mercredi 17 septembre 2014 - par C’est Nabum

Virée chez les Yéniches

«  Mange tes morts, tu ne diras point ! » de Jean-Charles Hue

Si loin du but …

J'ai eu le privilège d'assister à une projection en avant-première du film : « Mange tes morts, tu ne diras point ! » de Jean-Charles Hue en compagnie du réalisateur. Ce film a été tourné et partiellement écrit par des acteurs amateurs, membres de la communauté des gens du voyage. Il est d'une rare précision, de celle que l'on peut qualifier de chirurgicale tant il tient lieu de documentaire.

J'avoue mon malaise lors de la projection. Si le film est sous-titré c'est parce que le langage des Yéniches exige souvent quelques éclairages. Ils ont un argot spécifique à leur communauté et surtout une manière bien à eux de débiter des tirades sans articuler. Ce torrent verbal est aussi chargé de jurons et de grossièretés, d'expressions-rengaines dont le redoutable « Tes morts ! » qui agrémente chaque réplique en guise de ponctuation délicate.

Pour moi, c'est là que réside la souffrance que j'ai éprouvée à suivre ce documentaire exceptionnel de précision et de vérité mais insupportable pour l'amoureux de la langue. J'avais mal pour ces gens au langage si sommaire, à la vulgarité si prégnante. Je n'y peux rien ; elle est profondément ancrée en moi cette aversion pour le langage excrémentiel et, par conséquent , ne me fait pas le meilleur juge qui soit de ce film.

Pourtant, je dois admettre que j'ai reconnu en ces personnages des élèves issus de cette communauté et dont le rapport si défectueux à l'expression orale m'a interpellé. C'est sans doute le sentiment d'échec qui ne manque jamais de se faire sentir avec eux, qui m'a ainsi sorti de cette histoire. J'avais mal pour ces personnages pour lesquels, si souvent, la prison est un passage normal dans leur parcours, un baptême respectable.

Alors, face à tous ces ressentiments, les explications du réalisateur après le film ne purent me convaincre, d'autant qu'il y avait un trop grand décalage entre l'épopée sauvage et meurtrière à laquelle nous avions assisté et les propos bienveillants d'un homme sincèrement admiratif de ces gens, pour que je puisse acquiescer à ses affirmations.

Non, son film n'est pas une plaidoirie pour les Yéniches, bien au contraire ; il met en avant la face obscure de leurs dérives. La rédemption par le baptême ne suffira pas à effacer les forfaits et les écarts, la folie et l'excès. Il ne faut certainement pas se tromper ainsi quand on aime tant des gens qui vivent depuis si longtemps en marge de notre société.

L'angélisme du réalisateur se fracasse contre la dureté impitoyable des images et de la bande-son. Le spectateur peut-il se prendre d'affection pour ces jeunes hommes à la dérive ? Je crois que la compassion serait le sentiment le plus approprié : sentiment qui ne donne jamais rien de bon dans la compréhension d'un groupe humain.

Reconnaissons pourtant le travail au scalpel de ce réalisateur brillant. Il a produit un grand film qui a justement mérité le Prix Jean Vigo à la « quinzaine des réalisateurs » à Cannes. Il n'est nullement question ici de remettre en question cette récompense parfaitement justifiée, ni cette œuvre qui emporte le spectateur à la manière des grands films américains.

Ceux qui veulent de l'émotion et du suspens, du spectacle et des surprises seront servis. Ceux qui veulent découvrir une société dont ils ignorent tout auront fait le plein de connaissances par la même occasion. Mais seront-ils pour autant convaincus de la bonté de ces gens, de leur authentique volonté de vivre en phase avec notre monde « gadjo » ? J'ai comme un doute.

La difficulté est grande de faire concorder ses intentions et son œuvre. Il y a bien souvent des zones de fracture entre ce que l'on espère et ce qui se passe réellement dans la tête du spectateur ou du lecteur. Jean-Charles Hue n'échappe pas à cela.

Mais au-delà de cette nuance, allez sans hésiter voir ce film qui sortira dans de nombreuses salles prochainement. C'est à vous de vous faire votre opinion, la mienne ne valant sans doute pas la peine que je me suis donnée à la coucher sur la papier. Accordez le bénéfice du doute à ce réalisateur parfaitement convaincu et si déterminé à soutenir la cause du peuple Yéniche !

Dépassez aussi vos réticences à la lecture de ce titre « Mange tes morts ! » qui apparaît en grosses lettres, alors que le sous-titre « Tu ne diras point » se fait tout petit et si discret en-dessous. Là encore, les intentions du réalisateur se heurtent aux exigences de la distribution et des soucis provocateurs. Et si l'incompréhension était le véritable sujet de ce film ? L'objectif serait alors remarquablement atteint.

Incommunicablement leur.



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