vendredi 20 janvier 2017 - par alinea

LETTRE AUX INSOUMIS

Chers insoumis, insoumises, même si je sais que pour beaucoup d’entre vous ce mot n’est qu’un pseudonyme de théâtre, même si je sais que l’on peut habiter son rôle tout entier et honnêtement, chers camarades, vous vous mobilisez, vous communiquez, vous instruisez, public, voisins, amis parentèle.

Je voudrais commencer, non pas par une mise en doute qui serait non seulement mal venue mais mal à propos, mais par un petit briefing sur notre position personnelle, actuelle dans notre société, telle que nous voudrions la changer.

Combien d’entre vous ont un compte au crédit Agricole, Société générale ou BNP Paribas ? Alors que vous pourriez être à la NEF ou, a minima, à la Poste, en exigeant de notre programme qu’au moins celle-ci soit nationalisée.

Combien d’entre vous, s’il a des biens à louer, par héritage ou par placement, les louent à 4 % du capital immobilier estimé, ce qui correspond à un placement à 2 % et 2 % de frais et réserves pour travaux éventuels ?

Combien d’entre vous n’ont pas de résidence secondaire, connaissant l’énorme spéculation sur l’immobilier, sachant le prix des loyers, et le nombre de familles ou de gens mal ou pas logés, sachant que cet état de fait est en bonne place dans le programme des choses à remédier ?

Combien d’entre vous habitent près du lieu de leur travail, trajet fait à pied, à vélo, en covoiturage plein ou en transports en commun ?

Combien d’entre vous ne prennent jamais l’avion, que ce soit pour « affaires » ou pour les loisirs ?

Combien d’entre vous ont, ne serait-ce qu’une fois, désobéi aux injonctions débiles d’un supérieur ou d’un patron ?

Combien d’entre vous n’ont jamais fait appel à une connaissance pour se dépêtrer d’une affaire embrouillée, administrative, judiciaire ou policière ?

Combien d’entre vous ont déjà initié une action collective de soutien à un proche, un voisin, un collègue, en proie à un harcèlement ou à une injustice flagrante de la part du pouvoir, ou de sa hiérarchie ?

Combien d’entre vous boudent les autoroutes, les transnationales, la grande distribution ? Les chaînes de restauration, d’hôtellerie, d’opticiens, de coiffeurs, de boutiques pour leur préférer le petit commerce ?

Combien d’entre vous pratiquent le partage au quotidien, l’entraide, l’échange, d’outils de services, spontanément sans passer par les sites internet payants, et sans compter ?

Combien ne cèdent pas à l’économie à faire ici, la promotion, la solde pour acquérir un objet dont ils n’ont pas vraiment besoin ?

Combien d’entre vous ne vont pas chez le médecin au moindre rhume, ne demandent un congé à la moindre fatigue, oubliant les collègues qui prendront cette charge de travail supplémentaire ?

Combien d’entre vous ne profitent pas du week end pour sauter dans la voiture et « s’aérer » mais restent à la maison, vivre un partage, une entraide, une convivialité avec les proches géographiquement ?

Combien d’entre vous considèrent que la sédentarité est la base de l’insoumission aujourd’hui ?

Et tout le reste, tout ce que je n’ai pas envie de détailler ou que j’oublie…

Voyez…

Aussi, si notre programme n’avait pas l’heur d’être choisi, je vous proposerais que l’on constitue une sorte de charte de bonne conduite, sans compromissions aux autorisations, aux injonctions voilées mais flagrantes, faites par le régime capitaliste néo libéral qui compte sur nous pour pouvoir jouir de ses débordements.

Combien d’entre vous considèrent qu’être écolos, c’est faire installer une chaudière solaire/granulés à grands frais, mais ne comptent pas la quantité de poubelle qu’ils sortent sur le trottoir, chaque jour, ou chaque semaine ? Les douches et lessives quotidiennes, les libéralités faites aux enfants, les passe-droit, les dus, les kilomètres avalés chaque année, avec un véhicule, bien sûr, économe ?

Voyez… être insoumis, c’est aussi ne pas se soumettre à tout ça, c’est refuser l’aise qu’on peut se payer mais qui n’est qu’un viol, un vol, un pillage, une injustice, une exploitation d’un autre.

Être insoumis, c’est jeter sa carte bleue, ne pas acheter par internet parce que l’on sait ce que cela représente d’exploitation humaine, et de mise au chômage dans les boutiques qui n’existeront plus ; c’est aussi refuser que le citoyen soit d’abord considéré comme un fraudeur, un voleur, un malhonnête et que tous les citoyens doivent subir la punition pour quelques-uns ; être insoumis c’est considérer que l’argent n’est pas la valeur suprême, le dieu unique que l’on doit ménager, autour duquel tout doit tourner ; être insoumis c’est lui préférer les relations humaines, quitte à en avoir de mauvaises, et être insoumis, c’est commencer tout de suite, tout de suite à chaque geste, à chaque action, la multiplier par soixante millions et voir si elle est possible ainsi, et comprendre où chacun de nos gestes, automatique, nous mène, dans quelle société ; et si nous voulons de cette société.

