mercredi 22 mars 2017 - par

Le droit de s’ennuyer

L'ennui en 2017 n'est plus acceptable. Je ne parle pas ici de l'Ennui au sens baudelairien du terme, ou ce "mortel ennui qui me prend dans ses bras" parfois. A notre époque il convient d'être occupé sans cesse, tout le temps, ne jamais s'arrêter. C'est une des choses que permettent les objets dits connectés qui permettent que jamais une personne n'ait un moment de répit, que jamais elle ne puisse se permettre un instant d'introspection ou de rêverie. Car s'ennuyer permet de rêvasser, de s'arrêter sur son âme, de faire pourquoi pas ce qu'on appelait un examen de conscience.

Un enfant, un adolescent, un adulte se doit d'être perpétuellement occupé, perpétuellement à faire "quelque chose" plutôt que rien. Les gadgets électroniques comme autant de boulets à ses pieds le lui rappellent sans cesse, ils sonnent, "bipent", vibrent, résonnent, y compris durant la Nuit. Personne ou presque ne cherche jamais à les éteindre, de peur de se retrouver tout seul avec soi-même. Quand le réseau ne fonctionne plus, de temps en temps, les esclaves volontaires, incapables de prendre leur temps libre d'eux mêmes, sont tels des drogués en état de manque.

Dans les gares, on ne doit plus attendre les trains qui devant un livre, qui en imaginant d'autres voyages en observant les locomotives, les wagons de couleurs partant vers les endroits lointains. Non, il y a la "ouifi"

Ils voudraient bien réapprendre à prendre son temps, à pratiquer ainsi qu'au Proche Orient l'art de ne rien faire, mais cela les angoisse de trop et ils se sentent bien plus rassurés en état de veille perpétuelle. Ils ne savent plus juste profiter de l'atmosphère, de la simple joie d'être ensemble, ou tout seul. Il faut que le mouvement ne s'arrête jamais, pris dans un express lancé à pleine vitesse.

Je trouve cela dommage que dorénavant l'on fasse tout pour que l'élève ne s'ennuie pas en classe. Comme si c'était un mal absolu. Car le cancre, le jeune distrait, il arrive que ce soit aussi un bon élève, lorsqu'il regarde par la fenêtre apprend à contempler la nature, le beau ciel bleu, les oiseaux. Il se libère du carcan grégaire. Il s'envole au moins dans son esprit, il échappe à l'humaine pesanteur, à la médiocrité d'aspirations bassement matérielles, des désirs bien étriqués dictés par les vendeurs de bonheur à prix bradé -les jours de soldes en tout cas.

Une personne qui lit ne s'ennuie pas, elle voyage d'une autre manière, s'enivre sans boire quoi que ce soit, mais maintenant la lecture est assimilée à l'ennui, à l'inactivité, l'oisiveté qui est comme chacun sait "mère de tous vices". Finalement, la société moderne ne fait que revenir aux anciens préjugés des bourgeois "louisphilippards" sur la culture. Un lecteur sort du troupeau, se hausse en dehors. Il ne fait plus partie de la horde, il est perdu pour la collectivité, a de moins en moins envie de n'être qu'un rouage enthousiaste de la chaîne.

Car s'ennuyer, s'abandonner à la rêverie, à l'introspection, c'est commencer à s'émanciper pour de bon.

Bien entendu, l'ennui n'est pas souhaitable tout le temps, il doit être apprécié cependant à sa juste mesure pour ce qu'il peut apporter à une personne de bonne volonté...

 

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

illustration empruntée ici

Amaury - Grandgil




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