mardi 19 septembre 2017 - par C’est Nabum

Quelques piliers de barre entre Loire et Terrain

Quand souffle le grand Vent d'Ouest

Quand le vent d'Ouest se lève sur les rives de la dame Liger, il convient de troquer la casquette à visière d'entraîneur pour un chapeau de feutre de la marine de Loire. Le temps est venu de mettre un bouchon et de tenir la barre, le bras accoudé au comptoir d’une taverne quelconque et de refaire le match ou bien le point, confondant les époques et les passions.

Sur le terrain de rugby, le vent de Galerne rend fou les joueurs et le ballon. Chacun y perd la direction à suivre et le cap à tenir pour garder la tête hors de l'eau. Sur l'onde sauvage, il permet d'abandonner ces maudits moteurs, valets d'une modernité discutable. La navigation remonte alors le courant et l’histoire.

Au rugby, celui qui l'a dans le dos sait qu'il va souquer ferme pour atteindre le port avec une bonne avance. L'ailier, poussé par la rafale met les bouts pour aller pointer à dame mais le buteur y perd son latin pour maîtriser une trajectoire incertaine. Sur l'eau, il nous pousse sans effort, la grande voile carrée toute gonflée de son importance permet de remonter la rivière en se moquant de ce courant tumultueux. Par la gueurde, chacun admire le paysage en se concentrant sur la manœuvre. Et si par hasard, les protagonistes ne pouvaient se départager, sur le terrain, il y aurait prolongation quand sur l’eau, l’allongé ferait l’affaire.

A la mi-temps, l’équipe qui l'avait dans le nez espère tenir sa revanche. Il faudra changer de stratégie, refaire le handicap et aller de l'avant après avoir baissé la tête sous les coups de boutoir d'un adversaire gonflé à bloc. À l’escale, l’équipage d’eau douce aime à se délecter des vins de Loire, il repousse avec dédain les citrons des sportifs à moins qu’ils n’accompagnent une bonne rasade de rhum. Au bout de la course, il faut affaler la voile et s'en remettre à l'onde pour retourner au port. Donner quelques coups de bourde, bloquée dans les arronçoirs, de peur de faire des bêtises et finir par s'ensabler. Garder la route et jouir du silence d'une descente poussée par le fleuve, regarder les hérons cendrés et tout là-haut le balbuzard qui plane.

À la reprise, le vent pousse l'attaque mais la défense s'arc-boute sur sa ligne. Il faut franchir le barrage, ouvrir les vannes pour refaire ce retard. Chaque point compte et le vent fait souvent déjouer celui qui en abuse et n’a d’autre projet que de s’appuyer sur lui. Au retour au port, si le vent souffle toujours autant, l'envie d'une nouvelle virée prend les mariniers toujours entre deux bordées. La vitesse les grise toute comme cette petite rasade de notre bonne vieille poire d'Olivet. Les aigrettes garzettes leur font de douces œillades !

À la fin du match, le vent a choisi son vainqueur. Les perdants se font souffler dans les bronches par un capitaine seul maître à bord après l’insupportable entraîneur ! Les gagnants sont ceux qui ont maîtrisé les sautes d'humeur de ce capricieux zéphyr. Ils se griseront de bons coups à boire et rentreront chez eux avec un joli brin de vent dans les voiles. Quand la voile est affalée, que les bouts sont roulés, que le mât est abaissé, le batelier jette l'ancre et s'en retourne à terre. C'est à regret qu'il abandonne la rivière et son beau bateau de bois. Il rêve déjà à la prochaine sortie quand le grand vent d'ouest soufflera de nouveau sur le Val de Loire entre Orléans et Sully, là où le fleuve est le théâtre d’une sombre affaire évoquée dans le roman : « Règlement de Conte sur la Loire ».

Je ne saurai jamais ce qui est le plus grisant ; une victoire dans ce beau jeu d'Ovalie ou une sortie, vent portant, avec les gars des mariniers croix de bois, la gueule en pente et le cœur sur la main. Partout le long de la Loire, les fûtreaux, les chalands, les toues et les gabares rejouent la partie de l’aventure magnifique de la marine de Loire. Ils se regroupent durant cinq jours dans le port d’Orléans pour célébrer leur amour de la navigation à l’ancienne. Il ne manque que quelques mâts dressés avec de belles traverses, pour que d’autres gaillards aussi mal embouchés, viennent jouer de la vessie de port. Les uns et les autres ne sont guère fréquentables et c’est ce qui les rend si attachants.

Un batelier est un pilier potentiel, de barre à coup sûr ! Un joueur de rugby est tout aussi fidèle que lui au bar et il aime à prendre le quart quand sonne l’heure de la troisième mi-temps. Le grand vent d'ouest les a rendus tous un peu fou ! Quant à moi, je ne sais plus où j’en suis, confondant les uns et les autres, tous beaux braillards et sacrés lascars ...

AuValeDeLoirement vôtre.



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