samedi 28 décembre 2013 - par chems eddine Chitour

Pour en finir avec le canular coûteux du foot-business : Les vrais défis du pays

« Donnez lui du pain et des jeux, et le peuple sera content, Il suivra aveuglément les lois des seigneurs dieux »

Juvénal

 

Mon attention a été attirée par des articles de presse s'agissant du scandale du football professionnel. Des sommes inouïes sont dépensées pour un soporifique éphémère qui permet, il est vrai de contribuer à la paix des foules en les divertissant comme au bon vieux temps de Rome sur le déclin, l'empereur faisait organiser des jeux de cirque et distribuait du pain.

« L'expression Panem et Circenses » écrit Badia Hamza-Cherif traduit « la stratégie » de l'élite au pouvoir, qui « distrait », « occupe » la plèbe et ses autres administrés, pour s'occuper seule des affaires de l'Etat, confondues avec les siennes (...) ». Et la « plèbe », le chaâb va acheter son billet pour prendre place dans le nouveau Colisée à n'importe quel prix, y compris au prix de sa vie... Le drapeau national est arboré partout, sur les murs, les voitures, sur les balcons..On le porte comme un marqueur. La rue est,elle aussi laissée au « chaâb », pour un moment : défilés de voitures, chants...slogans... »(1)

« Car le seul débat, la seule manifestation autorisée sont « sportifs » (...) le chaâb « s'oublie » dans le jeu. Il oublie ses divergences, ses difficultés, là il exulte, il éclate...toutes les frustrations sont gommées.Il faut vaincre.Vaincre ou mourir ! Il y va de l'honneur de la Nation ! (...) A l'issue d'une confrontation entre 22 « manchots » surpayés, hissés au rang d'idoles, le « chaâb » « comblé » va continuer sa fête : One, two three...Viva l'Algérie...Klaxons, cris, fusées, chants, danses...défilés de voitures, rues prises d'assaut « sans autorisation wilayale »... On a gagné !!!! On a « gagné » quoi au fait ?... » (1).

 

Le scandale des salaires des joueurs et du fonctionnement du professionnalisme

Yazid Ouahib a dressé un tableau sans complaisance de la gabegie actuelle du fonctionnement du professionnalisme en Algérie. Il en appelle à l'installation d'une commission de contrôle. Pour lui la Fédération algérienne de football (FAF) et la Ligue de football professionnel (LFP) portent une lourde responsabilité de ce qui est advenu du professionnalisme en Algérie. (...) Nourris à la mamelle de l'Etat, ils n'envisagent pas le maintien du football loin du giron du Trésor public. (...) Les salaires faramineux distribués aux joueurs en sont la parfaite illustration. Pendant que des chercheurs, des professeurs, des cadres, des employés et travailleurs triment à longueur d'année pour joindre les deux bouts, des « dirigeants sportifs » jouent avec l'argent du contribuable et en réclament toujours plus pour continuer à faire tourner une machine qui ne produit qu'une chose : le déficit » (2)

Yazid Wahib du journal El Watan rapporte que : « Sur les 29 qui émargent à 2 et plus de 3 millions de dinars, deux joueurs seulement ont pris part au dernier match des Verts. Sur les 381 joueurs que compte la Ligue 1, vingt-neuf perçoivent des salaires au-dessus de deux millions de dinars. Huit émargent à plus de trois millions de dinars. Sept seulement faisaient partie du groupe des sélectionnés retenus par Vahid Halilhodzic pour la rencontre Algérie-Burkina Faso. Deux joueurs dans le onze de départ de l'Equipe nationale, c'est insignifiant pour un football qui en possède une trentaine, dont le salaire dépasse tout entendement. Et encore, ces deux joueurs (Zemmamouche et Khoualed) ont bénéficié de circonstances favorables. Où sont les 27 autres joueurs les mieux payés du championnat ? Dans un football qui se respecte, les internationaux en activité sont les mieux lotis en matière salariale. Cette situation ubuesque (les joueurs les mieux payés ne sont pas en sélection) donne à réfléchir sur le devenir du football professionnel en Algérie. (3)

