samedi 21 mai 2016 - par Hamed

Comment la « monnaie hélicoptère-pétrodollar », parachutée sur les pays arabes, a prolongé l’hégémonie américaine sur le monde ?

 Comme énoncé dans la précédente analyse (1), « le monde, en 1971, vivait une crise monétaire grave. On peut même dire la plus grave crise monétaire que le monde ait vécue depuis 1945. Et les effets de l’avant crise de 1929 ont refait surface, et ont généré ce qui allait opposer les États-Unis à l’Europe. Cette crise intra-occidentale se solda par la fin de la convertibilité du dollar en or.  » Le monde entrait dans le monde inconnu du change flottant. Comment va-t-il s’opérer ?

 

  1. Une politique hégémonique allant de pair avec l’afflux massif de dollars sur le monde

 

 Alors que les États-Unis étaient engagés dans des guerres en Asie pour endiguer les avancées du communisme, l’Europe qui avaient perdu ses colonies en Asie et en Afrique, pour ainsi s’est déchargée de ses guerres de libérations, et reconstruite des destructions du Deuxième Conflit mondial, s’imposait progressivement dans le commerce mondial. Ses avancées industrielles en firent un concurrent sérieux à la première puissance économique du monde. Puisque dès 1971, les pays d’Europe prenaient des dispositions « pour conjurer l’entrée massive de dollars en RFA. » En l’absence de solutions communautaires, la Bundesbank laisse « flotter le DM et la Banque de France maintient la parité du franc. » Le 8 mai 1971, la recherche communautaire d’une solution commune à la crise monétaire n’a pas abouti. Le président Nixon annonce, le 15 août, la suppression de la convertibilité en or du dollar et de l’instauration d’une taxe de 10% sur les importations. (2)

Aussi, devons-nous nous interroger, combien même les revendications monétaires européennes étaient légitimes, que les déficits accumulés par les États-Unis et l’utilisation du dollar pour les monétiser et les répercuter sur l’Europe et le reste du monde, signifiaient-ils qu’ils prélevaient des richesses, comme l’affirmait à l’époque le président de Gaule « gratuitement », du reste du monde, notamment de l’Europe ? Et l’Europe remit en question le dollar américain, et par conséquent les accords de Bretton Woods de 1944, qui ont fait du dollar-or, la monnaie-centre du système monétaire international.

Le problème était-il mal posé entre les deux tenants de l’ordre monétaire du monde ? Peut-on penser que « les Américains ne travaillaient pas assez, donc n’exportaient pas suffisamment. D’où la perte d’une grande partie du stock d’or au profit de l’Europe, et la remise en cause du « dollar as good as gold » ? » En réalité, dès la fin du Conflit mondial, le monde vivait une situation extrêmement périlleuse. A l’époque, une moitié de la planète était sous régime communiste ou socialiste, et l’autre moitié sous régime capitaliste libéral. Donc deux systèmes qui se contrebalançaient, dont un devait disparaître.
Si les États-Unis n’avaient pas existé, ou qu’ils étaient sortis amoindris de la guerre, il est clair que cela aurait signifié la fin du monde libre. La misère, le dénuement, le désordre, aurait poussé les peuples dans la voie du communisme. Même les États-Unis n’échapperaient pas à un régime communiste. Et c’est ce qu’Harry Truman, en 1947, au Congrès des États-Unis, le 12 mars 1947, lançait l’avertissement. « Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement […]. Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin […]. Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier. […] de maintenir la liberté des États du monde et à les protéger de l'avancée communiste. »

Mais le problème est que cette protection du monde libre s’est traduite par d’innombrables guerres dont celles de Corée et du Vietnam furent les plus marquantes, des années 1950 aux années 1970. Et même cette protection du monde libre n’était pas innocente. Les États-Unis en fait luttaient pour imposer leur hégémonie sur le monde. La politique d’endiguement n’était qu’un prétexte pour avoir le plus d’appui dans le monde, l’Europe de l’Ouest étant acquise.

