lundi 2 avril 2012 - par Gilles St-Pierre

Des squelettes dans le placard de la biologie

Les récentes avancées en épigénétique ramènent certainement en avant la question de l’hérédité de l’acquis et par conséquent la place de Lamarck dans l’histoire de la biologie. Je tenterai de vous convaincre qu’il y a d’autres squelettes dans le placard de la biologie. Je pense en particulier à Henri Bergson. Très respecté de son vivant, on s'est empressé de l'oublier après sa mort. La biologie et la philosophie l'ont condamné au motif de "spiritualisme". L'église l'a rejeté pour cause de "panthéisme" comme elle l'avait fait pour Spinoza.

Pourtant, il s'était tout simplement demandé quelle différence y-a-t-il entre le vivant et le non vivant. Qu'est-ce donc que la vie ? Sa réflexion s'est concentrée sur la nature du temps vécu, le temps des êtres et non celui des horloges et de la physique. Mais encore et surtout il s'intéresse à l'instinct chez l'animal qui devient l'intuition chez l'homme. Il mettra cette question au centre de sa philosophie.

Il apparaît de plus en plus clairement qu'il manque un élément important dans notre définition de la vie. Descartes avait dit : "Je pense donc je suis." Aujourd'hui, on peut dire : je suis donc je pense. Tout ce qui vit pense. On a observé que des végétaux s'échangent des informations à l'approche de prédateurs ! Des méduses qui n'ont pas de cerveaux se comportent en chasseurs redoutables. Alain Prochiantz déclare que même les virus pensent ! D'ailleurs Alain Prochiantz et Denis Duboule ont tous deux rendu hommage à Bergson au cours des dernières années. Pourquoi ?

La grande erreur de Descartes aura été de penser que dans le monde vivant, seuls les hommes pensent. Et c'est encore l'erreur de bien des contemporains comme Jean-Pierre Changeux qui croient qu'il faut un cerveau pour penser. Le matérialiste cherche toujours à nier l'intériorité. Les organismes participent à leur transformation évolutive. Parce qu'ils sont vivants, ils s'efforcent de s'adapter aux conditions du milieu pour survivre, se reproduire et je dirais même, progresser. Tout ce qui vit à une certaine forme de conscience. Certes, tout être vivant a un corps qui est fait de matière et de mécanismes extrêmement complexes d'ailleurs (ne serait-ce qu'une cellule), mais contrairement à n'importe quelle machine, il y a quelqu'un dedans. Un "je suis". Voilà ce qu'est le vitalisme ! On objectera que c'est de l'animisme. Mais n'est-il pas normal qu'en biologie, étude de l'animé, la question de l'animisme se pose ?

Considérer la pensée comme une sécrétion du cerveau et l'instinct comme un code génétique, pour exclure le sujet du vivant avant même d'en commencer l'étude, voilà le réductionnisme.

Observez ce petit oiseau mort mais encore chaud ; il ne manque pas un atome, mais la vie est partie, l'oiseau aussi et le corps se décompose. La vie n'est pas que matérielle.

Bergson avait étudié la biologie de son temps, en particulier l'embryologie.

Prenez une cellule souche (totipotente), déposez-la sur un os, elle fera une cellule d’os. Sur un cerveau, elle sera neurone ou glie, sur du sang elle fera de l’hémoglobine ou des globules blancs ou rouges, et ainsi de suite. La cellule s’informe du milieu et transmet cette information au noyau. La cellule perçoit, pense et agit. Certains gènes sont exprimés et d’autres pas ou peu. C’est ainsi qu’avec le même ADN, une cellule peut faire des cheveux, de la peau ou un cœur. Et c'est pour cela que l'embryologie n'a pas fait partie de la supposée synthèse néodarwinienne.

Voici un extrait d'un article de Ron Amundsen paru dans le numéro spécial de "La Recherche 150 ans de théorie de l'évolution" en novembre 2008.

« La génétique classique fut une bonne nouvelle pour la sélection naturelle, mais pas pour l’évo-dévo. Car elle excluait, dans sa définition même, l’ontogenèse. Pas plus que l’embryologie descriptive, elle ne s’intéressait aux causes des changements embryonnaires. Les gènes étaient certes définis comme les causes des similarités observables entre les parents et leur progéniture, mais ils restaient cachés dans une boîte noire (…) Au lieu d’étudier l’embryologie, ils étudièrent la génétique des populations.

