La radicalisation du peuple
L'on peut reconnaitre que le communiqué de Juppé ce lundi 6 mars est exemplaire, particulièrement quand il reconnait que l'évolution de l'exigence de la population est de vouloir des candidats exemplaires et irréprochables.
C'est ce dernier point que je veux commenter. Comment nous en sommes arrivé là et peut-on considérer qu'après toutes ces années les citoyens ce soient radicalisés. Se radicaliser c'est, ne pas regarder la réalité comme elle est et poursuivre un irrationnel, à ne pas confondre avec des chimères ou des utopies. Ainsi, vouloir un homme « parfait » est totalement irrationnel. Tous ceux qui ont poursuivit cette quête ont sombré au mieux dans l'inquisition, une institution faite pour traquer l'hérésie. Le peuple se radicalise sur la base de rumeur exprimant une perception, un ressenti de rapports antagoniste tel « tous pourris » L'utilisation de ce terme à double sens, n'est pas intéressant en tant que terme signifiant qu'une classe politique se gave en tricherie, mais plutôt une classe politique qui se laisse séduire par des intérêts financiers, tel le lobbying, les privilèges d'une fonction publique, le favoritisme, ce que l'on appelle les conflit d'intérêts. Il n'y a en cela aucune nouveauté pour la seule raison que la vie est faite de relations humaines et qu'à travers ces relations humaines se lient des "cousinages", des amitiés, des collaborations, des passes droits, de l'entraide qui sans être dans l'illégalité peut friser l'abus de droit, mais être perçu comme une inégalité, c'est surtout cela qui m'intéresse.
Comment des comportements sociaux, suivant qui les pratiques en fonction de sa classe sociale, peuvent être perçus comme un abus qu'il faut réglementer. C'est par exemple le cas des réglementations qui touchent depuis un certain temps les élus spécifiquement. Ce sont les usages ou pratiques endogamiques professionnelles qui paraissent « injustes », c'est l'entre-soi sélectif, idéologique, philosophique, confessionnel, politique, professionnel qui devient suspect. Ainsi, tout ce qui constitue la diversité sociale, familiale ou professionnelle s'est structuré par la répartition des tâches pour parvenir à une agrégation nécessaire au développement économique. Dans un monde mouvant et changeant la considération et le revenu viennent récompenser « inégalitairement » les places occupées par chacun suivant son mérite ou des codifications contractuelles et morales et forger une hiérarchisation. Celle-ci dépend étroitement de l'acceptation sociale fonction de l'empathie, de la compassion, d'un sens de l'équité et d'un seuil de tolérance.
L’état régulateur.
Il n'y a pas très longtemps toute cette diversité était réglé par la politique confessionnelle. Car la religion, en dehors de la foi en un Dieu, est de l'organisation sociétale, donc de la politique et le dieu sert à la faire accepter. Ce n'est que très récemment que les sociétés occidentales ont développé un droit positif en complément de tous les us et coutumes, jusqu'à la séparation de 1905 pour la France. C'est donc l'état qui est devenu bien ou mal le régulateur en fonction des choix exprimés par les citoyens et par les conflits antagonistes sociaux et moraux dans le cadre d'idéologies émanant de l'ensemble de l'organisation sociétale faite de diversité de pensée recherchant une harmonisation humaine éthique et équitable. Celle-ci émane de l'opposition aux faits religieux distordus, politisés, sectaires et inquisiteurs dont l'échec engendra avec l'émancipation d'une strate de la population (appelée bourgeoisie, aujourd'hui nous disons entrepreneurs) le libéralisme puis la République qui s'appuyant sur le développement des sciences et de l'industrialisation donneront le capitalisme et le socialisme. Deux concepts idéologiques incompatibles sans régulations conflictuelles.
Une demande déterministe.
Notre existence se déroule dans ce magma sociologique comprenant entre autre un ensemble de code sociaux et le mensonge social comme huilage de la sociabilité. Si nous parvenons à définir des ensembles, élaborer des concepts, des idéaux, des anticipations, des prévisions, nous ne pouvons saisir avec justesse et précision tous les enchevêtrements auxquels ils donnent cours et ils rendront de fait le futur aléatoire, alors que la demande citoyenne sera déterministe. Face à cette impossibilité de pouvoir tout connaitre, tout maitriser s'impose la nécessité de s'interroger, de rechercher, de comprendre les raisons de la survenance d'un événement, d'une action en sachant que cela sera toujours imparfait. Il en découle de devoir faire l'effort de tolérance même quand notre système émotionnel nous invite à l'intransigeance. Cela s'apprend dans le cadre de l'éducation parentale et la fréquentation de l'école qui nous impose le contrôle de nos désirs par la frustration.
