jeudi 17 septembre 2015 - par Armelle Barguillet Hauteloire

Marguerite de Xavier Giannoli

Le Paris des années 20. Marguerite Dumont est une femme fortunée, passionnée de musique et d’opéra, qui a épousé un aristocrate ( excellent André Marcon ) sans le sous. Celui-ci vit agréablement à ses dépens et la trompe sans vergogne. Depuis des années, Marguerite, malheureuse en amour, chante devant son cercle d’habitués, mais elle chante tragiquement faux et personne ne le lui a jamais dit. Son mari et ses proches l’ont toujours entretenu dans ses illusions par intérêt et amusement, sa générosité lui valant le triste privilège d’être encensée par ce petit monde de nantis et par ceux, moins nantis, que son argent incite à une complicité cynique. Les choses se compliquent le jour où elle se met en tête de se produire devant un vrai public à l’Opéra.

Tandis que dans le parc de la somptueuse demeure, le paon pousse son cri particulier, à l’intérieur de la demeure, la maîtresse des lieux pousse ses vocalises gutturales capables d’écorcher les oreilles les plus sensibles et de faire rire sous cape cette galerie de mondains qui ne craint nullement d’abuser de ses largesses. Cela parce qu’elle voudrait que son mari la regarde. Marguerite est simplement une femme amoureuse et délaissée qui s’est réfugiée dans la musique comme dans un songe. Heureusement son majordome noir Madelbos (magnifique Denis Mpunga) la protège, l’accompagne au piano, la photographie, et entre plus volontiers dans son rêve que lui-même a quitté le sien par nécessité pécuniaire. Et sa maîtresse n'est-elle pas comme lui sensible à tout ce qui touche au merveilleux dans une société saisie par la débauche et les plaisirs faciles ! Cette femme à qui tout se refuse, l’amour et le talent, porte néanmoins une sorte de génie de l’authenticité jusque dans son ridicule. Au milieu de ce monde de tricheurs et d’arnaqueurs, elle est la vérité sans fard, le naturel sans subterfuge, la sincérité sans ruse, qui étonne et pose sur un monde futile son interrogation. Par son jeu tout en subtilité, Catherine Frot nous bouleverse, oscillant entre la mégalomanie et la fragilité. Elle est étonnante, inoubliable. Un personnage qui me laisse songeuse – avoue-t-elle, avant de poursuivre -  il y a une notion mystique, à la fin, un sacrifice d’amour. Le film contient des paradoxes à l’infini et, en même temps, il est très simple.

Ce personnage est inspiré de la vie de Florence Foster Jenkins, une excentrique milliardaire américaine, née en Pennsylvanie en 1868. En 1909, s’étant autoproclamée chanteuse lyrique, elle mit à profit son riche héritage pour organiser des concerts suivis de dîners de gala au Ritz Carlton. Elle louera par la suite le Carnegie Hall pour donner un récital devant une salle comble et hilare. Impassible, elle subodore que ces rires sont ceux de ses rivales. Mais hélas, elle n’échappera pas aux critiques assassines que les journaux du lendemain se feront un plaisir de publier, et mourra cinq jours plus tard d’une crise cardiaque dans un magasin de musique où elle était venue acheter de nouvelles partitions. Destin pitoyable et tragique d’une femme qui se refuse au réel pour vivre dans un songe où elle se croit enfin admirée et aimée.

Xavier Giannoli a repris cette fable cruelle et nous l’offre dans une mise en scène qui n’est pas sans rappeler celle du Max Ophuls de « Lola Montès » ou de « Madame de ». Les années folles y sont admirablement rendues dans une débauche d’images superbement baroques, royaume où les apparences sont en efflorescence dans des décors couleur sépia saisis par des éclairs de magnésium. On y voit surgir un monde que les cruautés de la guerre ont rendu ivre de plaisirs, une petite société que sollicite toutes les folies. Nous sommes en plein essor du surréalisme, du marxisme, du jazz, en ces années où les femmes prennent enfin du galon ou aspirent à en prendre. C’est le cas de Marguerite qui se veut libre mais n’en est pas moins victime de ses sentiments, de ses aspirations, de ses déboires conjugaux et de sa fraîcheur naïve. Elle ne mange que du blanc, dit-elle, tant son désir de pureté est grand, oui du poulet, du riz, des poireaux, ainsi son rêve est-il paré des ailes d’un cygne. Un cygne qui navigue sur les eaux saumâtres d’une époque sans complaisance et en mourra, victime de ses chimères et de ses délires.

L’originalité du thème, la magnifique interprétation de tous les acteurs, la richesse de la mise en scène font de cet opus une rareté dans la production actuelle trop souvent banale et complaisante. Sans doute le plus beau film français de l’année, habité par une Catherine Frot prodigieuse et divinement bien accompagnée. Une très grande réussite.



2 réactions


  • colere48 colere48 17 septembre 2015 18:08

    Une femme riche et dénuée de talent, entichée de musique se pique de chanter des grands airs d’opéras en solo. Son entourage, par hypocrisie, intérêt, indifférence ou amour feint de ne pas entendre la catastrophe sonore et la conforte dans son désir de chanter en public. L’ « histoire » vraie inspirée de celle de F.F Jenkins tient en deux phrases.

    Une histoire cruelle ? Non mais un film cruel pour cette pauvre Catherine Frot qui déploie tout son talent pour sauver ce qui peut l’être. La réalisation est convenue, les décors « kitsch », les clichés surabondants. on a l’impression d’être dans le énième épisode de d’une série américaine ! Bref on s’ennuie du début à la fin.

    Le premier mot qui me vient à l’esprit, après la projection de ce film : ennui. Le second : Long. Je comprends mieux pourquoi Catherine Frot court tous les médias. Ce film est d’un barbant phénoménal

    Le film a un gros problème de rythme. Beaucoup trop long, il devient vite ennuyeux. Reste les acteurs, Frot et Michel Fau sont très bien.


  • egos 19 septembre 2015 00:49

    bsr


    « un songe où elle se croit enfin admirée et aimée. »

    d’ou tenez vs cette idée ?

    admirée, soit, sinon voir son talent reconnu

    quant à être aimée, si tant est ...

    est-ce là le seul but poursuivi par un artiste, 
    ds sa liaison morganatique au public ?

    la célébrité suscite des passions éphémères et des rancoeurs tenaces, 
    le prix à payer par ceux qui font offrande de leur don.

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