Quels buts à la révision générale des politiques publiques ?
Lancée voilà plus de 2 ans, la révision générale des politiques publiques (RGPP) nous est officiellement présentée comme la bonne façon de répondre aux besoins des usagers, d’améliorer le fonctionnement des services, et surtout de participer un effort important de redressement des finances publiques (1). Derrière ces objectifs auxquelles tout citoyen normalement constitué ne peut qu’adhérer, la multiplication des dysfonctionnements administratifs qui semble en résulter, fait que nous devons nous poser la question du véritable but poursuivi par cette politique.
Le cas typique de la direction générale des finances publiques
Une des motivations la mise en place de la RGPP a été, dans bon nombre de secteurs, de permettre à nos concitoyens d’accéder aux informations et aux services de la fonction publique au travers d’un guichet unique. C’est ce souhait qui a été mise en avant lors de la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) pour former la direction générale des finances publiques (DGFIP), avec en toile de fond la règle générale du remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Une des conséquences de ce non remplacement et de la fusion, a été cependant la dégradation des conditions d’accueil du public et des conditions de travail des personnels, à un point tel qu’un rapport récent évoquait le syndrome « France Telecom » à la DGFIP « La mise en place de nouvelles structures dans de nouveaux espaces ou dans des espaces réaménagés (la question de l’ergonomie) n’a pas empêché des difficultés dans la mise en place des accueils du public, en dépit du fonctionnement d’une cellule nationale d’écoute sur les SIP destinée aux cadres en questionnement. Et la pauvreté de certains accueils des particuliers a provoqué de fortes tensions sur le terrain » (2). Rédigé sous la direction de Gilles Carrez (UMP), ce rapport se félicite du non respect de la règle de non remplacement, puisque de nombreux services ont perdu 2 fonctionnaires sur 3 environ, soit plus de 10 000 postes supprimés, essentiellement parmi les agents d’exécution (catégorie C), ce qui représente une « économie » de 120 millions d’euros / an. Cette économie est cependant toute théorique car pour compenser la perte des emplois de catégorie C, les plus souvent maintenant « externalisés », il a fallu embaucher le personnel de gestion et de contrôle des catégories supérieures, A voire A+, portant l’économie réelle à moins de 60 millions d’euros /an. Une autre dégradation de la qualité du service passe inaperçue du public ; elle a cependant été pointée par la Cour des Comptes qui dénonce le fait que priorité ait été donnée « aux objectifs de rendement (nombre de contrôles et montants à recouvrer) orientant ainsi les contrôles vers les dossiers les plus faciles et délaissant les dossiers plus complexes qui obligent à des enquêtes longues. Cette orientation a pour effet de rendre la couverture des contrôles inégale sur certaines catégories de contribuables et de dispositifs fiscaux et sur certaines zones géographiques ». Entendez par là qu’il devient beaucoup plus difficile de mener des contrôles sur l’évasion fiscale réalisée par exemple par de grandes entreprises multinationales, voire même par des particuliers aux revenus très élevés, à même de profiter des conseils de nombreuses officines spécialisées sur cette question…
Dysfonctionnements à tous les étages
Ce constat fait pour la DGFIP vaut également pour d’autres services publics, comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dont la « réorganisation » place ce service sous l’autorité préfectorale. Comme l’écrivait Alain Bazot, président de l’UFC Que Choisir ? « Alors que les entreprises contrôlées par les DDCRF font partie de groupements ou de réseaux qui obéissent à des pratiques dépassant le cadre strictement local, comment admettre que le contrôle soit lui limité au niveau départemental ? La régulation des marchés a ainsi besoin d’être organisée nationalement et parfaitement coordonnée sur tout le territoire » (3). On pourra donc raisonnablement questionner la réactivité de cette nouvelle structure lors des crises sanitaires semblables à celles que nous avons connues au cours des dernières années, et qui ne manqueront pas de se reproduire, et ce d’autant plus que les préfets auront à arbitrer entre les intérêts des consommateurs et ceux d’industriels fort influents au niveau local voire national. De plus, les réductions de personnels font que les dossiers ne cessent de s'accumuler : 70 000plaintes en 2006, 110.000 plaintes en 20076. Pourtant, les effectifs de l'organisation, comme ceux de la fonction publique, ne cessent de fondre : De 3735 en 2002, ils sont tombés à 3390 en 2008, dont environ 2500 enquêteurs de terrain, et moins de 3200 actuellement. Contactés, certains contrôleurs et inspecteurs avouent renvoyer de nombreux plaignants sur des associations de consommateurs, et choisir les dossiers qu’ils suivent en fonction de leur rentabilité, c’est à dire de la facilité et de la rapidité à les traiter.
