mardi 5 mai 2015 - par Michel J. Cuny

Débranchons le suffrage universel d’ici, et branchons-le là

Il faut revenir au jugement apparemment sans appel proféré par André Tardieu à propos du suffrage universel :
« La majorité des votants est invitée à trancher des questions qu’elle ignore. » (André Tardieu, La Révolution à refaire, I, page 101)

JPEG Toutefois, la suite de son livre montre que l’ignorance qui caractérise selon lui la majorité des votants n’est dommageable que lorsqu’elle se manifeste à travers le pouvoir législatif, parce qu’elle tend à le placer en porte-à-faux avec le pouvoir exécutif et à lui interdire d’aller dans la bonne direction.

Il en irait tout autrement si l’exécutif avait la possibilité de s’adresser, lui-même et directement, au suffrage universel pour lui poser des questions de son choix. Ainsi André Tardieu peut-il écrire :
« Qu’il suffise, ici, de noter que, si le peuple français avait possédé le referendum, nombre des abus sous le poids desquels il plie, lui auraient été épargnés. Multiplication des fonctions publiques, des monopoles et des offices ; impôts inquisitoriaux ; lois de forme étatiste sur les retraites ouvrières, les assurances sociales, l’école unique, se seraient heurtées au bon sens des masses. » (page 210)

À l’ignorance de la majorité des votants du suffrage universel, il faut donc opposer le "bon sens des masses" dûment interrogées par l’exécutif. Pour l’ancien président du Conseil, voilà un outil essentiel qui lui aura fait cruellement défaut :
« J’ai dit souvent que, si j’avais eu en main le referendum, je sais très bien quand je m’en serais servi. » (page 211)

Et donc : quand je me serais servi du suffrage universel…

Alors que dans toutes les autres conditions :
« Son pouvoir étriqué se borne et s’humilie à des choix équivoques de mandataires : députés tous les quatre ans ; conseillers municipaux et généraux, tous les six ans ; sénateurs, tous les neuf ans. Voilà, quant à la puissance populaire, le fruit d’un siècle et demi de démocratie française. » (page 211)

Éloignons, le plus possible, le suffrage universel de cet endroit et faisons-le interroger par l’exécutif sur des questions auxquelles il aurait à répondre par oui ou par non, comme un parfait demeuré… On imagine la suite.

D’ailleurs, poursuit-il, le système électoral est tellement défaillant que tout cela devient proprement insensé :
« Il en résulte que, par la loi, l’immense masse nationale, qui ne vote pas ; ou plus exactement, les 90 % du pays, dont la volonté n’arrive pas jusqu’aux Chambres, peut être abusivement sacrifiée ou violentée. » (page 225)

Alors qu’avec rien que le referendum, chaque voix compterait, très évidemment. Or, de toutes façons, insiste André Tardieu, qui se range derrière l’un des plus grands pourfendeurs irlandais de la Révolution française :
« Edmund Burke l’avait prévu, il y a cinquante ans [ici, il faudrait plutôt lire : cent cinquante ans], alors qu’il écrivait prophétiquement : "Quand les fonctions sont électives, c’est-à-dire sous le prétendu règne de l’égalité et de la liberté, la minorité risque bien plus d’être opprimée que quand les fonctions ne sont pas électives." » (page 226)

Quelle minorité, en présence du suffrage universel ? Celle des possédants, bien sûr, mais aussi celle de ceux qui savent…

Quant au pouvoir législatif, il faut, à son tour, le libérer du poids de l’ignorance qui transite jusqu’à lui à travers son mode de désignation remis par erreur aux mains maladroites du suffrage universel.

En effet, André Tardieu n’a cessé de le constater et d’en souffrir pendant ses vingt années de carrière politique :
« La tendance propre des assemblées se caractérise par le mouvement à gauche. La continuité en est absolue et s’affirme dans une durée d'un siècle et demi. Ainsi s’est formée l’opinion, très répandue dans le pays, qu’il y a, au profit des gens de gauche, une sorte de droit éminent et d’hypothèque légale sur ce que l’on appelle les leviers de commande et que les gens de gauche sont, dans la République, des porteurs d’actions à vote plural. » (André Tardieu, tome II, page 75)

C’est que, de l’extérieur, le suffrage universel - le Nombre - veille sur ce que font ceux qu’il a élus et qu’il a régulièrement à réélire ou à bannir, de sorte que, comme le souligne André Tardieu  :
« Il y a une démagogie électorale de droite, comme il y a une démagogie électorale de gauche. Et la première, comme la seconde, sert et développe le mouvement à gauche. » (page 76)

Il va donc falloir produire un coup d’arrêt sur cette terrible dérive. Mais comment ?




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