La comptabilisation de l'existence.
Devant cette incertitude, les politiques ne peuvent qu'être approximatives et leurs programmatiques incertaines. Or le débat politique emporte de séduire les électeurs sur la base de programmes garantis et de le valider pour l'accréditer, par sa comptabilisation, comme si la comptabilisation était une science dure intangible, alors qu'elle dépend de tout ce magma relationnel que je viens de décrire, fait d'actions toujours tournées de manière inné vers soi. Elles se déclinent entre l'égoïsme et l'altruisme à l'avantage de celui qui en retire une considération et une raison de vivre faite de perceptions émotionnelles suggestives que l'on confie à la rationalité d'une comptabilisation. Elle vient donner un cadre au traitement cérébral des événements qui nous affectent et rationaliser nos désirs, elle vient justifier l'acceptation de la frustration et créer, dans le cadre de l'économie, un monde irréel, car la vie ne dépend pas de la comptabilisation monétaire. Il y aura donc une radicalité à vouloir faire dépendre l'existence exclusivement de sa comptabilisation. La comptabilisation devient alors l'application à la lettre et non à l'esprit de son usage pour les échanges et productions. En cela j'avais écrit en 2001 que les critères de Maëstricht deviendraient un carcan qui nous étoufferait.
(Or le rationalisme, issu de la performance « scientifique », mis au service de l'efficacité de la production qui a investi tous les domaines de la vie, ne peut pas conduire à cela, puisqu'il est arbitrairement normatif et ne laisse aucune marge de transgression. Il l'est à tel point que tous les désirs de droits sociaux doivent recevoir l'aval de la rationalité normative dans des domaines où, d'une utilité indicative, elle devient arbitraire (tel les débats actuels ou passés autour de la sécurité sociale ou des retraites ou encore les 3% de déficit budgétaire imposés par les critères de Maastricht).
Faire le bon diagnostic.
Dès lors, le revenu va être un facteur déterminant pour apprécier ce que l'on attend de l'existence et nous fixerons nos analyses sous son auspice. Rien de bien nouveau si ce n'est l'environnement sociopolitique dans lequel cela s'exprime. Et c'est cela qui a changé depuis 1975. L'abandon de la politique de régulation keynésienne basée sur une planification a rencontré des difficultés, d'une part par la multiplication de la complexité des relations socioéconomiques, de « l'exponentialité » des technologies, l'accélération des moyens de communiquer et la rapidité des changements qui poussent à n'examiner que l'immédiateté. C'est ainsi que le keynésianisme fut remplacé par la loi du marché et la mise à l'index (de l'état citoyen) du pouvoir du peuple comme facteur de régulation. Depuis lors chacun a pu mesurer la confusion dans laquelle nous baignons, tous nos gouvernants depuis lors n'ont plus les moyens d'une politique planifiée, plus de pouvoir régalien monétaire et les citoyens ne rêvent que de ne plus payer d'impôts et autres prélèvements. Difficile alors d'avoir les moyens d'une politique et l'endettement coule de source pour la mener.
La fin des trente glorieuses.
C'est de la sorte que la chasse aux économies a commencé en 1977 sous le ministère de Raymond Barre, ainsi que le salaire au mérite. La chasse aux économies se traduisent souvent parce que d'aucun appelle le gaspillage, terme que l'on trouve souvent pour exprimer une opposition aux destinations budgétaires nationales ou locales. A cela faut ajouter l'incidence de la mondialisation qui est une bonne chose, quand l'on ne la confie pas au capitalisme qui, lui, met en concurrence les travailleurs des différent pays pour le bénéfice de quelques ploutocrates ou quelques oligarchies et non pour celui des citoyens salariés, voire sous traitants, des états où il s'exerce.
La problématique en est que les citoyens n'attribuent pas les difficultés qui découlent de cette mise en compétition au capitalisme, qui je le rappelle ne peut pas être social, que je sache la compétition économique n'est pas d'essence socialisante. Elle fait naitre de nombreux sentiments de récriminations, réminiscences, de haines, de nationalismes, des conflits et des guerres. Elle a fait naitre une inversion des valeurs salariales. Durant de nombreuses années être fonctionnaire était mal considéré, le privé payant mieux jusqu'en 1990 où les salariés face à la persistance du chômage désertent les syndicats ne défendent plus leurs intérêts de classes, cherchent des boucs émissaires pour déverser leurs rancœurs, leurs amertumes et faute de trouver le courage de se défendre demande que l'on réduise les avantages de ceux qui le peuvent encore, des grandes entreprises les administrations publiques. C'est comme si au lieu de prendre en charge les handicapés pour qu'ils puissent vivre comme tout un chacun, ils demandaient que l'on retire leur normalité aux gens pour qu'ils deviennent comme eux. C'est ce que nous faisons actuellement et que l'on trouve dans certains programmes politiques de Fillon ou Macron.
