Le paradoxe Dieudonné à Evry (91) : Manuel Valls cacherait-il ses électeurs ?
Les élections se suivent et se ressemblent avec leurs débats sur l'abstention (record à 50%¨ce week-end), le score de nos oligarques et surtout sur les performances des "extrêmes", c'est-à-dire de ceux qui font mauvais genre et qui perturbent le bien-être du CAC 40. La tradition fut respectée hier soir, dimanche 11 juin 2017.
A Evry, commune populaire de l'Essonne, ex-ville nouvelle des années 1960, ce n'est pas le FN qui a fait la une mais l'ami Dieudonné, candidat anti-Manuel Valls, qu'il entend sortir du jeu politique dans le cadre du "dégagisme ambiant". "Rancune" diront certains ; "agit-prop' diront d'autres... Qu'importe les raisons inavouées de la venue de la "bête immonde", cauchemar des bien-pensants des beaux quartiers parisiens, dans le 91.
Car Dieudonné n'est pas venu en touriste. Lors de sa conférence de presse de campagne, il était accompagné de son suppléant, le jeune tarteur Nolan, le gamin qui a osé claquer l'ex-ministre de l'intérieur. Il a exposé des raisons très républicaines à sa démarche et un programme de revendications en cas d'élections à la chambre des députés. Réforme de la justice avec audiences filmées pour que chaque citoyen ait accès aux débats, moralisation de cette institution monopolisée par les groupes de pression dont le syndicat de la magistrature et son "mur des cons". Volonté de réaffirmer l'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique... Notre bonhomme a tiré les leçons de ses 143 procès (!) pour délit d'opinion notamment et il ne fait que proposer le retour au bon sens.
Il ne s'agit pas de minimiser ou de cautionner les propos doûteux sur certains sujets sensibles. Mais il faut rappeler que c'est le système qui a poussé Dieudonné vers la provocation à outrance. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, était payé pour protéger les français des voyous et des terroristes, et non pour harceler les militants de la Manif pour tous et les saltimbanques, même si l'humour était atypique. Il ne faut pas confondre jugement de valeur et jugement institutionnel. Valls était connu pour sa sortie sur les "blancos" à Evry et son parti ne s'est jamais offusqué du racisme anti-blanc qui a fait fuir les français "à l'ancienne" de nombreux quartiers, donc comment pouvait-il juger un Dieudonné sur ces questions délicates ? Aurait-il trainé dans la boue Coluche en son temps ? Il est vrai que les solutions pratiques des années antérieures pour écarter les éveilleurs de peuple (le coup du camion en 1986...) ne passeraient plus aujourd'hui...
Chacun à sa place. C'est au public d'apprécier ou non un artiste, pas aux politiques et à la justice. Mais revenons à notre élection... Dieudonné a également énoncé un programme pour développer la remigration, c'est-à-dire pour encourager les investissements des jeunes français issus de l'immigration africaine dans le continent d'origine de leurs parents. Il veut en finir avec la Françafrique de type Foccart pour faire émerger une véritable collaboration sur fonds d'indépendance réelle de l'Afrique de l'ouest. Il veut être candidat à la présidentielle du Cameroun par ailleurs...
Il a donc autant de légitimité qu'un politicard professionnel, car il développe deux thèmes de campagne intéressants et ouverts sur l'avenir : une véritable indépendance de la justice et des perspectives pour les jeunes des quartiers aux horizons bouchés par la crise dans l'hexagone.
Donc il a fait campagne. L'accueil des habitants d'Evry, à des années-lumières du traitement à son égard de la caste parisienne, fut cordial et chaleureux (photo d'illustration). Des centaines de selfies sur les marchés, des échanges avec les gens, tout laissait présager un bon score pour Dieudonné. Il a finalement obtenu un bon millier de voix, 4% des suffrages exprimés... Un record depuis ses candidatures à Dreux.
Une nouvelle fois, on peut être étonné par le décalage entre l'ambiance de campagne et le verdict des urnes. Personne dans Evry n'a manifesté d'enthousiasme pour Valls ; cette petite vidéo trouvée sur youtube en témoigne :
Hormis une partie d'échecs dans une association locale, l'ex-ministre n'a pas galvanisé l'attention. Il a toutefois obtenu 27% des suffrages, il faut donc en conclure que ses électeurs ne sortent jamais dans la rue et vivent cloitrés. Sont-ils les résidents des maisons de retraite du coin, où il exprime ses talents au jeu des échecs ? C'est possible. Une chose est certaine, ce ne sont pas les jeunes qui ont voté pour lui ce dimanche. Une jeunesse qui n'attend plus grand-chose du système français et qui rêve de nouveaux horizons, loin du CAC 40 et du terrorisme...
Merci donc, une nouvelle fois, à Dieudonné d'avoir rafraichi cette maussade campagne électorale et surtout d'avoir rappelé le rôle essentiel des éveilleurs de peuple pour agir sur les consciences collectives et dénoncer les injustices. L'humour sera toujours au-dessus de la démagogie...