jeudi 25 mai 2017 - par C’est Nabum

Les trois prétendants

Le temps des désillusions

Ils étaient trois prétendants, trois princes qui rêvaient de succéder au roi ; non que celui-ci fût vieux et mourant, mais le pauvre monarque avait tant perdu la main, qu’il avait vu tous ses sujets lui tourner le dos. Les princes de sang étaient d’une branche qui divergeait de celle du malheureux souverain ; il fallait accepter cette évidence : le roi ne pouvait plus tenir son royaume : son impopularité menaçant à chacune de ses sorties de provoquer émeutes ou soulèvement de la populace, trahie par le félon.

Les trois princes se voyaient un destin magnifique, mais morbleu, il n’y aurait place que pour un seul ! C’était là leur certitude et ce qui les animait, chaque matin, quand leurs vassaux leur présentaient le savon à barbe, le miroir et le coupe-chou. L’un d’eux venait de la lointaine Guyenne, province farouchement attachée à son indépendance, à sa culture et à ce suzerain si sage. Sir Alban avait la faveur du pronostic ; les spécialistes éclairés de la chose seigneuriale, prédisaient son triomphe lors de la consultation des États Généraux.

Même s’il avait connu l’exil dans la lointaine et belle province, Alban avait toujours su montrer le visage de la probité et du rassemblement des trois corps de l’assemblée. Il avait adopté une posture de raison et de sagesse, s’était façonné une statue de commandeur qui rassurait et laissait présager des jours plus sereins dans le royaume. Il caracolait en tête durant les mois qui précédaient la convocation de l’assemblée et personne ne pensait que le sceptre pouvait lui échapper.

Alban se voyait déjà prendre la destinée du Royaume. Il avait tout envisagé ; il ne pouvait se voir privé de l’œuvre de sa vie. Toute son existence, il avait agi en retrait, juste derrière le Roi, pour tenir sa ligne et rester inflexiblement droit dans ses bottes. Il allait ramasser la mise, fort de sa position centrale dans la grande querelle de famille qui ne manquerait pas d’avenir.

Pour Nikolavitch, il en allait tout autrement. L’homme avait réputation sulfureuse, un goût prononcé pour l’intrigue et la trahison. Il était connu pour ses emportements, ses décisions à l’emporte-pièce, son langage de charretier et son penchant pour tout ce qui brille. Sa cupidité n’avait d’égale que sa capacité à séduire tout ceux qui avaient fortune et influence.

Nikolavitch, avait eu l’expérience de la souveraineté. Il avait été désigné Prince de Pologne ou d’un lointain royaume exotique. Il avait agi en suzerain énervé, incapable de maîtriser ses pulsions et ses humeurs. Sa séparation tonitruante avec la reine de l’époque avait fait scandale. Sa Sainteté le pape avait accepté sa nouvelle épouse, simplement parce qu’elle était d’origine italienne. Cependant ses frasques l’avait conduit à se retirer du trône et il aspirait à revenir triomphalement à la place du roi déchu.

Nikolavitch était soutenu par la noblesse. C’était là son point fort. Tout ceux qui avaient manoir à défendre et avantages à préserver voyaient en lui, le sauveur. Il ponctionnerait bien un peu plus que sa dîme pour maintenir la situation en l’état ; mais avec lui, pas de soucis : on pouvait accumuler sans honte ni remords. Hélas, le vilain prince grimacier était détesté par le tiers-états qui ne se reconnaissait pas une seule seconde en lui. Son passé sulfureux ne plaidait pas non plus en sa faveur.

Loin des querelles de ces deux-là, Ulysse faisait son petit bonhomme de chemin dans la discrétion et l’indifférence des deux autres prétendants. Sur ses terres de la Sarthe, l’homme tissait sa toile et son influence en flattant d’abord les représentants du clergé et leurs fidèles qui étaient nombreux dans les rangs du tiers-état. Il promettait le retour de la messe en latin, la génuflexion obligatoire avant de rentrer dans les écoles paroissiales et l’abrogation de lois scélérates contre la famille.