La radicalisation.
Ce petit développé est un peu long pour essayer d'être brièvement complet. La radicalisation des individus ne tombe pas du ciel, mais émerge de cet ensemble de situation à des rythmes et des moments différents qui vont dépendre de ce que les hommes tiennent pour vrai ou absolu qu'ils voudront retrouver pour l'imposer aux autres comme seule alternative inconditionnelle. C'est quelque part vouloir revenir aux racines, aux sources, aux origines en faisant fie de la réalité d'une existence où tout retour en arrière est impossible face à l'écoulement du temps, puisque toute recomposition d'un passé se déroule dans un temps nouveau qui n'est plus celui du contexte où est apparu l'événement que l'on veut retrouver. Inévitablement alors, ceux-ci poursuivront l'impossible, ils cultiveront l'intolérance en pensant que c'est en pliant les autres au remake d'un passé, que ne cultive que leur mémoire pour répondre à des désirs de certitudes qu'ils assureront le bonheur de l'humanité.
Partant de là, la réponse ou les réponses apportées conduisent à des actions, plus dures, plus intransigeantes, plus extrêmes, plus sévères, plus closes. Cela s'applique aussi bien à la politique, au social, à l'économie, qu'aux religions. Ainsi, toutes interprétations littérales des principes de base d'un système le rendent immuable, si elles ne tiennent pas compte de l'esprit qui l'a développé en son temps. La ou les réponses apportées seront nécessairement extrêmes.
La radicalité naturelle.
Souvent je donne comme exemple la tolérance zéro, le risque zéro ou le principe de précaution. Cela ne peut être, nous savons que nous vivons dans le mensonge social et cela est su depuis des siècles. Un juste pêche sept fois par jour nous dit la bible, ou que le premier qui n'a pas fauté jette la première pierre. Pour parvenir à appliquer efficacement ces principes qui paraissent couler naturellement d'un besoin de protection absolu, il faudrait se suicider à la naissance pour ne pas avoir à se tromper et être irréprochable. Par tous ces désirs d'absoluités nous développons les moyens d'une radicalisation, dont nous savons qu'ils ne permettent pas d'obtenir satisfaction. De tels principes, mis entre les mains de « radicalismes » qui se caractérisent par l'absence de tolérance, de pondération, de sens d'humanité, conduisent à des régimes meurtriers ou assassins. Le radicalisme se caractérise par le fait que l'adversaire devient l'ennemie à éliminer ou par les moyens que l'on utilise pour parvenir à ses fins, telle l'affaire de Viry-Châtillon ou comme actuellement la recherche d'hommes politiques irréprochables. Cette vision irréelle de l'homme conduit à la radicalité et nous sommes en train de passer de l'homme considéré honnête à l'homme qui doit démontrer qu'il est, alors qu'il appartient à ceux qui portent une accusation d'en démontrer la réalité. Si donner le pouvoir au peuple est une bonne chose, il faut avoir conscience que l'humain est un être émotionnel parfois incontrôlable et injuste dans ces perceptions, car elles sont à sa mesure et le plus souvent irrationnelles ou disproportionnées par la réponse donnée à un événement, comme celui qui tue pour une place de parking ou par jalousie. C'est pour cela qu'a existé œil pour œil dent pour dent pour que l'on ne puisse pas faire plus que ce qui nous a été fait et malgré cela l'on a fini par retirer le droit de vengeance aux individus pour le confier à des magistrats qui s'interrogent sur les raisons qui prédéterminent un événement.
Le crime n’est que social.
Depuis un certain nombres d'années il est convenu de reconnaitre un glissement politique de la droite vers l'extrême droite, le FN, toujours prompt pour des choix radicaux et qui a véhiculé depuis tant d'années le « tous pourris » qui a fait son chemin dans l'esprit des citoyens, à tel point que les citoyens jettent le bébé avec l'eau du bain jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que l'eau du bain c'est eux. Le besoin d'honnêteté, de probité n'est pas à remettre en cause, mais la réalité est tout autre et chacun, nous savons quand nous avons triché avec les impôts, les paiements au noir, les chapardages dans les entreprises, souvent punis par le licenciement alors que les hommes politiques qui s'y livrent le sont moins sévèrement. Par ailleurs vouloir un homme parfait et irréprochable est assurément tombé dans la radicalité, car ce n'est pas et ce ne sera jamais la réalité humaine, car le « crime n'est que social.