 Ainsi, ils ne comprirent pas que l’étude du développement embryonnaire pouvait concerner l’évolution. Ils pensaient uniquement en terme de populations et accusaient les biologistes de l’évo-dévo de raisonner de manière « typologique », un mode de pensée, selon eux, dépassé et non scientifique (…) Ils considéraient les types comme des superstitions métaphysiques rappelant trop l’idéalisme, voire le créationnisme, pour avoir leur place dans la pensée évolutionniste (…) Les membres d’animaux éloignés, comme les insectes et les vertébrés, avaient toujours été considérés comme des innovations indépendantes, des solutions distinctes au problème de la locomotion. La découverte d’un gène partagé spécifiant le lieu de développement des membres de tous les animaux, y compris les ailes des oiseaux et les bras des humains, mit fin à cette idée. Et l’importance qu’accordait l’évo-dévo à l’unité de type fut confirmée, au-delà de toute attente (…), l’évo-dévo et la génétique des populations ne sont toujours pas synthétisées. Nous devons encore trouver un moyen de concevoir la sélection naturelle comme une force opérant non seulement sur les populations d’organismes, mais aussi sur les ontogenèses. Une chose est sûre : l’embryon est à nouveau au centre de l’attention en biologie évolutive. »

 

Voici un autre extrait, cette fois de Laurent Loison dans la même revue. (Lamarck fait de la résistance)

« On comprend bien pourquoi cette nouvelle discipline (la génétique statistique) a été largement critiquée par les biologistes néolamarckiens, et particulièrement en France. Tout comme le principe de sélection naturelle, elle ne semble pas correspondre au modèle d’une science causale tel qu’il est envisagé par ces scientifiques. Pour ces derniers, il est inadmissible de ne pas se préoccuper de la compréhension concrète des enchaînements déterministes qui conduisent de l’antécédent au conséquent au sein même de l’être vivant… Plus, le gène lui-même est considéré comme une entité chimérique, dont rien ne laisse penser qu’il a une existence réelle (…)

En France néanmoins, comme ni le principe de sélection naturelle ni la théorie génétique n’avaient été regardés comme des explications valables, elle n’est introduite que partiellement et du bout des lèvres. La tradition causale et physiologique de la biologie expérimentale française reste incompatible avec une théorie de l’évolution qui semble se désintéresser de l’organisme individuel et de son développement embryonnaire. Cette situation particulière va perdurer jusque très tard dans le XXe siècle, notamment sous l’influence puissante de Pierre-Paul Grassé, titulaire de la chaire d’évolution des êtres organisés, à la Sorbonne de 1940 à 1967… »

 

 

On avait pris le piano pour le pianiste ! C’est l’épigénétique qui joue sur le clavier génétique, choisissant les notes et les rythmes.

L’ADN ressemble aussi à un livre de recettes de cuisine. Nous avons environ trois cent cinquante recettes de cellules dans notre corps et tout au long notre vie nos cellules continuent à mourir et à se reproduire suivant la recette initialement choisie. Ceci est une démonstration du fait que les variations épigénétiques peuvent être très stables et robustes car la différentiation cellulaire est bien un phénomène épigénétique. Pour les ingrédients, il y en a des dizaines de milliers. Les protéines (hormones, enzymes, etc.) qu'il est d'ailleurs urgent de recenser car les gènes n'agissent pas seuls, mais toujours en interaction avec des protéines et des ARN. C’est la cellule elle-même qui a la recette. Pas ses gènes. Enfin pas seulement ses gènes. Autre exemple de réductionnisme. Tout ceci est extrêmement complexe, mais il est clair qu’à l’intérieur de la cellule l’information circule dans les deux sens, (contrairement au dogme central de la biologie moléculaire et de la génétique) à travers des protéines, des ARN, dans un ballet extrêmement chorégraphié où la mémoire joue plus que le hasard. Le génôme est en fait en interaction continuelle avec son environnement et nous savons maintenant que le stress, le manque d’exercice, l’alimentation influencent l’expression de nos gènes. Ces variations, qu’on devrait nommer épimutations ou paramutations, sont héritables.