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Pour renforcer son image, il se présentait comme le chevalier blanc, l’homme aux mains propres et à la probité exemplaire. Tapi dans l’ombre, il regardait, avec le sourire aux lèvres, le duel des deux autres, avançait sereinement ses pions, bien aidé en cela par le petit duc d’Orléans qui lui avait fait allégeance et s’était voué corps et âme pour que son triomphe devienne réalité. Sans bruit, il progressait dans les esprits ; surtout qu’il était devenu le favori d’une branche hérétique de l’église de France qui se nomme « La cérémonie pour tous ! ».

C’est, fort de ces appuis occultes, qu’il élimina sans coup férir le petit Nikolavitch. Il avait profité, pour le coup, de la collaboration, bien involontaire, des ennemis de l’extérieur qui avaient voulu faire payer au méchant prince ses dérapages polonais. Puis, sans que cela fût prévu par les devins et les chiromanciennes, il emporta le duel final de manière triomphale. La noblesse d’épée s’étant ralliée aux gens d 'église pour l’adouber comme futur prétendant au trône.

Il ne restait plus qu’une formalité après le vote du tiers-état. Il lui fallait obtenir le trône par acclamation publique lors de la traversée du royaume. Il allait enfourcher son destrier, quitter son beau château de la Mayenne pour se lancer dans sa chevauchée triomphale, quand des gens de robes avec des bonnets pointus vinrent se mettre en travers de sa route.

Des accusations fallacieuses, de sombres histoires de trésor royal détourné, des rumeurs honteuses sur les bijoux de la princesse, son épouse, jetèrent l’opprobre sur sa personne. Ulysse ne voulut pas écouter le chant des sirènes et surtout des cornes de brune, il maintint contre méchants et navrés sa volonté de remplacer le roi défaillant et ce fut le cataclysme, le grand naufrage des princes de sang. Il reçut horions et injures, crachats et farine et se retrouva le bec dans l’eau de la honte, à la consternation des deux corps qui l’avaient soutenu.

Alban de Guyenne refusa de le suppléer. L’homme avait été atteint dans sa dignité : perception qui faisait cruellement défaut à ses deux adversaires ; il refusa de prendre la place du renégat, de la canaille mis sur la sellette par une justice aux ordres du roi. Nikolavitch ne put, quant à lui, leur déclarer : « Poussez-vous de là que je m’y mette ! », son rejet par le bon peuple était tel que c’eût été folie que de risquer la révolution.

Les trois prétendants se retrouvèrent cochons comme devant, le nez dans la farine et la queue basse. Le royaume qui leur tendait les bras, ce pouvoir qui leur appartenait en droite ligne, en toute logique allait leur échapper. Un gredin, un manant, pas même de sang électif, allait empocher la mise, poussé qu’il était par la grande bourgeoisie d’affaires qui aspirait, enfin, à ne plus agir dans l’ombre, et le parti de l’étranger et du capital qui faisait désormais main basse sur cette nation devenue subalterne.

Le tiers-état n’avait, une fois encore, plus que ses yeux pour pleurer. La farce lui échappait de nouveau, et le nouveau petit duc allait fondre sur leurs derniers avantages. Une grande période de disette allait advenir ; mais l’essentiel n’était-il pas d’avoir, une fois de plus, repoussé la menace terrifiante de l’affreuse et immonde mégère héritière qui couvait à travers nos campagnes. Les sinistres Chauffeurs de Pâturons ne cessaient d’accroître leur influence dans les territoires reculés pour venir brûler les pieds des mécréants, des infidèles, des Teutons, des bataves, des Ibères, des Lucitanos, des Ritales, de tous les expatriés, des canailles au pouvoir et de tous les exilés.

La menace était écartée cette fois ; la prochaine sera la bonne, à n’en point douter, si rien ne change dans le curieux royaume de France. Les trois prétendants s’étaient retirés. Deux étaient retournés dans leurs provinces quand le troisième jouait désormais le petit bagagiste pour un grand groupe hôtelier.

Princièrement leur.

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