« Le football professionnel écrit Yazid Wahib en Algérie tourne à la farce. L'échec de l'expérience entamée en 2010 est patent. Les dirigeants du football, exigent et obtiennent que l'Etat délie pour eux les cordons de la bourse. Pour quelle finalité ? En Algérie, l'Etat à travers ses différents secteurs continue de porter à bout de bras une entreprise sans avenir.
Les salaires des joueurs professionnels en Algérie font débat actuellement. Le Mouloudia compte dans son effectif neuf joueurs qui perçoivent des salaires de 2 millions de dinars et plus. Sur les neuf joueurs, un seul perçoit un salaire de 3 millions de dinars. Un joueur venu de l'étranger touche 2.200.000 DA et attend toujours pour jouer un match. La masse salariale mensuelle des 381 joueurs de Ligue 1 se chiffre à 340 millions de dinars/mois. Pour l'année, l'enveloppe atteint le chiffre astronomique de 360 milliards de centimes. Autre chose, sur les neuf joueurs qui émargent à plus de 3 millions de dinars par mois, deux seulement ont pris part au dernier stage des Verts à Sidi Moussa ». (3)

Yazid Wahib cite aussi le scandale des salaires des joueurs qui pour certains ne jouent pas, en oubliant cependant de citer les sommes versées par l'Etat et les sponsors aux joueurs pour leur qualification et aux promesses pour juin prochain. Pendant que le football professionnel conclut Yazid Wahib est arrosé comme jamais auparavant, cadres et élites fuient le pays à la recherche d'une vie meilleure sous d'autres cieux, des hôpitaux se transforment en mouroir faute d'entretien et de moyens financiers, des malades manquent de médicaments, des établissements scolaires souffrent de l'absence de cantines pour les jeunes élèves du primaire et du moyen. » (4) 

Justement, pour clôturer l'indécence des sommes colossales perçues, il faut savoir par exemple, que dix joueurs les mieux payés dont David Beckam, Ronaldinho Gaucho, Whyne Rooney ont reçu en une année 135 millions d'euros en salaires, primes, droits de sponsoring... soit en moyenne 20 millions de dollars par individu (55.000 $/jour, contre 2$/jour en moyenne pour un Africain) ou encore le salaire journalier du joueur est équivalent à ce que reçoivent deux Africains sur une carrière de 32 ans.

Nous ne devons pas oublier que jouer au foot est un divertissement dont la valeur ajoutée est nulle hormis l'irrationalité éphémère d'une victoire. Le football du point de vue création de richesse est un tonneau des Danaïdes, une foule de satrapes exploite le filon et fait dans l'amalgame. C'est d'ailleurs le cas dans tous les pays sous-développés. Quand dans une équipe nationale la plupart des joueurs sont étrangers et se découvrent algériens le temps de matchs où ils sont payés d'une façon scandaleuse et au risque de choquer, ces mêmes joueurs qui n'avaient aucune visibilité sociale disparaissent dans la nature une fois la dîme payée.

Je mets en garde nos autorités sur le manque de transparence dans ce marécage juteux du milieu du football surtout à l'approche des grandes manoeuvres de la Coupe du Monde. L'Etat va accepter la demande de ces joueurs, les sponsors vont aussi contribuer. Mais il faut savoir qu'en définitive, c'est le citoyen qui paye d'une façon ou d'une autre. Le dernier épisode de Maradona -qui dit-on n'a pas perçu un centime alors qu'on parle d'un million d'euros-, l'explication est qu'il serait pris d'une folle envie de visiter l'Algérie- alors qu'il ne savait peut-être pas où était située l'Algérie et qu'en Algérie, il aurait êté pris en charge d'une façon charitable. C'est dire si on prend les Algériens pour des simples d'esprits. La presse pour une grande part est complice de la déification de ces mercenaires du foot en rapportant les faits et gestes de ces aliens avec des coupes bizarres, un vocabulaire laborieux qui se résume à quelques phrases qui font plaisir à entendre dans un français ou un arabe chaotique (le must). 

