout. Et même, comment une telle société, tout simplement, pouvait continuer de vivre. Corruption, tribalisme, sectarisme, népotisme. Une population démunie et à l'abandon. Une armée désordonnée et désorganisée, peut-elle résister à une opposition unie et structurée ?

L’observateur politique que je suis, s’est approché de la grande muette camerounaise. Des hommes de troupes aux gradés, le constat est le même : cinglant. Il m’est revenu l'impression d'avoir connu le pire endroit des institutions nationales, l’armée la plus rongée par tous les maux d’une milice : manque de moral des troupes, nominations et promotions arbitraires, absence d’esprit de corps, faible condition physique etc.

On n’a eu l'occasion d'éprouver un sentiment de fin de règne ou de guerre larvée. C’est seulement dans des pays tiraillés et déchirés par des milices qu’on assiste à une semblable chienlit ; c'est comme si ce sont des chefs de gangs opérant chacun dans une zone délimitée pour marquer son influence. Les militaires n’obéissent qu’aux intérêts de leurs différentes obédiences, sans tenir compte des instructions du haut commandement. Voilà le piètre spectacle, auquel, l’usure politique conduit.

 Aimé Mathurin Moussy



2 réactions


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 14 mars 2011 15:41
    Près de 30 ans déjà. Pourtant, le vieux crocodile sait encore y faire.

    "Le gouvernement camerounais a apporté tout récemment des précisions sur le recrutement spécial de 25 000 jeunes diplômés dans la fonction publique au titre de l’exercice 2011, initié par le président Paul Biya de la république.

    Les révoltés twitter, en faire des militaires.. D’une pierre deux coups : 

    - on supprime la révolte
    - on renforce les forces d el’ordre

    Pas con.

    Mais qui va payer ? Bof.. Wall street et FMI donneront la solution.

  • leypanou 14 mars 2011 23:20

    « Et même, comment une telle société, tout simplement, pouvait continuer de vivre » ? Et comment un pays comme les Etats-Unis a pu élire des présidents comme Reagan ou Bush ? Et on peut continuer ainsi les questions analogues, car entre le moment où un choix aberrant est fait et sa fin, il peut se passer un temps « certain ». C’est là toute la limite de nos pseudo-démocraties, étant entendu qu’en Afrique, c’est encore pire car il n’y a même pas le semblant. Quant Paul Biya ne fera plus l’affaire, il sera remplacé par quelqu’un de plus présentable, mais qui sera à peu près pareil, et ainsi de suite.


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