Depuis la crise des missiles de Cuba, en octobre 1960, où le monde a frôlé d’un cheveu une troisième guerre mondiale, et qui a amené d’ailleurs l’instauration du « téléphone rouge » en 1963, il apparaissait incontestablement que « les arsenaux nucléaires de part et d’autre constituaient désormais des lignes rouges à ne pas dépasser, sous peine d’une destruction mutuelle quasi instantanée des deux superpuissances du monde. »

Alors doit-on s’interroger sur cette fuite en avant des États-Unis contre des pays souverains ? « Imposer par la force des régimes dictatoriaux de droite très répressifs, n’est-elle pas un trait de la politique étrangère américaine pour dominer le monde ?  » Peut-on dire que les Américains étaient distancés par les pays européens, ou qu’ils ne travaillaient pas assez ? Non ! Leurs déficits extérieurs relevaient essentiellement de leur politique étrangère qui cherchait à mener des guerres partout où l’Amérique y voyait son intérêt, ou à installer des régimes à leurs bottes, sous le fallacieux prétexte de défendre le monde libre alors que le vrai but était la domination du monde. Et cette politique hégémonique ne faisait qu’élargir les déficits qui s’accrurent considérablement, obligeant les pays européens à réagir devant l’afflux massif des dollars.

 

  1. Le risque majeur pour le monde, dans les années 1970, de revivre une dépression économique du type des années 1930

 

 Evidemment, comme on l’a montré dans la précédente analyse, les autorités monétaires américaines, pour passer le barrage monétaire instauré par l’Europe, se sont inspirées de la théorie friedmanienne.

Dans son livre « Two lucky people : Memoirs » (1998), Milton Friedman écrit : « La Fed est largement responsable de [l'ampleur de la crise de 1929]. Au lieu d'user de son pouvoir pour compenser la crise, elle réduisit d'un tiers la masse monétaire entre 1929 et 1933… Loin d'être un échec du système de libre entreprise, la crise a été un échec tragique de l'État. »

Dans un autre livre, « The optimum quantity of money », paru en 1969, Friedman énonce : « Supposons maintenant qu'un jour, un hélicoptère survole cette communauté et descend une somme supplémentaire de 1000 $ dans les factures du ciel, ce qui est, bien sûr, à la hâte recueillis par les membres de la communauté. Supposons encore que tout le monde est convaincu que cela est un événement unique qui ne sera jamais répété. »

Précisément, cette approche de monnaie-hélicoptère est, depuis la crise financière de 2008, très employée par les grandes Banques centrales occidentales, pour relancer leurs économies.

Puisque la relance économique s’est opérée par la relance monétaire, par des programmes de « Quantitative easing (QE) » depuis 2007, et a produit des effets positifs, on peut à juste raison se poser la question sur le sens des pétrodollars. Qu’en est-il de cette masse de pétrodollars et leur recyclage à travers le monde ? Il faut rappeler que les politiques d’assouplissement monétaire non conventionnel (QE) par les quatre grandes Banques centrales du monde (Fed américaine, Banque centrale européenne, Banque de Grande-Bretagne, Banque du Japon) ont permis d’atténuer fortement les effets de la crise financière de 2008 et assuré la stabilité es finances publiques, en Occident. Aujourd’hui encore, la Banque centrale européenne continue ses rachats de dettes publiques et privées, à raison de 80 milliards d’euros par mois.

Dès lors n’y a-t-il pas une similitude de cause à effet entre les politiques d’assouplissement monétaire menées depuis 2007, soit plus de huit années, et les politiques monétaires menées par les États-Unis, au cours des années 1970. Mais alors comment décrypter la similarité des processus entre les années 2007-2014 et les années 1970 ?

Lorsqu’en 1971, les pays européens refusèrent d’absorber les dollars américains issus de la monétisation des déficits de la première puissance mondiale, ils mettaient l’Amérique dans une situation économique et financière très difficile. Il faut seulement rappeler que l’Europe comme le Japon ne doivent leur reconstruction et leur montée en puissance industrielle qu’aux déficits commerciaux que les États-Unis avaient enregistrés dans leurs échanges. Il est évident que « sans les déficits commerciaux américains », les pays européens n’auraient pu se reconstruire ni regagner de compétitivité internationale aussi rapidement. » Ni accumuler des milliers de tonnes d’or que l’Amérique a transférés à leurs profits.

D’autre part, si l’Amérique acceptait ce que l’Europe lui imposait, « mettre fin aux déficits extérieur et donc ne plus recourir à la planche à billet » et user de ses ressources pour financer ses déficits extérieurs (régler en or ou en valeurs financières reconnues) et redresser la balance commerciale en exportant plus et en important moins, elle aurait certes entraîné la résorption du déséquilibre extérieur américain, mais aurait provoqué en même temps une situation extrêmement préjudiciable pour l’économie occidentale, et le reste du monde. En effet, on aurait trois grands pôles de puissance économiques qui produiraient avec « des déficits à somme nulle » puisque personne n’aurait à gagner dans l’échange.

