mardi 3 décembre 2013 - par asterix

La gronde en Thaïlande : benêts jaunes contre benêts rouges

En Thaïlande, rien ne va plus. C’était à prévoir : le gouvernement conduit par Yingluck Shinawatra, la sœur cadette de Thaxin placée là par son frère en exil à Dubaï d’où il exerce le pouvoir pour éviter une peine de deux ans de prison pour fraude fiscale, a ouvert la boite de Pandorre en tentant de modifier la Constitution à seule fin de permettre son retour. Légalement, l’opération tient debout puisque le Parti rouge au pouvoir détient une majorité pour ce faire. Mais c’était faire fi, d’une part de la Maison Royale qui ne veut pas entendre parler de celui qui veut transformer le pays en république, une république « forte « dont il serait évidemment le chef, et de l’autre la rancœur d’une opinion politique qui n’est plus du tout acquise au pouvoir en place auquel elle reproche de n’avoir tenu aucune de ses promesses sociales et qui s’enfonce dans la crise avec un nombre record de délocalisations et les coupes sombres dans l’emploi qui en résultent. La gestion catastrophique des inondations de l’avant-dernière saison des pluies sur le dos du monde rural et les coupes budgétaires dues au coût phénoménal du rachat subventionné des produits agricoles ont fait le reste. La vie devient chère, très chère pour le plouc de base qui devra s’en tirer avec 5 ou 6 euros par jour …lorsque travail il y a.

Une crise de société qui n’est pas sans rappeler la notre, les droits sociaux, beaucoup de droits sociaux en moins… Une préfiguration de ce qui nous attend ?

Le pays du sourire ( le sourire pour de l’argent ) n’en peut plus de ses contradictions.

Quand changement rime avec versatilité…

Le Parti Rouge au pouvoir, qui est aussi celui de la Police, se dit social, mais est sous la coupe de Thaxin Shimawatra l’homme de loin le plus riche du pays, un espèce de Berlusconi, de surcroît ex Ministre de l’Intérieur qui formate l’opinion avec son empire des communications. Un Chinois, un MEO, disent ceux qui ne le supportent pas. Son électorat, principalement paysan du Nord et du Nord-est du pays, est traditionnellement bouddhiste, mais met la défense de ses intérêts, de ce qu’il croit être ses intérêts, entre les mains de l’ennemi numéro un de la représentation de Bouddha sur terre, le Roi Bunibol maintenu quasiment artificiellement en vie et qui n’exerce plus son pouvoir depuis deux ans. Et pour ce faire, Thaxin corrompt, promet et promet encore, rappelle qu’il a des dossiers sur toutes les combines qui ne sont pas les siennes, achète toutes les consciences à ce qu’il estime être leur juste prix et ne sait plus que faire de son fric qu’il dépense sans compter ( et sans contrôle ) depuis Dubaï.

Allez expliquer cela à ceux qui voient en lui le défenseur de la veuve et de l’orphelin.

 

Le Parti jaune ou démocrate actuellement dans l’opposition, c’est tout aussi surprenant, est celui de l’Armée, de la Maison Royale et des élites aristocratiques ou soi-disant telles du pays. Tout aussi affairiste et corruptif que son concurrent, il a été largement battu aux dernières élections. Mieux, il doit sa simple survie aux Musulmans modérés qui, tout modérés qu’ils soient, n’en sont pas moins non bouddhistes, mais font l’objet de toutes les attentions, sauf dans l’extrême-Sud en état de guérilla permanente avec « la Nation ». Le désenchantement général pour le miracle Thaxin, le report aux calendes grecques des mesures sociales promises, la vie chère et la gestion piteuse par sa sœur Yingluck de sa charge de premier Ministre aidants, il est probable que les Jaunes ont à nouveau l’opinion de leur côté. Sûrs de leur force, ils ont envahi Bangkok comme l’ont fait les Rouges lorsqu’ils étaient en position inverse, dressent des barrages, payent comme l’ont fait ses adversaires des manifestants pour camper aux endroits stratégiques, exigent le retrait de la loi d’amnistie qui permettrait le retour de Thaxin, parlent au nom du peuple comme s’ils étaient égaiement l’espérance et cherchent par la force à renverser le pouvoir en exigeant de nouvelles élections.

La police leur est rentrée dedans de manière très décidée et, elle ne s’en cache pas, la haute hiérarchie militaire ne voit pas cela d’un très bon œil… Dépassée par les évènements, Madame le Premier Ministre se tait en attendant ce que va lui dire son frère. La Monarchie également malgré son pouvoir, devenu théorique, d’évocation

Entre-temps, Bangkok brûle pour la seconde fois en trois ans. Les premiers morts sont à déplorer. L'épreuve de force est engagée, advienne que pourra.