On pourrait également questionner la logique d’appliquer la RGPP à l’hôpital public. Cependant, le secteur dans lequel cette réforme est certainement la plus drastique et la plus incompréhensible reste sans doute l’éducation nationale, surtout lorsque l’on relit les motivations « officielles » de cette révision, à savoir l’amélioration de la réussite scolaire (diviser par 3 le nombre d’élèves en échec), le développement de nouveaux services d’accompagnement des élèves du primaire jusqu’au supérieur, et la modernisation de la « gestion des enseignants, afin d’améliorer les modalités de leur recrutement et de leur formation » (4). Or que constate-t-on depuis trois ans ? D’abord la disparition d’un nombre très inquiétant de professeurs, estimé aujourd’hui à 40 000 environ. Une de ses conséquences de ces suppressions est la difficulté, observée de la maternelle jusqu’au secondaire, de remplacer un professeur malade ou en formation, et l’apparition de situations ubuesques où l’on demande à un professeur de lettres de remplacer un professeur d’allemand (5). Dans un système dans lequel on refuse de voir les difficultés que créent les suppressions de postes, comment s’étonner de l’absurdité des propos de M. le ministre Luc Chatel, qui n’ pas hésité à proposer de remplacer les professeurs absents par des étudiants ou par des retraités ! Des parents exaspérés ont d’ailleurs à plusieurs reprises attaqué en justice le rectorat - donc l’État - pour manquement à ses obligations. Par ailleurs, la diminution du nombre de professeurs conduit inévitablement à un sur-remplissage des classes. Comme il est difficile d’ajouter des élèves dans des classes en comportant déjà de 31 à 35, les cibles actuelles sont les anciennes zones d’éducation prioritaire (ZEP) dont les écoles bénéficiaient de classe à effectifs réduits. On a ainsi brutalement supprimé plusieurs de ces ZEP, y compris dans des quartiers peu favorisés. Bien que certaines aient été remplacées par des RRS (Réseau Réussite Scolaire) et des RAR (Réseau Ambition Réussite), nous disposons pour le moment d’aucun recul sur leur fonctionnement et sur les moyens réels qui leur seront attribués. Derrière les mots bien ronflants d’ambition et de réussite, ne nous leurrons pas, c’est la compensation des suppressions de postes d’enseignants qui est en cause. Ces suppressions ont par ailleurs conduit à des révisions drastiques des enseignements fournis avec la disparition pure et simple d’options au niveau des premières et terminales de nombreux lycées, obligeant les élèves des trajets domicile-école toujours plus longs. On notera, dans la même veine, la disparition d’enseignements tels celui de la physique dans les sections STI, et celui de l’histoire et de la géographie en terminale. Ces diminutions de postes ne sont pas étrangères non plus au fait que de nombreuses maternelles n’acceptent plus maintenant les enfants les plus jeunes dans leurs classes. Il est vrai que ce problème n’est probablement pas le premier souci de certains ministres qui jugeaient les enseignantes de maternelle tout juste bonnes « à changer les couches des enfants » (6). Quant à l’amélioration du suivi des élèves évoqués plus haut, il suffit de rappeler la diminution importante des postes d’infirmiers dans les établissements scolaires, et la suppression des RASED (7) pour mesurer le décalage entre le discours et les actes de l’actuel gouvernement. Enfin l’amélioration annoncée de la formation des enseignants ne résiste pas une seconde à l’examen de la situation de la rentrée 2010, où plus de 10 000 jeunes « professeurs » ont été placés sans aucune formation pédagogique face à leurs élèves. En face de nous cela, M. le ministre Luc Chatel déclare très cyniquement « Les nouveaux enseignants stagiaires ne sont pas laissés seuls, sans recours, face à leurs élèves : ils disposent de vidéos leur apprenant le métier ». Plusieurs officines privées ont d’ailleurs bien perçu tout l’avantage qu’elles pouvaient tirer de cette situation en contactant systématiquement nombre de jeunes professeurs sans formation pour leur offrir des stages, bien entendu payants !