Les déséquilibres des balances commerciales s’ajusteraient automatiquement par une dépréciation ou une appréciation du taux de change et la compétitivité de chaque pôle alternerait. Ainsi, sans moteur qui tirerait l’économie occidentale, et par son biais l’économie mondiale, le monde serait forcément confronté à une chute de l’absorption mondiale. Ni l’Occident dont les échanges seraient à somme nulle ni le reste du monde qui verrait le volume de ses exportations rongé par la faiblesse de la consommation dans les pays avancées. Le moteur que furent les États-Unis au cours des « Trente Glorieuses » aurait cessé d’exister, et il ne trouverait personne pour le remplacer. Privé d’un moteur qui tirerait la machine mondiale, le monde aurait à revivre de nouveau la dépression économique des années 1930, avec la cohorte de millions de chômeurs pour chaque pays. Comme ce qui s’est passé aux États-Unis, 15 millions de chômeurs déracinés, en Allemagne, 6 millions de chômeurs avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

 

  1. 1971 : Les pays arabes dictent le prix du pétrole à l’Occident ?

 

 Mais alors que s’est-il passé pour que la crise monétaire opposant les États-Unis à l’Europe fût dépassée ? Pour comprendre, il faut revenir aux événements troublants qui ont marqué l’année 1971. Une année où c’est le reste du monde qui, en jouant le rôle d’intermédiaire dans la crise intra-occidentale, aura progressivement à changer l’ordre de puissance mondial. Aussi interrogeons-nous sur les événements qui ont marqué la crise pétrolière. Comment les arabes ont pendant dix ans cherché en vain d’augmenter le prix du pétrole, et n’ont pas réussi de s’entendre entre eux pour limiter les surplus ou diminuer la production, pour provoquer une pression suffisante sur l’offre pour obtenir une hausse des prix ? Et, qu’en quelques semaines, à la surprise générale, les pays de l’OPEP obtinrent une victoire totale. En effet, à Téhéran, lors des négociations au début de l’année 1971, on était très loin de l’ambiance qui prévalait vingt ans plus tôt, lors de la nationalisation du pétrole iranien par Mossadegh, et le coup d’Etat qui a suivi, piloté par la CIA. Mossadegh fut renversé, le 15 août 1953. Pour la première fois, les pays producteurs de pétrole ont joué un rôle principal dans la formation des prix du pétrole, alors qu’il avait toujours appartenu aux compagnies occidentales. Dans une analyse des accords conclus à Téhéran et à Tripoli (3), en février 1971, on y lit : « 1° L'Accord de Téhéran. Une première négociation s'ouvrit le 19 janvier 1971 à Téhéran entre les représentants des deux compagnies pétrolières et le Comité des pays producteurs de pétrole brut du Golfe Persique. La négociation s'avéra, dès les premiers jours, très difficile et buta sur le montant de la hausse des prix de référence et sur le lien entre les prix du Golfe Persique et les prix méditerranéens : elle ne put aboutir dans les délais limites fixés par l'O.P.E.C. au 3 février 1971.

Sous la menace concertée, lors d'une nouvelle réunion de l'O.P.E.C. tenue le 4 février 1971 à Téhéran, des pays membres décident d'agir unilatéralement et de décréter l'embargo des cargaisons des compagnies qui ne se soumet­traient pas à leurs exigences, les pourparlers reprirent et aboutirent le 14 février 1971 à un accord limité au Golfe Persique.

Cet accord, qui prit effet le 15 février 1971, est valable pour une durée de 5 ans et concerne exclusivement les livraisons de pétrole brut au départ des ports d'embarquement de six pays riverains du Golfe Persique à savoir —Abu Dhabi, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran — le Koweït et Qatar auxquels il donnait de substantielles satisfactions. […]

2° L'Accord de Tripoli.

Entre temps, la Libye, avait, dès les premiers jours de janvier 1970, réclamé de nouveau à deux sociétés pétrolières concessionnaires une nou­velle augmentation du prix de référence, le relèvement à 63 % du taux de prélèvement sur les bénéficies et le réinvestissement sur place de 25 cents par baril.