Œil pour œil, dent pour dent.

A ma gauche, la droite qui était l’opposition mais exerce le pouvoir au nom de la Police, ce sont les Rouges. A ma droite, la gauche qui est aujourd’hui l’opposition, mais n’exerce plus le pouvoir au nom de l‘Armée, ce sont les Jaunes.

C’est trop compliqué pour vous ? Pas vraiment. Dites-vous bien qu’en Thaïlande, tout repose sur l’apparence. En fait, les riches se battent entre eux pour devenir encore plus riches. La classe moyenne se réduit commepeau de chagrin.Les pauvres et autres administrés basiques n’ont toujours aucun droit, leur survie dépend du chef quel qu’il soit, et leurs filles sont comme de coutume traditionnellement envoyées au trime de subsistance, le plus gros business du pays. Ah oui ! La guerre fait toujours rage au Sud, le système médical public est dans un état de délabrement total et les tribus de montagne sont toujours aussi méprisées, non intégrées, analphabètes…

Vous ne trouverez évidemment pas trace de tout cela dans les merveilleux prospectus de voyage.

Thailand, amazing Thailand…

Au milieu de cet imbroglio, il y a l’électeur. Un électeur qui échange son vote contre 12 euros et un bac de bière, ou qui suit comme un seul homme son chef de village qui se déplacera en temps voulu pour lui rappeler que si 90% de la communauté ne vote pas dans le sens souhaité, c’en sera fini de tous, vraiment tous les subsides pour la localité.

C’est la version locale du suffrage universel… 

ASTERIX



11 réactions


  • Robert GIL ROBERT GIL 3 décembre 2013 11:40

    la thailande est l’exemple type de la main mise du systeme capitaliste sur un pays  : corruption et passe droit, pillage de l’etat au profit d’une petite caste parasitaire . Ouvrez les yeux, ça approche !

    voir : ET SI L’ON APPRIVOISAIT LE CAPITALISME ?


    • asterix asterix 3 décembre 2013 17:46

      Bonjour Robert,

      Tu vois bien que nous nous rejoignons sur pas mal de points de vue. Une petite précision, si tu veux bien : en Thaïlande, il n’y a pas une, mais deux castes parasitaires. Les aristos et les affairistes. S’il n’y en avait qu’une, ce serait du totalitarisme.


  • leypanou 3 décembre 2013 15:04

    Je ne comprends pas pourquoi cet article qui fait si bien la part des choses ait si peu d’amateurs jusqu’à maintenant.

    Merci à l’auteur : j’ai un peu appris sur la Thaïlande.


  • agent orange agent orange 3 décembre 2013 15:55

    Sabaïdee asterix

    Difficile de restituer la complexité de la Thaïlande en quelques lignes. Oui, tout n’est pas noir ou blanc, ou en l’occurrence jaune ou rouge. Vous vous en sortez plutôt pas trop mal.
    Il y a cependant une donnée que vous avez oublié dans cette équation thaïe : le régime du clan Shinawatra est soutenu par les Etats-Unis, pas seulement pour des raisons économiques mais aussi géo-stratégiques (l’endiguement de la Chine, relooké « stratégie de pivot » début 2011). Thaksin (frère de Yingluck) ayant été un fidèle allié de Washington lorsqu’il était premier ministre.
    Le double standard de la presse occidentale du traitement des manifs de Kiev et de Bangkok (le « méchant » Yanukovych et la « légitime » Yingluck) est révélateur.

    chok dee krap


    • asterix asterix 3 décembre 2013 18:09

      Bonjour agent orange

      Vu ton pseudonyme, il est bon de préciser que ce fameux agent orange qui a été utilisé - sur le Laos principalement - durant la guerre du Vietnam - éait répandu par les bombardiers US depuis une base située en Thaïilande, à Udon Thani précisément.

