mardi 6 octobre 2015 - par Gabriel

L’orphelin

Pour certains, ils étaient des rejets de l’amour, les non désirés de la copulation, les conséquences ennuyeuses d’un acte sexuel, une réalité biologique gênante. Les couples de géniteurs responsables de ces abandons ont secoué les branches afin que les fruits de leurs concupiscences ne viennent pas polluer leurs arbres de vie, leurs précieuses généalogies. Lui, peut être un soldat de passage, l’amant d’un soir au bureau, le patron sautant la secrétaire ou le maitre de maison s’envoyant en l’air avec le petit personnel. Elle, paumée, écervelée avait oublié que Maman est le second nom de Dieu dans la bouche des enfants. L'imprudence et la lâcheté se réunissent souvent, comme larrons en foire. En l’an de disgrâce 1964, déposé comme un paquet de linge sale, un drap souillé, le résultat d’un acte non assumé grandira entre les murs tristes et sombres d’un orphelinat. Voilà le produit de la lâcheté d’un homme qui a éveillé l’amour d’une femme sans jamais l’aimer.

La grande bâtisse est figée dans le froid et l’humidité des terres du nord. Erigée dans les années 1800, la maison des orphelins affiche la tristesse de ses murs prisons sous un ciel si bas, qu’il se déchire à la pointe du clocher du village voisin. Une grille d’acier rouillée, immense aux yeux des mômes apeurés, clôt l’enceinte de la cour de cette lugubre geôle pour enfant sans racine. Les représentants cléricaux, gardien de ce sanctuaire moyenâgeux, veillent au grain l’œil torve sur un troupeau de morveux, des bâtards âgés de quatre à douze ans que la société daigne bien laisser vivre. Gare à celui qui marchera en dehors des clous car la trique éducatrice est toujours en mouvement aux côtés des corbeaux en soutane. Experts en brimades et privations, ils ont la main leste, le cœur sec et le repentir facile, qu’ils s’accordent entre eux, dans l’ombre d’un confessionnal.

A leurs yeux, la faute suprême est d’être né et de n’avoir ni père ni mère. Ces frustrés de la vie racontent leurs histoires de saints décapités, crucifiés ou ébouillantés et vous avez intérêt à les croire sur parole. Vous croyez par terreur car, dans cet endroit, le doute est un péché et vous entrez en religion par défaut ou obligation mais sûrement pas par choix ! Pensez donc, les marmots à cet âge… Prière cinq à six fois par jour le regard baissé avec la foi du charbonnier chevillée à la semelle de leurs souliers comme une chaine aux pieds afin d’éviter la brutalité sournoise de ce pouvoir clérical. Ils enseignaient aux enfants que le péché existe afin de leurs interdire les plaisirs et brider leur liberté. Ils corrompaient les esprits avant de les étouffer. S’il est vrai que tous les goûts sont dans la nature, tous les dégoûts étaient dans leurs cultures. Après cela, difficile des années plus tard de se réconcilier avec ses bourreaux, calotins plus idiots que bigots. Ce n’est pas à Dieu que les enfants, devenus adultes, en veulent mais à ceux qui leur en ont parlé, à ceux qui voulaient le remplacer. L’arbre que l’on arrache laisse deux trous mais, celui qui est dans le ciel sera toujours plus grand que la fosse commune d’un monastère et ce malaise est peut-être, à bien y réfléchir, celui de la chrétienté depuis ses origines.

Debout, six heures au pied du lit en fer dans l’immense dortoir monotone aux murs bouffés par le salpêtre. Une couverture de laine et une paire de drap à plier au carré car ici, la géométrie avait ses exigences. Au milieu trônait un unique poêle à charbon poussif, dont la chaleur étouffait le premier cercle composé d’une dizaine de couchage mais qui avait un mal fou à chauffer les trois cent mètres carrés restants. Il gratifiait la salle d’un brouillard envahissant et d’une retombée de suie irritante. En hivers, un mini Pompéi permanent. Tous en pyjama rayé, seul l’absence de numéros les différenciaient des prisonniers de droit commun. Dix minutes pour se laver à l’eau froide, en jouant des coudes autour des immenses lavabos circulaires. Blouse grise de rigueur et premier cours de morale religieuse avant d’intégrer le réfectoire ou, après un simulacre de récitation biblique sous l’œil du politburo des armées du seigneur, les enfants avaient droit à vingt minutes pour déjeuner.

