Commentaire de Renaud Bouchard
sur Jean Peyrelevade, grand prêtre de l'Euro, ou mentir pour la bien-pensance


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Renaud Bouchard Renaud Bouchard 27 mai 2015 13:58

@l’auteur.Bon billet que l’on peut utilement compléter par la lecture de J. Sapir et celle de J-C. Werrebrouck et son texte intitulé : « Quand un banquier ignore la loi et l’Histoire... ».


cf. ici : http://www.lacrisedesannees2010.com/

La publication de l’article de Jean Peyrelevade dans « Les Echos » du 20 mai dernier : « L’euro indissoluble » peut faire l’étonnement du juriste ou de l’historien le plus modeste.

Le titre est lui-même curieux tant il est vrai que les affaires humaines sont instables : Il n’y aurait pas d’histoire et d’historiens si ces affaires relevaient de la simple génétique. Le fonctionnement de la ruche est d’ordre génétique et l’organisation de cette dernière inchangée depuis des dizaines de millénaires….mais l’ordre monétaire est lui soumis à la grande histoire des hommes et donc l’indissolubilité d’une monnaie, n’est qu’une expression politique de fort grande légèreté, tant l’histoire monétaire nous prouve le contraire.

 Il est vrai toutefois que monsieur Peyrelevade a pu être abusé par des juristes qui dans des publications de la Banque de France ont osé écrire que « Le droit monétaire a inscrit l’irréversibilité du remplacement des anciennes monnaies et de l’Ecu par l’euro dans la contrainte du droit »[1]. Comment un juriste peut-il être aussi éloigné de la connaissance des réalités humaines ?

Beaucoup plus grave est le fait que monsieur Peyrelevade, en égratignant un collègue, Jacques Sapir, affirme haut et fort dans son texte que la « lex Monetae » ne pourrait sérieusement s’opposer à la déferlante des créanciers étrangers qui seraient victimes de la fin de l’euro.

 Un point de droit doit lui être rappelé afin qu’il puisse tenter de corriger son propos dans les colonnes des Echos.

Il faut tout d’abord rappeler que la lex monetae est un principe de droit international coutumier rappelé par deux arrêts de la cour de justice de la Haye du 19 juillet 1929. Il faut aussi rappeler qu’il s’agit d’une règle de portée universelle reposant sur le principe de souveraineté des Etats en matière monétaire, ce qui signifie qu’elle s’applique à tous, aux étrangers comme aux nationaux. A ce titre elle est une loi de police, c’est-à-dire une loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays. Cela signifie en conséquence, qu’à priori, les clauses particulières de certains contrats entravant l’exercice de ce pouvoir de police, pourraient-elles mêmes être frappées de nullité par le souverain.

Dans ce contexte juridique à très forte odeur de souveraineté, certes très mal appréciée par les défenseurs de la mondialisation, on pourrait imaginer une forme de désuétude de la lex monetae. Ce serait oublier que la fin du système de Bretton-Woods décidée par le président Nixon le 15 aout 1971, n’a jamais été juridiquement contestée : lex monetae oblige. Et que l’introduction de l’euro s’est réalisée sous son couvert il y a fort peu de temps. En effet, le règlement N° 1103/97 du Conseil du 17 juin 1997, est venu rappeler que « l’introduction de l’euro n’a pas pour effet de modifier les termes d’un instrument juridique ».

On peut certes opposer à ces deux exemples des arguments solides. Qui aurait oser contester, dans la réalité, quel Etat , quelle banque centrale, la décision du président de l’Etat le plus puissant de la planète ? Dans le même ordre d’idée le règlement N°1103/97 ne pouvait être contesté dans le cadre de la construction de la nouvelle réalité monétaire, une construction ne lésant à priori aucun créancier dans un climat d’optimisme jubilatoire généralisé.

Pour autant la lex monetae a toujours été acceptée même au cas de pays de taille réduite procédant à des modifications de parité désagréables pour les créanciers de dettes souveraines. Aucun Etat n’est venu protéger ses ressortissants - épargnants victimes dans ses achats de produits financiers incorporant de la dette souveraine étrangère dévaluée- en exigeant des compensations de l’Etat dévaluateur. Aucune juridiction ne s’est risquée à contester le pouvoir régalien qui consiste à modifier les caractéristiques voire la dénomination de la monnaie souveraine.

A cet égard, les questions classiques de « déséquilibre des contrats » (droit français) ou de « frustration » (droit anglais) ne sont pas de mise et s’il existe un risque en raison de la souveraineté monétaire, c’est l’acheteur qui doit prendre la précaution de se couvrir au regard du taux de change. Il en est de même des clauses de « harship » (clauses de « nouvelles circonstances ») qui ne seraient guère opposables aux Etats. Ajoutons que le risque se trouve déjà compensé dans le taux de l’intérêt qui incorpore la prime de risque.

On voit mal également une juridiction s’embarquer sur le terrain d’une lex monetae disparue en raison de la disparité de la souveraineté monétaire inscrite dans les Traités européens. La fin de l’euro faisant disparaitre les traités correspondants, la souveraineté retrouvée serait en conséquence la renaissance de ce qui lui est rattaché : la lex monetae .

Bien évidemment on peut imaginer que d’innombrables acteurs tenteront de mobiliser nombre de juridictions. C’est sans doute exact et Jean Peyrelevade a raison. Sauf que le retrait éventuel de la France de la zone euro correspondrait tout simplement à sa disparition…d’où une multiplication gigantesque des contestations qu’aucune machine judiciaire ne saurait absorber, si ce n’est pour rappeler la loi monétaire attachée à la souveraineté de chaque Etat. Les dettes souveraines ne sont pas quantitativement modifiées par la variation d’une dénomination et d’un taux de change.

On peut toutefois imaginer une libéralité introduisant un régime de faveur pour les créanciers en dette souveraine dévaluée, celle que nous avons proposée dans un article précèdent[2]. On peut en effet imaginer que la fin de l’euro serait aussi vraisemblablement le retour de l’autorité publique sur sa banque centrale. Ce retour signifierait la possibilité de monétiser toutes les créances, en particulier souveraines sur la base du nouveau taux de change. Nous renvoyons ici le lecteur au texte proposé sur le blog. Au-delà il nous faut conclure.

Conclusion :

Monsieur Peyrelevade craint que la dévaluation correspondant à l’abandon par la France de l’euro, correspondrait à une augmentation de sa dette publique externe équivalente à la dévaluation, soit selon ses chiffres plusieurs centaines de milliards supplémentaires. Cela est complètement inexact, et la France pourra opposer, comme tous les pays du monde qui ont connu cette circonstance, la lex monetae de toujours. Nous suggérons au quotidien Les Echos, d’ autoriser Monsieur Peyrelevade à corriger des erreurs graves, lesquelles s’ajoutent à la propagande générale qui engendrent chez les citoyens de fausses croyances et de fausses peurs à très fort pouvoir contagieux.

 

 

 

[1] https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications /bdf_bm/etudes_bdf_bm/bdf_bm_108_etu_2.pdf . Il s’agit d’un article du Bulletin de la Banque de France (N° 108, Décembre 2002) signé par Jean Christophe Cabotte et Anne-Marie Moulin.

[2] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-les-conditions-d-un-demantelement-reussi-de-la-zone-euro-92063917.html


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