Il est loin le temps où les footballeurs algériens se faisaient payer par la satisfaction d'entendre l'hymne national. On dit que les footballeurs de la Coupe du monde 1982 ont eu pour récompense des téléviseurs ou des réfrigérateurs. Si nous remontons encore plus loin, les footballeurs de la glorieuse équipe du FLN qui ont gagné la plupart de leurs matchs qui faisaient les beaux jours des clubs français, n'ont pas lésiné pour tout abandonner. Parents familles, situation bien établie pour aller porter le combat pour l'Algérie indépendante aux quatre coins du monde. Dans l'histoire de la Révolution qu'il faudra écrire absolument, les historiens auront à redimensionner cette notion de moudjahid dans son sens le plus généreux. A ce titre, l'Algérie a aussi été entendue pas seulement en terme de lutte armée par les combattants mais aussi sur le plan sportif et sur le plan culturel.


La « footballisation » des esprits

Comment le football opère ? Cet engouement planétaire fait partie de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l'individu qui devient de ce fait esclave du divin marché, pour reprendre l'expression du philosophe Dany Robert Dufour. le néolibéralisme investit l'industrie du plaisir fugace et ne s'installe pas dans la durée, il vole d'opium en opium en « extrayant de la valeur » au passage, laissant l'individu sujet consommateur sous influence en pleine errance avec des réveils amers, où il retrouve la précarité, la malvie en attendant un autre hypothétique soporifique devenant définitivement l'esclave du divin marché.

Le philosophe Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par la toute-puissante multinationale privée de la Fifa. Tout cela relève dit-il « d'une diversion politique évidente, d'un contrôle idéologique d'une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C'est pitoyable. Il existe en réalité une propension du plus grand nombre à réclamer sa part d'opium sportif. (...). Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d'un vulgaire et d'une absurdité éclatants. (...) »(5)

Qu'en est-il de l'opium du football en Algérie ? Pour le sociologue Zoubir Arrous, le foot n'est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. (..) Ainsi, nous pouvons dire qu'il y a, dans le cas de l'Algérie, un véritable conflit entre le stade et la mosquée. (...) (...) En Algérie, l'Ecole ne fait plus rêver. Elle ne joue plus son rôle d'ascenseur social et ne discrimine plus entre « ceux qui jaillissent du néant » et les laborieux et les sans-grade qui cumulent en une carrière ce que perçoit un joueur en une saison. Il est vrai que la contagion du jeu et du mercato a envahi l'Algérie. »(5)


Les défis du vivre-ensemble autrement que par l'irrationalité d'un match gagné

Plus que jamais, une ère de ressourcement avec, au préalable, une introspection, un état des lieux sans complaisance est indispensable pour aller à l'idée de nation. Nous aurons alors à réduire la « comédie humaine » symbolisée par tous les satrapes, qui auront usé et abusé de l'aura de nos martyrs et par les partis politiques qui instrumentalisent l'imaginaire de leurs rares militants donnant l'illusion d'un fonctionnement démocratique, mais qui, sur les vrais dossiers, sont absents. La Nation existe-t-elle ? A titre d'exemple -s'agissant du feu mal éteint de la situation larvée à Ghardaïa- où sont ces partis politiques qui font dans la politique de l'autruche, attendant patiemment leur pitance et faisant tout pour être dans les bons papiers du pouvoir, pourtant qui a plus que jamais besoin d'eux dans ce type de situation où les fondements de la République sont mis à mal. Ce qui se passe à Ghardaïa est intolérable. Le désir de vivre ensemble dépend du bon vouloir des chefs de tribus locaux. Nous n'avons pas su ou pas pu tout au long de ce cinquantenaire inculquer à nos élèves les lois de la République qui devaient graduellement prendre la relève des modes d'organisation sociale archaïques fruits d'un héritage millénaire. 

J'ai écrit dans une contribution précédente, que les Chaâmbas vivaient en bonne intelligence depuis plus d'un millénaire et il fut une époque où ils assuraient la sécurité des caravanes de commerce des Mozabites, qui remontaient vers le Nord. Les Mozabites au même titre que les chaâmbas, les Chaouias, les Kabyles, sont avant tout des Algériens dont le vivre-ensemble est tissé par l'histoire et pour la période récente par la glorieuse Révolution de Novembre qui n'a pas suffisamment été déclinée dans ses multiples dimensions, notamment sociologiques. L'Algérie sera à jamais redevable à Moufdi Zakaria, un immense poète de la Révolution qui a donné à ce pays un hymne à l'expression de son identité.