Le dimanche, messe obligatoire. Ils pénétraient dans l’église comme on s’enfonce dans la nuit avec toutes les complicités du silence. Ils ressentaient ni joie, ni douce chaleur mais juste un vide froid, l’humidité et la moisissure des lieux et la mauvaise cire des bancs de prière. Ainsi s’écoulait leur absence d’enfance. Dans ce lieu se pratiquait en toute impunité un infanticide métaphysique accompli dans l’imposture d’une religion d’amour dont les représentants présents n’avaient pas un seul échantillon sur eux. Ils ont bâtis l’âme de ces enfants sur fond de solitude, rongés par le néant. Des années de représentations ecclésiastiques forcées. Première communion, confirmation, seconde communion, prière matin, midi et soir, avant chaque cours. Avec le temps, comment en vouloir à ces gens là, comment blâmer l’ignorant qui se persuade jour après jour de sa culture.

Les orphelins n’habitent pas le temps du calendrier, les mois de gel leurs semblent éternels et les jours de soleil trop éphémères. La nuit, la lune pleine venait éclairer leurs visages faufilant sa lumière blafarde à travers les barreaux des fenêtres. C’était un enfer mais ils l’ignoraient car ils ne connaissaient rien d’autre que l’abandon. Les enfants on cette faculté de s’habituer à tout, même au pire. L’hiver, pas de paire de gant mais des paires de claques à volonté et croyez le, ca réchauffe. En ce temps La douceur de l’enseignement n’était pas à la mode, la contestation pas d'époque et les velléités de dialogues étouffées sous une liturgie poussiéreuse et brutale.

Bien des années se sont écoulés depuis. En cette fin d’automne un homme, qu’une femme a sauvé, est devant la grille principale, les mains dans les poches de son manteau, le col relevé à l’abri des premières bises glaciales annonciatrices d’un hiver qui sera rude. Le Léviathan de béton n’a pas changé, toujours la même allure austère et effrayante. Dans la cour, les petits moineaux tombés du nid ne sont plus gris mais multicolores, la vareuse n’est plus de rigueur. Leurs rires et leurs cris font penser que la discipline s’est relâchée, les corbeaux se sont envolés remplacés par des fonctionnaires de l’éducation nationale apportant un peu d’humanité dans ce no love’s land. Aujourd’hui en 2015, le monde a changé et les pratiques de l’époque n’ont plus court et c’est tant mieux toutefois, les œillères sont toujours actives face à la réalité des chiffres et bien qu’il soit difficile et mal vu actuellement de recenser le nombre d’orphelin en France, nous savons qu’il reste inférieur aux demandes d’adoption. L’adoption, un parcours du combattant au milieu d’une jungle administrative pas très reluisante mais là, c’est une autre histoire ….

Le pire jour de ma vie fut celui où je suis né,

Une femme inconsciente a nié sa maternité,

Un homme volage a fuit ses responsabilités ;

Mes racines absentes hurlent leur passé volé,

Mon cœur s’est arrêté sur une grille fermée,

Il est tombé en morceau dans un abime glacé,

Jusqu’au jour ou croisant le chemin d’une fée, 

Elle s’est penchée dessus, l’a ramassé et recollé…



7 réactions


  • alinea alinea 6 octobre 2015 23:23

    Magnifique article Gabriel, mais quoi l’a provoqué ?
    On n’imagine pas ; on n’imagine plus, pourtant mon enfance et mon adolescence ont été pétries de ces histoires, romans, films..
    C’est curieux ; je vais probablement aller vivre sur un petit causse où il y avait une maison de redressement pour enfants et je suppose que là, il devait y avoir beaucoup d’orphelins !
    C’était les joies de la charité chrétienne ; je ne sais plus qui il y a peu de temps, comme j’évoquais la nécessité d’être « un bon pauvre » pour être digne de compassion aux bons coeurs des chrétiens, m’a traitée de tous les noms avec toute la condescendance requise !!
    Vous êtes un empathique, Gabriel, vous êtes un artiste, et je me sens très en phase avec ça
    Merci...