C’est un renversement total de la situation en biologie théorique. C’est bel et bien le retour de Lamarck, une grosse et impensable démotion pour Darwin qui, pourtant, n'avait pas complètement rejeté l'hérédité de l'acquis. Les néodarwiniens auront été plus darwiniens que Darwin. La biologie du XXè siècle avait mis la génétique au centre de la compréhension du vivant, mais les assises théoriques de la génétique étaient fragiles, très fragiles et rétrospectivement plus philosophiques que scientifiques.

À propos de la fameuse expérience dite de Luria et Delbruck, voici un extrait de « L’Homme végétal » de Nissim Amzallag paru chez Abin Michel en 2003. Excusez la longueur de la citation, mais ceci me semble une question extrêmement importante pour le sujet qui nous occupe.

« Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que la querelle s’éteignit : toutes les innovations, modifications, transformations propres au vivant furent reconnues comme émergeant de mutations fortuites. Cette victoire fit définitivement basculer la biologie dans l’horizon du vivant-machine mû par un hasard aveugle, et les quelques contestataires furent systématiquement accusés d’en revenir à un vitalisme dépassé. Cette révolution est la conséquence directe des travaux de deux éminents chercheurs, Salvador Luria et Max Delbruck, publiés en 1943 dans un article devenu extrêmement célèbre. Cet article peut être considéré comme le tournant décisif dans l’approche du vivant, l’expérience inaugurant une nouvelle ère(…) »

« La grande innovation de Luria et Delbruck fut la mise au point d’une expérience permettant de vérifier si de rares innovations avantageuses étaient susceptibles d’apparaître au hasard des mutations. L’enjeu était de taille et le résultat fut à la hauteur de leurs prétentions : l’expérience en question devint la démonstration historique de l’origine fortuite des mutations avantageuses (…). Jusqu’aux expériences de Luria et Delbruck, l’immense majorité (pour ne pas dire l’intégralité) des expériences de mutagenèse produisait des individus affaiblis, déficients en certaines fonctions. Comme dans les machines conçues par les hommes, la « machine vivante » semblait tout au plus tolérer les erreurs de copie du génome. On comprend alors l’importance capitale des expériences de Luria et Delbruck : elles montraient pour la première fois un aspect « positif » du hasard des mutations qui complétait magnifiquement l’idée d’organisme machine. C’est pourquoi cette expérience est considérée comme la pierre angulaire de la biologie moderne. »

« Et pourtant, à y regarder de plus près, les choses sont loin d’être aussi limpides qu’elles le paraissent. En effet, la tolérance des bactéries mutantes ne résulte pas forcément de l’émergence au hasard d’un mécanisme sophistiqué de défense contre l’infection virale. Elle peut également provenir d’une déficience dans la protéine bactérienne que reconnaissait le virus, et qui, par sa présence, stimulait l’infection. La tolérance n’est alors que le produit secondaire d’une altération née d’une erreur de copie. Il est même possible que l’altération en question, celle qui empêche la reconnaissance par le virus, induise également une quelconque déficience ou fragilité chez la bactérie.

Il était impossible, du temps de Luria et Delbruck, de vérifier le bien-fondé d’une telle interprétation. C’est fort regrettable, parce que, en vertu de ce qui est aujourd’hui connu de l’infection par virus chez les bactéries, il semble bien que ce soit là l’explication du phénomène observé. Dans ce contexte, les bactéries mutantes ne sont pas des individus super-performants. Elles s’apparentent plutôt aux centaines de mutants déficients identifiés jusque-là. Cette objection remet en cause la valeur de cette « expérience historique » en tant que preuve de l’émergence d’une nouvelle fonction par le hasard des mutations. »

 

 Il n'y a pas si longtemps, on croyait qu'un gène codait pour une protéine. Le fameux modèle de Monod et Jacob. Le schéma est très simple. Un gène code pour une protéine par l'intermédiaire de l'ARN qui n'est qu'un messager. Prix Nobel ! Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le hasard et la nécessité, c'est très sélection naturelle. Ça entre dans la théorie. La mutation, qui arrive par hasard et qui est le moteur de l'évolution est un changement dans la séquence des quatre bases (A,C,G,T) qui forment les barreaux de notre fameuse échelle en colimaçon.