La question que nous devons nous poser est la suivante : qu'attendons-nous pour faire un état des lieux du pays d'une façon pluridimensionnelle, pour savoir si nous sommes sur le bon chemin qui permettra à l'Algérie de sortir de l'ornière ou pour être plus terroir, de la « gherqa », la gadoue dans laquelle nous sommes plongés ?

Cette gadoue se décline de différentes façons : c'est d'abord un système éducatif, évanescent avec des méthodes archaïques qui est devenu, au fil des ans, un véritable repoussoir. Quand l'enfant appartient à une famille de cadres moyens, la stratégie est de les amener à un diplôme universitaire qui leur permette de partir... vers des cieux plus cléments. Pour les autres, les parents d'élèves ne misent plus sur l'école, Ils inscrivent leurs enfants dans des écoles de football L'entraîneur est devenu le maître. Cela n'a rien d'étonnant quand on apprend que nos joueurs auraient reçu en prime plusieurs milliards de centimes ! Des primes par joueur et en une fois, équivalentes au salaire d'un universitaire pendant deux cents ans. A moins d'être des High Lander, Dans ces conditions, allez parler aux étudiants de la nécessité de travailler dur pour avoir un diplôme qui fait de vous en définitive, un chômeur diplômé. L'Ecole ne fait plus rêver, il y a bien longtemps que son ascenseur social est en panne !

A l'autre bout curseur de l'intelligence humaine, on rapporte que le mathématicien russe, Grigori Perelman, d'après la Voix de la Russie, a ignoré le prix d'un million de dollars qui lui était attribué par l'Institut mathématique de Clay pour avoir prouvé l'hypothèse de Poincaré – après un siècle de recherche profonde par les plus grands mathémticiens- préférant vivre avec sa mère dans des conditions les plus humbles. Assurément, il travaille pour l'honneur de l'esprit humain.

La question qui se pose à nous inexorablement : « Quand est-ce que le peuple algérien pourra et devra réhabiliter l'effort, le travail bien fait, la sueur, en un mot, le mérite pour donner la mesure de son savoir, son savoir-faire et aussi son savoir-être ? Quand est-ce que nous allons substituer aux légitimités douteuses celles du savoir et de la connaissance ? » L'Algérie pourra redevenir ce qu'elle était, un petit peuple fier, uni, bien dans ses cultures, qui s'imposera par le génie créateur de ses jeunes qui, pour le moment, sont en panne d'espérance. Les vrais combats pour la dignité ceux de la maîtrise de la science et de la technologie, en un mot de notre destin, nous attendent..



1. Badia Hamza-Cherif : Donnez-leur du pain et des jeux !Le Quotidien d'Algérie 21.11.13

2. Yazid Ouahib http://www.elwatan.com/ sports/a-quand-l-installation-d-une-commission-de-controle-26-12-2013-239928_110.php

3. http://www.elwatan.com/sports/ils-touchent-des-salaires-exorbitants-footballeurs-milliardaires-26-12-2013-239925_110.php

4. Yazid Ouahib http://www.elwatan.com /sports/des-chiffres-qui-donnent-le-tournis-26-12-2013-239926_110.php

5. C.E. Chitour http://www.legrandsoir.info/La-footballisation-des-esprits-Que-reste-t-il-des-valeurs-fondamentales.html

 

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 



2 réactions


  • claude-michel claude-michel 28 décembre 2013 12:44

    Le foot est une mafia ou on lave l’argent sale lors des transferts...C’est d’ailleurs pour cela que les politiques s’y intéressent.. !


  • Alpo47 Alpo47 28 décembre 2013 13:21

    Mais, vous (Algériens), allez bientôt voter ... Je suis certain que l’inusable (?) Bouteflika va promettre de changer tout cela et faire de « vraies » réformes ... Non ?


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