Je préconise le paiement en espèces, au maximum : aucun achat en ligne, car « l’économie » que vous faîtes, ou la simplicité, la commodité que vous y voyez, détruit l’humain. Je préconise le boycott systématique des grandes surfaces et chaînes de magasins, tant qu’il nous reste l’alternative ; dans pas deux ans, on ne l’aura plus.

Des petits gestes qui sont notre reprise du pouvoir sur notre quotidien, car s’il est beau d’avoir un beau programme, le présenter, le discuter, il faut le commencer aujourd’hui dans la marge qui nous est encore laissée.

Comment pourrait-on se dire insoumis et se plier à ces diktats du capitalisme ? Comment peut-on se dire insoumis et ne pas voir la responsabilité qui nous incombe de préserver un monde humain ?

Aussi, oui, je voudrais vous proposer, et même et surtout si notre mouvement sortait vainqueur de la compétition médiatique, que nous nous engagions tous à désobéir, à boycotter, à trouver alternatives aux aises que peuvent donner une bonne paye, la bonne naissance, le bon milieu social, que nous nous engagions à soutenir un équilibre viable et souhaitable pour tous, car si nous sommes quelques millions à le faire, notre action aura un impact réel.

Que nous écrivions une charte que nous nous engagerions à suivre, sans y perdre notre bonheur mais en y trouvant notre honneur. Une charte de solidarité engagée envers tous les désobéissants qui sauraient trouver soutien et réconfort, aide financière si besoin est, une charte qui nous engagerait à afficher notre fidélité à nos choix politiques et de société.

Je voudrais qu’on l’écrive avec autant de soin que nous le ferions de notre Constitution, que nous fassions masse, pas inconnue, pas anonyme, sur laquelle chacun pourrait compter et que, chemin faisant, nous attirions les autres, d’autres qui seraient en retard.

Qu’au collège, à l’école, au bureau, à l’usine, nous mesurions en le racontant, en le confrontant, l’objet de notre indignation ; que nous organisions des recours, des secours, des soutiens, parce que nous aurions lâché toutes les amarres du capitalisme financier, productiviste, pilleur, injuste et pollueur. Que nous devenions des Justes, un contre pouvoir stable, tenace, déterminé et qui fait des émules. Que notre militantisme ne soit pas qu’une excitation de mise en ligne, mais un choix délibéré chacun chez soi mais partagé, chaque jour accru, du refus incorruptible des offres que nous aurions définies ineptes, faites pour nous appâter.

Ne nous contentons pas de vivre « comme ils l’imposent » avec, en à-côté quelques actions sociales, quelques manifestations, quelques slogans.

Créons des réseaux de juristes, des réseaux de médecins, des réseaux d’aide, vrais, fiables et acceptons-y les bonnes volontés.

Rendons-nous solidaires et pour ce, chassons la solitude de tous ceux qui en bavent, à condition qu’ils n’aient pas pour espoir d’avoir plus pour consommer plus.

Chassons le gaspillage, prenons du temps, visons le végétarisme pour que le sort de nos bêtes domestiques soit digne. Visons la frugalité, le temps que chacun ait du bon, à manger. Visons l’économie, visons le partage, le don, la gratuité.

10 % d’une population soudés dans ces buts pourraient interagir à la bascule des consciences, et notre reconnaissance mutuelle pourrait faire le ciment de notre confiance.

Ne craignons pas l’anonymat, l’humilité de nos prises de position, ne cherchons pas le micro, mais soyons toujours là, pour l’autre qui hésite ou se perd. N’ayons aucune complaisance vis-à-vis nous-mêmes, aucune mansuétude pour nos faiblesses, aguerrissons-nous. Et trouvons notre plaisir dans la conquête de nos victoires, mêmes minimes.

Nous nous engageons, par cette charte, à rester en contact, à garder notre disponibilité pour l’une ou l’autre rencontre en chemin ; nous nous engageons par l’entraide, à compenser les désagréments causés par notre refus d’obtempérer, notre refus de l’aise illusoire donnée par la consommation, et si nous nous retrouvons en galère, nous en ferons une fête une fois la mission accomplie.

Nous nous connaîtrons, nous reconnaîtrons et nous y réchaufferons. Nous créerons des réseaux de résistants mais resterons vigilants à toute tentative de dérive, de corruption ou d’abus de confiance.

Nous le ferons en humains prompts à la rencontre, prompts à la mise en relation.Nous n’aurons pas de structure établie, juste des fils qui pourront dormir ou bien se réveiller et feront trame, trame contre nasse qu’il s’agira de déchirer.

Nous ne serons pas une secte, pas une élite, juste des êtres qui veulent retrouver le lien, l’aventure, le dépassement de soi, la vie.

Chacun selon ses besoins, chacun selon ses capacités, ses disponibilités, ses compétences ; une heure de musique, une heure de plomberie, une heure de juriste, une heure de professeur, une heure d’éboueur, une heure de soins, une heure d’écoute, une heure de parole, une heure de ménage , une heure de création, toutes heures égales.

 

Un pour tous, Tous pour un.




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