Le Gouvernement libyen, qui s'était opposé jusque-là à toutes négociations d'ensemble, modifia son attitude au vu des résultats de l'Accord de Téhéran.

Le 25 février 1971, le Gouvernement libyen, après avoir consulté les gouvernements des trois autres pays intéressés, membres de l'O.P.E.C. — l'Irak, l'Arabie Saoudite et l'Algérie — faisait connaître ses exigences aux représentants des compagnies : celles-ci consistaient en une augmentation de 47 % des prix de référence résultant des accords particuliers conclus en 1970 et dans le réinvestissement sur place de 25 cents par baril dans de nouvelles recherches.

A la suite de négociations difficiles, un accord se réalisa le 2 avril 1971 entre le Gouvernement libyen, d'une part, et chaque compagnie intéressée, d'autre part, sous la forme d'échanges de lettres types contenant les pro­positions arrêtées par les sociétés le 21 mars 1971 et favorablement accueillies par le Gouvernement.

Les clauses de ces accords portèrent, comme celles de l'Accord de Téhéran, sur le relèvement de 50 à 55 % des taux de prélèvement sur le bénéfice et sur l'augmentation des prix de référence fiscale dont les modalités de détermination étaient différentes sur certains points pour tenir compte de la proximité géographique de la Libye par rapport aux marchés européens.

L'Accord de Tripoli adopta comme l'Accord de Téhéran, d'une part, une majoration initiale du prix de référence du baril de 35 cents, mais y ajouta une prime de faible teneur en soufre de 10 cents et un ajustement de fret de 7 cents, qui portèrent cette majoration à 52 cents, d'autre part, des majora­tions successives annuelles de 5 cents par baril et un supplément de 2,5 % pour tenir compte de l'évolution de l'inflation mondiale. A ce prix, ainsi fixé, fut additionnée une prime géographique mobile de 25 cents, dont 12 cents, dite prime de Suez, qui serait réajustée lors de la réouverture du canal et 13 cents, dite prime de fret, variable selon les niveaux des taux de fret, et qui devait être révisé trimestriellement, à compter du 1er juillet 1971.

Par ailleurs, les sociétés signataires s'engagèrent à réinvestir sur place « une partie limitée et satisfaisante de leurs profits » pour la recherche de nouveaux gisements, mais aucun chiffre n'était fixé impérativement à l'avance. »

Il faut aussi mentionner la nationalisation par la Libye des sociétés pétrolières le 4 juillet 1970. A sa suite, l’Algérie décide, à son tour, la prise de contrôle à 51 % des sociétés pétrolières françaises et la nationalisation des pipe-lines et le gaz naturel. Le 7 décembre 1971, la Libye nationalise les avoirs de la British petroleum. Le 1er juin 1972, c’est le tour de l’Irak qui nationalise l’Irak Petroleum Company (IPC). (2)

D’autre part, quatre micro-Etats pétroliers (pétromonarchies arabes du Golfe) obtinrent l’indépendance, la même année qui a vu ces bouleversements pétroliers. Le Bahreïn, le 15 août 1971, le Qatar, le 3 septembre 1971, les Émirats arabes-unis, le 2 décembre 1971, et l’Oman obtint la fin du protectorat britannique.

Que peut-on dire de ce bouleversement de rapport de force dans la domination pétrolière ? Trop de coïncidence dans les événements qui ont marqué les pays arabes exportateurs de pétrole pour la seule année de 1971. Relèvent-t-ils d’une stratégie arabe qui témoigne de leur nouveau poids sur le marché pétrolier mondial ? « Difficilement à admettre quand on sait que les six monarchies du Golfe, mises en place par l’Occident, sont sous haute protection militaire américaine, et dépendent directement des États-Unis pour leur sécurité. »

 

  1. Parachuter de la « monnaie hélicoptère-pétrodollar » sur les  pays arabes ?

 

 Evidemment, le monde a changé. Les États-Unis font face, en 1971, à deux crises majeures. C’est toute la puissance militaire américaine qui était en jeu, à l’époque, et par conséquent son hégémonie sur le monde. D’abord au Vietnam, l’inéluctabilité d’une débâcle était tellement présente qu’un dégagement peu honorable des forces militaires américaines était plus que pressenti par l’establishment américain. C’était tout au plus une question de temps, devenu de plus en plus urgent. Enfin l’autre problème majeur, c’était la crise monétaire avec l’Europe, aussi grave sinon plus. Une Europe pourtant alliée et qui refusait de financer les déficits commerciaux américains. En clair, l’Europe n’acceptait plus les dollars émis sans contreparties productives, ce qui obligeait les États-Unis à mettre fin à leurs déficits commerciaux. Ce qui sera vécu comme un séisme majeur pour l’Amérique pour son statut de première puissance du monde