Le faux argument des économies budgétaires
L’argument choc mis en avant pour justifier la RGPP est bien entendu l’argument budgétaire. Cet argument ne résiste malheureusement pas un examen quelque peu poussé. On a ainsi vu, dans le cas de la DGFIP cité plus haut, que les suppressions de postes des catégories C et les externalisations qui ont suivi ont conduit à la nécessité d’embaucher des fonctionnaires de catégorie A voir A+. De même, si l’on calcule « l’économie budgétaire » réalisé par la suppression de 40 000 postes de professeurs, on arrive au chiffre d’environ 2 milliards d’euros. Cette somme n’est certes pas anodine, mais elle correspond en fait au seul montant des cadeaux fiscaux faits au secteur de la restauration, qui avait promis des embauches importantes de personnel en compensation. Celles-ci se font toujours attendre ! En utilisant le même mode de calcul, fondé sur le salaire et charge moyenne de la fonction publique d’État, la suppression d’un million de fonctionnaires correspondrait par an à une « économie de 50 milliards d’euros, soit à peu près le montant annuel estimé de la fraude fiscale que la RGPP permet de moins en moins de combattre !
Par ailleurs, ces allégements budgétaires n’ont d’intérêt pour le citoyen que s’ils conduisent à une stagnation ou à une diminution des dépenses qu’ils entraînent. Dans le cas de la RGPP, rien n’est moins sûr. Nous pouvons peut-être espérer une stagnation de la pression fiscale sur les particuliers, mais nous devons prendre en considération les coûts induits par la disparition des services publics liés à la mise en place de RGPP. L’exemple plus flagrant est certainement celui de l’hôpital public, où les restrictions de personnel ont conduit de nombreux services au bord de l’effondrement. Il faut ainsi, en région parisienne, plus de trois mois pour accéder à une consultation de pneumologie ou de cardiologie, au moins autant d’ophtalmologie, et plus de six mois pour accéder à une consultation d’hépatologie les deux hôpitaux spécialisés de ce domaine. Dans ce contexte, les personnes qui le pourront auront recours aux services d’hôpitaux privés, ou s’adresseront « au secteur privé des hôpitaux publics », pour obtenir beaucoup plus rapidement une consultation, mais à condition de dépenser beaucoup plus.
Une volonté de désorganiser la fonction publique
Au vu de ce qui précède, il est nécessaire de se demander si la motivation réelle de RGPP n’est pas de désorganiser le fonctionnement du secteur public tout entier, afin, à terme, de justifier son remplacement par des structures privées. Ce a été décrit ci-dessus pour les hôpitaux est aussi vrai pour l’enseignement ou la tentation d’inscrire son ou ses enfants dans le secteur privé, en regard des dysfonctionnements du secteur public que les réformes étouffent, pourrait devenir forte pour les familles qui en ont les moyens. Cette vision des objectifs de la RGPP cadre parfaitement avec de nombreuses directives européennes, qui ont pour seule finalité d’ouvrir à la concurrence l’intégralité́ des services publics, sociaux et locaux. La RGPP vise donc à favoriser l’abandon de la gestion publique de nombreux secteurs d’activité, en particulier de ceux qui possèdent une dimension sociale telle l’éducation, la recherche, où la santé. Cet abandon vient à la suite de l’abandon d’autres secteurs pour lesquels une puissance publique forte était garante du bon fonctionnement à un coût modéré, tels la production et la distribution d’électricité ou le transport ferroviaire. On voit dans le cadre de la SNCF et de RFF tous les dégâts qu’a engendrés la semi-privatisation du secteur et la gestion strictement financière de ce qui aurait dû rester un service public.