On s'est aperçu qu'un gène peut coder pour plus d'une protéine. Maintenant on sait qu'un gène peut coder pour 30 protéines différentes. Mais ce n'est pas tout. Sur la longue molécule d'ADN, seules les sections codantes sont définies comme des gènes. C'est 2%. Le reste, 98%, c'est de l'ADN poubelle. Ce qu'on séquence au tournant des années 2000, c'est le 2%. C'est ce 2% qui devait nous permettre de percer le secret du vivant, de guérir les maladies et peut-être de créer du vivant. Pourtant, on appelle génôme l'ensemble de la molécule. On réalise ensuite que 45% de l'ADN "poubelle" se déplace dans le génôme. On baptise alors ce 45% gènes sauteurs, même si ce ne sont pas des gènes. Ce ne sont que des séquences répétées, de l'ADN poubelle. En creusant l'affaire, on différencie en transposons et rétrotransposons ces gènes sauteurs qui ne sont pas des gènes mais dont on commence à soupçonner qu'ils jouent un rôle important. Dernièrement, on découvre plus de 1600 variétés de micros ARN dont on ne soupçonnait même pas l'existence dans la cellule. Une enzyme, la transcriptase inverse, agissant avec les rétrotransposons peut transporter l'information de l'extérieur de la cellule dans le noyau et ainsi créer de nouveaux gènes. Les gènes sauteurs en se déplaçant peuvent en fait activer ou désactiver des "vrais" gènes même s'ils ne les chevauchent pas. Je lis plusieurs articles sur ce qui se passe en recherche et depuis quelques temps on n'hésite plus à qualifier les éléments transposables de "gènes". L'énorme problème que cela pose, est que si on les considère comme des gènes, l'expression "code génétique" ne veut absolument plus rien dire, car ces éléments transposables se déplacent continuellement. Par exemple il a été démontré qu'un exercice physique violent déclenche immédiatement des mouvements dans ces régions du génôme. Bref, on ne sait plus ce qu'est un gène ni une mutation et l'expression code génétique qui est maintenant sur toutes les lèvres est complètement dépassée. Le roi est nu et ce roi c'est la génétique.

 

 

En Yougoslavie, dans les années 1970, des scientifiques ont initié une expérience d’évolution “in vivo”. Le lézard “podarcis sicula” fut déménagé sur une île où la nourriture disponible était très différente de celle de son milieu d’origine. À cause de la guerre, les scientifiques furent forçés de quitter l’île, mais ont pu y revenir en 2004. À leur grande surprise, ils ont constaté que le lézard avait évolué très rapidement. Forçé de devenir pratiquement végétarien, l’animal a considérablement changé d’aspect. Grâce à une symbiose avec un ver nématode qui s’est installé dans son système digestif, il peut digérer des plantes, ses pattes ont raccourci, son corps s’est allongé et son poids a considérablement augmenté. Un nouvel organe s’est même développé dans son système digestif. (À remarquer que les symbioses et l’écologie en général sont pratiquement absents de la théorie synthétique de l’évolution.) Tout cela est bel et bien une autre preuve de l’évolution, mais, c’est si rapide que les mutations n’ont pu se produire au hasard. N’est-ce pas là une preuve d’évolution lamarckienne, avec variations induites par adaptation à l’environnement et hérédité des caractères acquis ? D’autant plus que de nombreuses découvertes récentes concernant des évolutions ultrarapides semblent pointer dans la même direction. (Pour ceux que cela intéresse, voir la conférence d’Andras Paldi, “L’épigénétique est-elle lamarckienne”).

Mais si Bergson a raison et que l'instinct est mémoire, mais aussi pensée , apprentissage et action, ceci injecte dans l'évolution une certaine dose de liberté, d'invention. De là "L'Évolution créatrice".

Je ne prétendrai pas ici que le hasard ne joue aucun rôle dans l'évolution, mais l'action imprévisible de la pensée peut très bien être prise pour du hasard pour un observateur extérieur.