    • Gabriel Gabriel 7 octobre 2015 08:52

      Bonjour Alinéa,

      J’écris par nécessité neurologique, une purge salutaire et quel que soit le sujet, avec le cœur par souci d’honnêteté et d’authenticité et je crois qu’en cela, nous ne sommes pas très différent. Concernant la charité chrétienne tout comme la charité d’autres dogmes, intellectuellement elles existent mais, le souci c’est son application naturelle en situation réelle. Il ne suffit pas de s’agenouiller dans des lieux de cultes ou de suivre scrupuleusement les rites et cérémonies d’une religion pour être en phase avec ses préceptes de bases mais, simplement agir avec les autres comme on aimerait qu’ils agissent avec nous…

      Cordialement


    • aimable 8 octobre 2015 09:30

      @Gabriel
      ceux qui en font trop dans les rites et cérémonies , ont toujours de noir desseins,l’actualité et l’histoire sont la pour le démontrer


    • Gabriel Gabriel 8 octobre 2015 10:12

      @aimable

      Hélas oui, vous avez tristement raison. Tolérance est un concept absent de leur vocabulaire. Qui a t-il de plus dangereux que celui qui, persuadé de sa vérité, tente de l’imposer aux autres ?... 


  • bakerstreet bakerstreet 6 octobre 2015 23:54

    Je viens de lire votre texte bouleversant. Sans doute le meilleur de la livraison. La livraison de l’intelligence on en n’a tous les jours, mais là il s’agit de celle des sentiments. 

    C’est très bien écrit bien sûr, mais c’est pas ce qu’on en retiendra, car l’authenticité transparaît de ce texte comme des murs humides de cet endroit. 
    On est tenté de ne rien dire, c’est ce que beaucoup ont choisi de faire après avoir apprécié. Moi il faut tout de même que j’en parle quand je suis ému. Les enfants vous avez raison ont beaucoup de forces, ce sont des superman. 
    Et toute notre jeunesse a le vent en poupe tout de même. 
    Et puis avec le temps quand on regarde derrière, on se demande comment on a pu faire. 
    Alors une colère sourde nous saisit parfois...
    Reste que certains parviennent à passer au laminoir n’importe quelle histoire, et transformer la boue en or, ou du moins se rappeler que tout n’était pas si mauvais, que ce sont des expériences cruelles qui nous ont fait, ce que nous sommes, et qu’il ne faut surtout pas oublier, comme certains conseillent, mais au contraire réchauffer le présent au souvenir du passé, et réciproquement. Le réel n’a de consistance et de vérité qu’à travers le souffle qu’on lui donne....
    « Rien n’est réel
    Et il n’y a pas de soucis à se faire
    Les champs de fraises pour toujours » John lennon

    Extrait de :Srawberries fields forever ! (le nom d’un orphelinat de l’armée du salut à Liverpool)

    • Gabriel Gabriel 7 octobre 2015 09:04

      Bonjour bakerstreet,

      « Le réel n’a de consistance et de vérité qu’à travers le souffle qu’on lui donne.... »

      Très bel aphorisme poétique. Un avenir se bâtit sur les fondations passées mais le plus important reste le présent car la merveille est dans l’instant. En effet tout n’est qu’illusion (Précepte Bouddhiste). Mais reste les sentiments qui construisent le cœur et l’âme. Pour finir dans la légèreté, citons Woody Allen : « Mais alors si tout n’est qu’illusion, j’aurais payé ma moquette beaucoup trop chère… ». Merci de votre lecture


    • bakerstreet bakerstreet 7 octobre 2015 12:52

      @Gabriel
      Passé et présent sont les barreaux entremêles de notre prison sur terre

      Et ’l’humour et l’art, deux bonnes façons de faire passer les mains, 
      La tête, et le reste, au travers.

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