« La question qui s’est posée aux stratèges américains était que faire. » La première réponse a été la visite du président Nixon à Pékin, du 21 au 28 février 1972. Préparée par le conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, (et non par le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, William P. Rogers), en juillet 1972, cette visite avait un seul nom : « le dégel dans les relations internationales avec la république populaire de Chine, et l’intention américaine de mettre fin à la guerre du Vietnam.  » Cette realpolitik était déjà une prise de conscience pour les États-Unis, non seulement qu’ils faisaient fausse route, mais montrait les limites de la puissance des États-Unis dans le monde.

Comme les Vietnamiens l’ont reconnue, cette guerre a été un véritable gouffre financier qui allait emporter l’Amérique, si elle n’y mettait pas fin. Et sans espoir de victoire. De plus, sans moyens financiers et monétaires – l’Europe remettait en cause le statut du dollar dans le système monétaire international –, elle ne pouvait se prévaloir d’être au-dessus des autres nations.

Le deuxième élément de réponse de ce que l’Amérique devait faire pour sortir de la crise monétaire qui était très menaçante pour la première puissance du monde, et qui devait prolonger son hégémonie sur le monde, fut apportée par l’économiste Milton Friedman qui énonçait le seul moyen de sortir de la crise économique et financière était de « parachuter des dollars sur l’économie américaine. » En d’autres termes, augmenter la demande.

Si on prend la théorie de Milton Friedman à la lettre, comme la Fed l’a fait, entre 2007 et 2014, avec les programmes de Quantitative easing, adossés au rachat de dettes publiques et privées, pour financer les déficits extérieurs, et par conséquent « parachuter des dollars sur l’économie américaine en 1971 », il est évident que cela ne fonctionnerait pas du fait de la circulation des dollars sur les marchés monétaires et du refus européen d’absorber des dollars émis ex nihilo.

Cela n’entraînerait qu’une dépréciation de la monnaie américaine qui serait périlleuse pour l’économie américaine. D’autant plus que les États-Unis, avec la décision unilatérale de suspendre la convertibilité du dollar en or, avaient déjà provoqué une crise ouverte avec l’Europe. Les pays européens, y compris le Japon, avaient laissé leurs monnaies flotter sur les marchés, en 1971. Même l’accord de Bâle du 24 avril 1972 (création du serpent monétaire européen) n’a pas permis de régler la crise. Les pays européens, quittant le serpent monétaire, ont laissé, les uns après les autres, flotter leurs monnaies. La Grande-Bretagne, le 23 juin 1972, la Bundesbank, le 29 juin 1972, l’Italie, en janvier 1973… (2) L'instabilité monétaire s’étant généralisée, une menace sérieuse planait sur les échanges entre l’Europe et les États-Unis.

« Parachuter de la monnaie hélicoptère était donc impossible pour la Fed américaine. » Alors que faire ? Les États-Unis, du fait même de leur statut de première puissance économique et militaire du monde, sont confrontés à des déficits structurels avec le reste du monde. Qui plus est, avec la multitude bases militaires disséminées à travers le monde, leurs flottes de guerres sillonnant les mers, ils jouaient en quelque sorte le « gendarme du monde ». La question se pose : s’ils ne peuvent « parachuter de la monnaie hélicoptère » sur leur propre économie, ils ont cependant un expédient extérieur. Par exemple, « parachuter de la monnaie hélicoptère sur des pays tiers, en l’occurrence des pays alliés, et bénéficier indirectement des retombées positives de ce parachutage financier ».