D'autre part, il est frappant de constater qu'au cours du XXè siècle, pendant que la biologie tentait de se débarrasser de toute forme de vitalisme, de téléologie ou de finalisme, la physique était infiltrée par des notions comme l'auto-organisation, l'histoire du big bang devenant une théorie de l'évolution de la matière allant clairement du simple vers le complexe, la physique quantique introduisant des notions d'intrications et d'actions instantanées à distance ébranlant même le concept de déterminisme. Les atomes sont à la fois ondes et particules et il est impossible d'en connaître à la fois la position et la vitesse pour des raisons d'ordre ontologique. On définit aujourd'hui le vide comme un océan de particules virtuelles, dans un Univers ou 90% de l'énergie matière est encore inconnue et nage dans onze ou douze dimensions selon la théorie des cordes. Le tout vient d'une singularité initiale où les lois de la physique ne s'appliquent plus ! Alors voici : si je crois les physiciens, nous sommes devant un monde qui a évolué du simple au complexe pendant 9 milliards d'années, mais quand la vie apparaît, il y a disons 3 ou 4 milliards d'années, les biologistes prenant le relais me disent que l'évolution de la vie n'est que matière, mais que l'échelle de la complexité s'arrête. C'est à n'y rien comprendre. Ici encore, il faut reconnaître à Bergson un certain génie. Car son élan vital lui permet d'expliquer que l'évolution n'est pas un progrès constant. La vie part dans toutes les directions et il y a beaucoup d'impasses, d'essais, d'erreurs et de bricolages donnant lieu à toutes sortes de bizarreries.

Mais au final il y a bien progrès, l'animal chevauchant le végétal et l'humain chevauchant l'animal dans une cavalcade épique menant à la personnalité du super-animal que nous sommes devenus. Et je crois que cette échelle de la complexité est aussi

une échelle de la liberté, comme Hans Jonas. Ce qui ne veut pas dire que l'homme soit totalement libre, loin de là. Cette question hautement philosophique demeure. Mais il paraît évident qu'un homme est plus libre qu'un chien, qui est plus libre qu'un poisson, qui est lui-même plus libre qu'une plante et ainsi de suite jusqu'à la bactérie.

L'idée que les hommes descendent des animaux n'est vraiment pas nouvelle. Elle ne date ni de Darwin ni de Lamarck. L'unité du vivant avait été pressentie et conceptualisée dans de nombreuses cultures ancestrales comme celle des Amérindiens par exemple.

 

Voici un texte qui inspira sûrement Bergson, qui était comme moi un lecteur de Plotin.

"Qu'un principe un en nombre et identique soit partout présent tout entier, c'est une conception commune de l'intelligence humaine : car tous disent instinctivement que le Dieu qui habite en chacun de nous est dans tous un et identique . Ne demandez pas aux hommes qui tiennent ce langage d'expliquer de quelle manière Dieu est présent en nous, et n'entreprenez pas de soumettre leur opinion à l'examen de la raison : ils affirmeront qu'il en est ainsi, et, se reposant dans cette conception qui est le fruit spontané de leur entendement, ils s'attacheront tous à quelque chose d'un et d'identique, et ils refuseront de renoncer à cette unité. C'est là le principe le plus solide de tous, principe que nos âmes nous murmurent tout bas, qui n'est pas tiré de l'observation des choses particulières , mais qui nous vient à l'esprit bien avant elles, même avant cette maxime que tout aspire au bien. Or, ce principe est vrai si tous les êtres aspirent à l'unité, forment une unité, tendent à l'unité. Cette unité, en s'avançant vers les autres choses, autant qu'elle peut s'avancer, paraît être multiple et elle le devient à certains égards. Mais l'antique nature, le désir du bien, lequel s'appartient à lui-même, mène réellement à l'unité, et toute nature aspire à posséder cette unité en se tournant vers elle-même : car le bien de la nature qui est une, c'est de s'appartenir à soi-même, d'être soi-même, c'est-à-dire d'être une. Voilà pourquoi on dit avec raison que le bien lui appartient en propre, qu'il ne faut pas le chercher hors d'elle. Comment le bien pourrait-il en effet être tombé hors de l'Être ou se trouver dans le non-être ? Il doit certainement être cherché dans l'Être, puisqu'il n'est pas lui-même non-être. Si le bien est être et se trouve dans l'Être, il est en lui-même dans chacun de nous. Nous ne sommes donc pas loin de l'Être, mais nous sommes en lui. Il n'est pas non plus loin de nous. Tous les êtres ne font donc qu'un."

 

On nous dit souvent qu'en science, le doute est toujours permis sinon de mise. De mon point de vue, la révolution qui secoue actuellement la biologie passera à l'histoire comme une démonstration du fait que le matérialisme philosophique que les Anglais appellent « Natural philosophy », peut être tout aussi dogmatique que la religion.