Il serait faux de croire que cette privatisation ne pourrait concerner à terme les fonctions régaliennes de l’État. Le ras-le-bol actuel de la magistrature est à cet égard assez symptomatique du désengagement de ce secteur des gouvernements qui se sont succédé depuis 10 ans. Ce désengagement ne conduira pas à une privatisation de l’activité judiciaire, mais pourrait conduire à celle du système pénitentiaire. Par ailleurs, il sert les intérêts d’un gouvernement tel que celui de M. François Fillon, permettant au premier ministre et au Chef de l’État de désigner à la vindicte populaire des boucs émissaires (en l’occurrence les magistrats), et de justifier la mise en place régulière de nouvelles mesures « sécuritaires », sans à en avoir à évaluer leurs coûts, leur efficacité, ou leurs conséquences.
Ce qui est vrai du secteur judiciaire n’avait peut-être pas de la police et de gendarmerie dont les effectifs ont été ramenés au niveau de 2002 au début 2010, et devrait être ramenés au niveau de 1993 en 2013 ! Ces décisions, qui désorganisent fortement les services, ne permettent pas de comprendre comment on peut mieux lutter contre la délinquance. Dans ce contexte, il n’est pas anormal de constater que certains quartiers de grandes villes, à l’étranger essentiellement mais depuis peu également en France, fonctionnent comme des quartiers fermés et gardés par leurs propres services de sécurité privés (8). De même, les maires et conseils municipaux de petites communes de secteurs ruraux et périurbains se voient dans l’obligation d’assurer la mise en place de leur propre police de proximité, avec un coût non négligeable sur l’imposition locale.
Enfin, et bien qu’anecdotique, la mésaventure arrivée à un habitant de la commune de l’auteur est symptomatique de l’abandon de certaines fonctions régaliennes de l’État. Suite à une demande de renouvellement de carte grise, cette personne à contacté les services de la sous-préfecture dont elle dépend. Ceux-ci ne sont plus ouverts que quatre demies-journées par semaine et annoncent des temps d’attente de 3h00 en moyenne pour l’établissement de ce document. Désireux d’éviter cette attente, notre quidam a contacté la préfecture de ce département, où le service concerné l’a renvoyé sur « allo, service public » pour les informations, et sur deux sites Internet d’entreprises privées pour la confection de la nouvelle carte grise ! Nous sommes donc bien confrontés à une volonté établie de désorganisation et de privatisation et de privatisation des services, y compris de certains secteurs relevant des fonctions régaliennes de l’État. Pour ceux qui ne croiraient pas à cet état de fait, il suffit de rappeler les propos cyniques de M. Renaud Dutreil, qui affirmait dès 2004 : « Le problème que nous avons en France, c’est que les gens sont contents des services publics. L’hôpital fonctionne bien, l’école fonctionne bien, la police fonctionne bien. Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure »… On ne saurait être plus explicite !
Références
(1) Voir : http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/index.php
(2) Rapport de M Gilles Carrez de la commission financière de l’assemblée nationale sur la DGFIP
(4) http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/index.php?id=52&tx_ttnews[tt_news]=497&tx_ttnews[backPid]=33&cHash=383a125201
(6) http://www.rue89.com/2008/09/15/darcos-les-profs-de-maternelle-ne-changent-que-les-couches
(7) http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/05/CommentLChatelvareduirepostes.aspx