Mais alors, comment vont procéder les Américains pour passer le barrage monétaire européen ? Précisément, ils auront recours à des alliés, en dehors de l’Europe et du Japon. Et le choix se portera naturellement sur « les pétromonarchies du Golfe qui détiennent les plus grands gisements de pétrole du monde, dont la survie des dynasties monarchiques arabes dépend directement de leur parapluie militaire. » 

Et c’est ainsi qu’une entente pour les États-Unis fut vite trouvée avec ses alliés, les pétromonarchies du Golfe. En effet, facturant leur pétrole en dollar, et augmentant le cours du pétrole, les pays arabes fournissent la possibilité à l’Amérique de parachuter de la monnaie hélicoptère sur le monde, que le monde nommera « pétrodollar  ». Ce qui permettra de prolonger le processus de financement des déficits américains, qui sont essentiels pour le maintien de son hégémonie sur le monde. Sans ce financement, les États-Unis ne peuvent maintenir leur posture en tant que superpuissance unique par le pouvoir financier et monétaire qu’elle détient sur le monde.

 

  1. Conclusion de la cinquième partie

 

 Comme on l’a exposée dans la précédente analyse (1), les pays arabes ne peuvent avoir satisfaction de la hausse des cours pétroliers que si la Banque centrale américaine (Fed) accompagne la hausse des prix en procédant à une augmentation conséquente de la masse de dollars. Et cette masse monétaire émise en dollars viendra justement financer les déficits américains. Ainsi, tous les pays industrialisés (dont les pays d’Europe) qui importent du pétrole arabe seront obligés d'acheter des dollars sur les marchés monétaires pour régler leurs importations. Donc il y a un intérêt financier et monétaire partagé entre les pays arabes qui profitent du parachutage de pétrodollars via la hausse des prix du pétrole et les émissions monétaires massives que la Fed américaine opère pour financer les déficits extérieurs de l’Amérique.

Un point important cependant à souligner. Pour pondérer les émissions monétaires américaines, il sera nécessaire pour les pays arabes, dans ce montage financier, d’investir leurs excédents aux États-Unis, et non en Europe, au Japon, ou autres pays industrialisés. Car, si les pays arabes chercheraient à diversifier leurs placements issus de leurs excédents commerciaux, pour une raison d’intérêt financier, par exemple, un taux d’intérêt plus élevé en Europe qu’aux États-Unis, ils annihileraient forcément le parachutage des dollars-hélicoptères. Car les conséquences seront immédiates. Le dollar s’affaiblirait par un surplus de dollars sur les marchés puisque les pays européens s’empresseraient de convertir les dollars que les pays arabes ont placés dans leurs banques, en leurs monnaies, créant une forte dépréciation du dollar que les États-Unis ont cherché précisément à éviter. Et donc le financement des déficits américains serait remis en cause.

D’autant plus que les États-Unis accumulent, année après année, des déficits extérieurs (ils sont structurels), qui se comptent en milliers de milliards de dollars, faisant sans cesse augmenter la dette publique. Ce qui explique d’ailleurs « la nécessité du choc pétrolier de 1973, et le quadruplement du prix de pétrole lors de la quatrième guerre israélo-arabe. »

Par conséquent, les placements arabes aux États-Unis permettent d’éviter que les pays européens convertissent les pétrodollars en leurs monnaies sur les marchés, qui ne feront que déprécier la monnaie américaine (excès de dollars sur les marchés monétaires).

Les pays d’Europe ne veulent détenir que les liquidités de dollars de « précaution » pour leur commerce extérieur dont le règlement en dollar des factures d’importations de pétrole des pays du Golfe et d’Afrique du Nord.

Pour les pays d’Europe qui ont déjà des dettes publiques, « acheter des masses de dollars équivaudrait à acheter de la dette publique américaine.  »

Cela étant pour les placements des excédents pétroliers arabes, il reste un autre point tout aussi important. C’est le règlement des importations d’équipements, de marchandises manufacturées, de produits agricoles et des services, effectuées par les pays arabes, en provenance essentiellement d’Europe, du Japon, ou autres pays qui utilisent les monnaies autre que le dollar.

Les pays arabes seront obligés d’acheter des livres sterling, des deutschemarks, des francs français, des lires italiennes, etc., sur les marchés, pour régler leurs importations, ce qui exigerait des conversions de liquidités importantes en dollars en d’autres monnaies. Ce qui ne fera que déprécier la monnaie américaine, et remettra en question le financement des déficits extérieurs américains.
Mais alors, les pays arabes ne peuvent faire autrement qu’importer des marchandises d’Europe, du Japon et d’autres pays. Il n’y a plus d’échappatoire ni pour les pays arabes, ni pour les États-Unis, le maître de l’œuvre dans ce « montage financier à l’échelle planétaire » ? Pourtant, le montage financier de niveau mondial, on peut le dire, a admirablement fonctionné. Et il continue de fonctionner, aujourd’hui même. D’ailleurs, il a merveilleusement fonctionné entre 2000 et 2014, en « régalant les pays arabes de monnaie hélicoptère-pétrodollar », ces pays ont amassé plus de 3000 milliards de dollars, et ce seulement en excédents commerciaux, i.e. en réserves de change. Et il faut le dire au grand bonheur de l’économie mondiale. La Chine, via ce montage financier, a accumulé de formidables réserves de change. Evidemment, la chute du prix de pétrole depuis 2014 obéit à d’autres considérations dont on a données quelques éléments de réponse, dans les analyses précédentes.