      Pour en revenir au thème, il est en effet impossible de restituer la complexité de la Thaïlande en quelques lignes. En ce qui concerne tes précisions sur Thaxin, l’homme des USA, ce derrnier, avant même d’exercer ses premières fonctions politiques, a été formé à l’informatique d’investigation à l’université de Houston au Texas. C’est cette spécialisation qui lui a permis, en tant que Ministre de l’Intérieur d’une part de collationner des dossiers sur tout le monde, et de devenir le géant local de la vente de programmes informatiques de l’autre. Ce n’est qu’ensuite qu’il a investi le monde des télécommunications, à la Berlusconi, ai-je écrit.
      Nous sommes d’accord : c’est lui le noeud du problème de cette si complexe équation thaïe.
      L’antinomie avec le traitement occidental réservé à l’Ukraine que vous relevez en fin d’intervention, m’a paru fort judicieuse.
      Mes salutations

       


  • L'enfoiré L’enfoiré 3 décembre 2013 19:23

    Bonsoir Asterix,

     Je suis allé voir s’il y avait déjà des précautions qui avaient été prises pour les touristes.
     Rien. Tout a l’air cool.
     Pourtant Bangkok est un point de chute pour les touristes.
     Neuf ans depuis le tsunami, les hôtels ont dû reprendre les côtes comme avant.
     La Thailande est certes un pays où la corruption règne. 
    Corruption : classement mondial 2013 de Transparency International ne donne pas la Thaïlande dans la liste que je n’ai pas complète. 
     

    • L'enfoiré L’enfoiré 3 décembre 2013 20:03

      A près recherche, la Thaïlande se trouve à 102ème place sur 175 pays avec 35%.


    • asterix asterix 3 décembre 2013 20:08

      Ce ’est pas tout Bangkok qui brûle, mais une série de points bien précis qu’ont investi les manifestants : le siège de l’armée et quelques ministères. Rien à voir pour le moment avec ce qui s’est passé précédement où il ne faut pas oublier que les pro-Thaxin ( en fait les manisfestants payés par Thaxin ) ont campé près d’un mois à Bangkok sans vraie répression. Celle-ci n’est venue qu’après un ultimatum des démocrates lorsqu’ils étaient au pouvoir.
      Le scenario inverse pourrait bien se produire aussi...
      Certains endroits de la ville sont déconseillés mais ne vous en faites pas : tout ce qui tourne autour du bysiness fonctionne comme si de rien n’était.
      Pas folle la guêpe !


  • thierry3468 4 décembre 2013 05:58

    Analyse claire et précise de la situation mis à part un élément essentiel pour comprendre cette crise :CARLYLE .
    Thaksin appartient a ce fonds d’investissements et bénéficie de son soutien ,celui de ses officines et des médias vendus à ce groupe ;ce qui explique en grande partie la désinformation autour de la crise .
    Carlyle se heurte à la résistance de l’entourage du roi qui lutte pour garder ses privilèges et d’un parti démocrate qui sert de vitrine politique pour incarner cette résistance face à ce pillage organisé de la Thailande par l’oligarchie financière.Un petit plus:qui dit Carlyle ,dit Sarkozy car Carlucci qui fut président de ce groupe est le beau père de Nicolas et comme par hasard ,Olivier Sarkozy occupe encore le poste de directeur des services internationaux de Carlyle .


  • L'enfoiré L’enfoiré 4 décembre 2013 15:45

    Lu dans mon quiotidien :

    La Thaïlande en crise perpétuelle.
    Elle s’apaise à l’approche de l’anniversaire du Roi, mais l’accalmie risque d’être de courte durée avec un pays entre deux pôles de pouvoir.
    Le pays se cherche une solution démocratique purement thaïlandaise.
    L’occupation de ministères est un fait rarissime alors que le droit de manifester est dans son acceptation la plus large.
    Le gouvernement de Yingluck Shinawatra joue la douceur. Le camp des jaunes (conservateur, royaliste, élitiste) contre le camp des rouges (sociauxlibéral, populiste).
    Les jaunes de 2010, avaient avait tenté de mater une manifestation de l’opposition : 85 morts. 
    Aujourd’hui le premier camp qui tire, perd la partie la partie vis-à-vis de l’opinion publique« .
    La Thaïlande est le seul pays d’Asie du Sud-Est à avoir échappé à la colonisation. 
    Dans les années 80, la pression communiste a poussé la dictature militaire comme »démocratie patronnée".
    La décennie suivante, c’est le roi qui a acquis l’influence souterraine sur les affaires du pays.
    Bangkog et l’armée toujours pôle de pouvoir fort, indépendamment des résultats électoraux. 
    Dans les années 2000, Les milieux d’affaires et les paysans ont trouvé une figure emblématique en Thaksin Shinawatra qui a fait fortune grâce à un monopole dans les télécoms. 
    Un coup d’état militaire l’envoie en exil, accusé de corruption. Sa soeur en 2011 est devenue son porte-parole.
    Le décès du Roi et l’arrivée de son fils sans charisme pour en sortir ?
    Tout dépend de l’armée.
     
     

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