Richard Dawkins a écrit : « La théorie de la sélection naturelle cumulative est la seule théorie que nous connaissons qui soit capable d’expliquer l’existence de la complexité organisée. Même si elle était démentie par les faits, elle serait encore la meilleure théorie disponible. » Voilà comment on a pu, au XXe siècle, défendre une pensée semblable à : « il faut que le soleil tourne autour de la terre ». Il faut que l’évolution tourne autour de la sélection naturelle. M. Dawkins aura en effet été un prophète, puisque la biologie a tout simplement refusé de voir la cascade de faits qui contredisaient la puissance explicative de la sélection naturelle. Au nom d’un certain matérialisme naïf hérité directement du XIXème siècle. On se rendra compte que les Galilée de la biologie ont été nombreux.

Et qu'il est injuste de présenter le monde sur deux colonnes, la bonne science contre la mauvaise religion. La philosophie devrait toujours avoir sa place entre les deux autres. La science s'occupe des faits, la philosophie s'occupe des significations et la religion s'occupe des valeurs. Ces frontières ne sont pas totalement étanches, bien sûr. Tout comme au Moyen-Âge, où la théologie régnait en maître sur tous les aspects de la culture européenne, le XXème siècle aura été celui de la science hégémonique en Occident. C'est justement ce que Bergson a tenté de tempérer. Bergson n'était en aucune façon un ennemi de la science. Très bon mathématicien, il était un amoureux des sciences, mais il s'est élevé contre le réductionnisme et la prétention orgueilleuse d'un certain scientisme qui dominait son époque. J'aimerais bien qu'on me démontre quels ont été les méfaits du vitalisme de Bergson. Tout comme le religieux, le scientifique est avant tout un être humain et peut facilement être corrompu en particulier s'il occupe une position de pouvoir. Le pouvoir corrompt, c'est bien connu.

Nous voici à la croisée des chemins. Si tout ce qui vit pense, si tout ce qui vit est un "je suis" on devrait observer certains phénomènes. L'effet placebo me semble être un bon candidat. On sait qu'il existe, mais on ne sait as comment ça marche chimiquement parlant.

L'ultra-darwinisme apparaît désormais comme une croyance athée. Une athéologie. Une supersuperstition du passé. Une foi matérialiste. L'épigénétique est en fait un domaine immense qui recouvre des phénomènes très variés. On avait tout mis dans les gènes. L'ADN était la clé universelle. L'instinct, l'hérédité, l'intelligence. Retenez que les rythmes sont tout aussi importants que les notes choisies sur le clavier génétique. Et Bergson avait bien compris cela.

 



13 réactions


  • Suldhrun Suldhrun 2 avril 2012 10:58

    Le bonjour Gilles 


    Merci .

    • Suldhrun Suldhrun 2 avril 2012 11:04

      Merci d’ avoir suscité une subversion positive , envers la science dogme ,car nous les humains ,irons , telles les feuilles vivantes au gré du vent .........


    • Suldhrun Suldhrun 2 avril 2012 11:10

      Le vent , un aspect de la nature universelle , QUI obéit, lui aussi ! 



        A l " éphémère , de l ’ humain ; .................. 

    • Suldhrun Suldhrun 2 avril 2012 11:21

             Je sème a tous vents , disait elle !


  • Pierre-Marie Baty 2 avril 2012 12:11

    Bonjour et bravo M. St-Pierre pour cet article singulièrement pertinent. smiley


  • Gollum Gollum 2 avril 2012 12:37

    J’approuve entièrement ce texte et notamment sa conclusion. Le darwinisme est une foi. Une athéologie. La plupart des scientifiques, métaphysiquement orientés, ont délibérément occultés tout un tas de fait qui n’allaient pas dans le sens du vent, autrement dit de leurs préjugés..


    C’est le même esprit rétrograde qui a freiné des quatre fers, et qui continue (cercles zététistes et Union rationaliste), essayant d’empêcher toute étude des phénomènes psi, parce que ceux-ci ne montraient que trop, la prééminence de l’Esprit sur la Matière.

    Je voudrai citer ici l’éminent biologiste Rémy Chauvin qui a écrit un bouquin sur tout ce qui cloche dans le darwinisme.

    Et merci pour cet éloge de Plotin, un philosophe comme on n’en fait plus, et qui avait compris l’essentiel... Rien à voir avec un BHL..