Mais, en revenant aux importations des pays arabes en provenance d’Europe…, que s’est-il passé pour que le dollar américain n’ait pas subi de grands dommages sur les marchés monétaires internationaux ? Tout au plus des fluctuations à la hausse ou à la baisse tout à fait acceptables et maîtrisables. Il faut le dire, une véritable énigme. Qui, au fond, était nécessaire parce qu’elle venait, à son tour, doper l’économie mondiale, et rendre le « recyclage des pétrodollars par l’Occident encore plus opérants ».

D’autre part, il faut revoir ce qu’on a dit sur les placements des excédents pétroliers par les pays arabes. Dans la réalité, ce qui a été dit en théorie ne s’est pas appliqué en pratique. En effet, les pays arabes ont certes investi le gros de leurs placements en bons de Trésor américains qui sont très sûrs et très liquides, mais cela ne les a pas empêché d’investir aussi en Europe… pour diversifier leurs portefeuilles de placements. Là, encore, « c’est l’énigme financière et monétaire qui a joué ».

 

Medjdoub Hamed
Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective

www.sens-du-monde.com

 

Notes :

1) « Imposture du choc pétrolier de 1973 ou Nécessité de la « face cachée » de l"imposture ? », par Medjdoub Hamed. 16 mai 2016
www.sens-du-monde.com , www.agoravox.fr , www.lequotidien-oran.com

2) « Réunion, au Luxembourg, des Six, le 7 mai 1971 », Chronologie de l'économie mondiale depuis 1945, par Bruno Benoit et Roland Saussac. Edition BREAL. 1992 France

3) « Les Accords de Téhéran et de Tripoli », par Jean Devaux-Charbonnel. Annuaire français de droit international. Année 1971
http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1971

 

 



4 réactions


  • Allexandre 21 mai 2016 11:09

    Très bonne mise au point !! N’en déplaise à ceux qui se gargarisent de faux semblants et d’arrangements en tous genres !


  • Alren Alren 21 mai 2016 19:26

    Le général de Gaulle avait raison, l’émission frénétique de dollars par les USA pour masquer le manque d’efficacité du capitalisme sans frein qu’ils s’imposaient et voulaient imposer au monde, sans que les dirigeants bourgeois des autres pays ne renâclent devant cette escroquerie manifeste, (non plus qu’aujourd’hui d’ailleurs), pour la raison inavouable aux peuples que cela aurait signifié la fin du capitalisme, était et demeure un véritable impôt de fait qu’ils prélevaient et prélèvent sur les travailleurs (seules sources de richesses) du monde entier et spécialement ceux d’Europe.

    Pendant ce temps-là, l’affreux communisme de Krouchtchev avait reconstruit un pays systématiquement détruit par les nazis en retraite : pas une ville détruite à moins de 80% entre l’avancée extrême des boches et la frontière, pas une usine, pas un pont, pas une voie de chemin de fer utilisables. En comparaison, les destructions de la France furent légères.

    Pourtant les Russes reconstruisirent leur pays aussi vite que nous malgré la perte de 26 millions de personnes, jeunes le plus souvent.


    • Hamed 21 mai 2016 20:34

      @Alren

      Vous avez raison de dire que cette " émission frénétique de dollars par les USA " est une escroquerie, et en fait un véritable impôt sur le monde. Mais, voyez-vous, « rien ne vient de rien », dixit Max Planck. Et ce « rien ne vient de rien », même s’il paraît ou serait effectivement négatif, là encore, il faut le dire, ne l’est qu’en apparence. En réalité, il participe au progrès du monde.
      Donc Alren, il faut relativiser l’escroquerie, et si, en fait, elle était bénéfique pour l’Europe, et le monde ?
      Cordialement


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