mardi 20 janvier 2015 - par lisca

STYX

Mes chers amis quand je mourrai

Plantez un saule au cimetière

J'aime son feuillage éploré

Sa pâleur m'en est douce et chère

Et son ombre sera légère

A la terre où je dormirai.

La mort est entourée d'égards par les poètes et les peuples. On l'honore, on la révère. Qu'on la représente hostile et grotesque ou solennelle et sacrée, on la prend toujours très au sérieux. Seuls les criminels condamnés ou allégués, les suicidés, les trucidés de masse et les ennemis du NOW se voient privés de cérémonie d'adieu dans la vaste histoire du monde. Les autres, tous les autres ont droit à leur hommage posthume où l'on évoque l'esprit du disparu. La matière n'y a pas le beau rôle. Dégradable, elle n'existe plus, elle fait même horreur en la circonstance. Et donc on n'en parle pas.

La vie privée de Stéphane Charbonnier (dit Charb) ne s'est pas achevée avec sa mise en bière. il n'a pas eu cet ultime droit de l'homme. Bien qu'on lui ait fait des funérailles à visée honorifique puisque relayées par les médias et appuyées par trois ministres, on l'a en quelque sorte harcelé jusqu'au bout.

Comparez ses obsèques à celles de Victor Hugo  ou d'Anatole France qui tant aimèrent le peuple, et celui-ci le leur rendit bien. Il disait, Anatole, dans son grand bon sens :

" Les capitalistes forment une infime minorité. C'est là leur force. Car ils peuvent mieux se concerter et s'entendre, comptent fatalement moins d'idiots gênants parmi eux, et peuvent exécuter des plans dans l'obscurité, sans éclat, sans bruit et avec patience.

Puis ils défendent leur fortune, tout ce qu'ils possèdent, et cela les rend acharnés, et cela leur fait serrer les rangs et les dents. Tandis que le pauvre peuple ne risque que ce qu'il n'a pas et par cela même manque d'ordre et va avec insouciance. Il défend de sa poitrine, des chimères, des articles de journaux, des espoirs futurs, et non de bons billets de banque, des titres, des maisons, des bijoux, des maîtresses, des automobiles..."

Oui le peuple aimait ces écrivains-là. Ses morts à lui.

Le jour des obsèques de SC, est-il possible que l'oligarchie qui n'aime qu'elle-même ait anticipé ses propres funérailles en s'appropriant un pauvre défunt ?

Aucun respect dans sa dernière demeure pour celui qui fut baptisé Stéphane, pour son entourage, ceux qui l'aimaient. Aucun respect pour le populo de France et d'ailleurs, celui qui pleure en enterrant ses morts, les entoure d'une profusion d'hommages et de fleurs, et s'il le peut lui grave du marbre. Pour l'être aimé, le cher défunt, rien n'est trop beau. Nous t'aimions ! soupirent les épitaphes.

Il arrive qu'on le redoute, ce défunt. Il a tant de pouvoirs inconnus ! Il vaut mieux ne pas l'offenser. La mort est plus forte, on le sait, que tous les Renald Luzier des quartiers du monde. Renald Luzier, c'est à dire Luz, rien moins que lumière en espagnol. Voilà le pseudo choisi par l'obscurantiste en chaire, car le diable, qui ne rate jamais ses proies, inverse tout.

Aucun respect du Luz pour la Mort, évènement immémorial s'il en fut, honorée jusque chez feu les néanderthaliens. Par ricochet, aucun respect pour les autres morts de l'attentat, compagnons d'infortune de SC. Et quelle infortune ! Ou rédemption ? Stéphane seul le sait à cette heure.

Aucun respect pour la France, représentée par trois femmes ultramarines ayant fait carrière, dont l'une, la Fleur du trio, ne lit (dit-elle) que de la prose d'officine quand elle ne soutient pas l'art-dégueulis, les deux autres incarcérant-étouffant à tout va de l'artiste de scène ou de plume, en herbe ou non, à défaut de terroriste. On veut bien croire que ces ministres y soient contraintes et forcées par d'obscures oligarchies, mais enfin en l'occurrence, elles ne risquaient rien à se rebiffer. Leur cote de popularité aurait remonté aussi sec !

Trois femmes, officiellement déléguées du peuple français, qui, lors de cette cérémonie vaudou, ne se sont pas levées, n'ont pas affirmé leur fonction affichée de garantes de la culture, de la bienséance éducative (et pourtant que de pudeur outrancière à la quenelle !) et de la Justice qui ne rit jamais que du cabu-beauf : à savoir du charbonnier, qu'on dit maître chez lui pourtant.

Le vrai beauf existe, il nous tance, nous hait, nous démoralise, nous exprime (c'est son droit d'expression particulier) nous concocte des lois liberticides, nous insulte sans même plus se cacher, et ce devant le monde entier. Le vrai beauf tourne autour de ses organes intimes, son estomac, son trou de balle, sa glotte. Voilà l'unique préoccupation, dont il nous rebat les oreilles. Le vrai beauf est subventionné, couvert d'éloges, sa parole est sacrée. Il vit dans le confort à vie. Le beauf inversé, le vrai beauf de nos cauchemars, c'est le faub, le fauve, le phobe. Le populophobe.

Trois femmes mandatées par des charlots de partout ont tenu bon, vissées sur leurs fauteuils, en entendant un "amant" auto-proclamé du pauvre mort qui ne peut ni démentir ni envoyer son poing dans la gueule du bavard, émettre des "révélations" sans risque de contradiction, d'ordre ultra-privé destinées à blesser les sensibilités du populo de France et d'ailleurs.

Quelqu'un s'est levé pourtant, quelqu'un est sorti. Il aimait le défunt sans doute, ou il a compris qu'on se moquait de lui tout autant. Les trois grâces installées au premier rang n'ont pas eu la jugeote aussi rapide. S'en mordent-elles les doigts aujourd'hui ? Savaient-elles à l'avance de quel le sanie s'abreuvait l'homélie pseudo-drôle du pseudo Luz ? On espère que non.

Des gens bizarres ont ri gras, ont applaudi ce drôlatique. Qui souhaiterait de telles obsèques à son père, à son frère, à son fils ?

Stéphane, au prénom grec qui signifie "couronné", reposait dans son cercueil. A-t-il entendu ce qu'on disait de lui ? Certains accidentés tombés dans le coma et revenus à la conscience assurent être des rescapés de l'Autre Monde : ils ont descendu le Styx, abordé aux rives interdites à tout vivant. Ils ont aperçu du vert, du bleu, leurs parents ou leurs amours morts depuis longtemps. Ils ont marché parfois dans d'interminables tunnels noirs vers une lumière minuscule, peut-être inaccessible. D'autres ont affirmé se tenir en lévitation sur leur lit de mort, conscients de toute parole alentour, détachés. Sereins ?

Repose en paix, Stéphane Charbonnier, là où tu es, avec ou sans Dieu. Même toi, leur ami proclamé, ils ne t'ont pas respecté, les capitalistes. Leur Styx avait en ce jour solennel des relents d'égout.




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