    Heureusement, le vent tourne. C’est long, mais on y va.

  • Pierre-Marie Baty 2 avril 2012 12:40

    Au sujet de votre remarque :

    « Mais il paraît évident qu’un homme est plus libre qu’un chien, qui est plus libre qu’un poisson, qui est lui-même plus libre qu’une plante et ainsi de suite jusqu’à la bactérie. »

    J’entends que vous définissez ici la liberté comme potentialité de créer, comme puissance. La liberté ultime devient alors celle du démiurge, celui qui peut tout créer : la liberté, c’est la pure potentialité.

    Voilà une théorie « potentialisante », n’est-ce pas ? smiley


  • Gens_d_Ormesson Gens_d_Ormesson 2 avril 2012 12:53

    Bonjour,

    Gilles Deleuze ne s’était donc pas trompé en considérant Spinoza d’abord, puis Bergson ensuite, comme les dignes prédécesseurs de sa philosophie.

    Vous écrivez :

     "Il apparaît de plus en plus clairement qu’il manque un élément important dans notre définition de la vie. Descartes avait dit : "Je pense donc je suis." Aujourd’hui, on peut dire : je suis donc je pense. Tout ce qui vit pense. On a observé que des végétaux s’échangent des informations à l’approche de prédateurs ! Des méduses qui n’ont pas de cerveaux se comportent en chasseurs redoutables. Alain Prochiantz déclare que même les virus pensent ! D’ailleurs Alain Prochiantz et Denis Duboule ont tous deux rendu hommage à Bergson au cours des dernières années. Pourquoi ?« 

    Ne serait-il pas pertinent d’envisager que la matière »inerte" possède, elle aussi, ces qualités ? L’atome, ou je ne sais quelle particule élémentaire, ne renferme-t-il pas l’essence de la volonté d’agir, soumise à l’organisation hiérarchique du système dont il dépend ?

    Excellent article. Je préfère le choc des niveaux d’organisation au choc des cultures.

    PS : Merci M. Baty, vous aviez raison smiley


    • Suldhrun Suldhrun 2 avril 2012 15:36

      A Baty ) Le bonjour ! 


             Juste un certain point ,en dit il ; d ’ un autre coté , il est du secret et têtu .

      IL conserve et dorlote chaque secret qui vient a lui ; il les ferait se repredruire ensemble s ¨ le pouvait 


      Tout cela en fait un triste compagnon de débauche ; quand a trois cent secrets , je lui en avais promis 5 cents ;

      Mais cette méthode ne risque _ t elle pas d ’ accroître l animosité ?

      Au contraire ; j ’ entrai tiens sa motivation .



  • Jo Gurmall de Stafferla Jo Gurmall de Stafferla 2 avril 2012 17:08

     Et pourtant, à y regarder de plus près, les choses sont loin d’être aussi limpides qu’elles le paraissent. En effet, la tolérance des bactéries mutantes ne résulte pas forcément de l’émergence au hasard d’un mécanisme sophistiqué de défense contre l’infection virale. Elle peut également provenir d’une déficience dans la protéine bactérienne que reconnaissait le virus, et qui, par sa présence, stimulait l’infection. La tolérance n’est alors que le produit secondaire d’une altération née d’une erreur de copie. Il est même possible que l’altération en question, celle qui empêche la reconnaissance par le virus, induise également une quelconque déficience ou fragilité chez la bactérie.

    Et alors ? On peut rapprocher cela de la mutation qui provoque l’hémoglobine anormale de la « drépanocytose », ou anémie falciforme : les individus porteurs sont plus répandus dans les zones géographiques ou sévit le paludisme, car s’ils ont une déficience au plan transport de l’oxygène, cette « anomalie » leur confère une plus grande résistance à l’hématozoaire du palu. 
    D’autre part, affirmer au seul vu des interactions cellulaires au cours de l’embryogenèse, que les cellules « pensent »et pire-ont une conscience (de leur existence ?) c’est bien beau, mais , ça semble un peu maigre comme argumentation, non ?


  • batikayo 2 avril 2012 19:47

    Bonjour Gilles St-Pierre,

    Je serais interesse par l’article sur l’experience d’evolution « in vivo » sur le lezard « podarcis sicula », avez une source ou un lien ou je puisse le trouver.
    Merci d’avance


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