mardi 6 février 2007 - par DESPONDS Didier

Anodine rupture ?

Que penser de l’adjonction tardive d’une modification à l’article 35 de la loi de modernisation de la fonction publique, adoptée récemment, le 23 janvier 2007 ? Les fonctionnaires de l’Etat et les militaires deviendraient éligibles à l’assurance chômage. Si les modalités semblent partiellement encadrées, il n’en reste pas moins que semble ici s’ouvrir une brêche susceptible de rendre concevables des licenciements pour ceux bénéficiant, par leur statut même, d’une garantie de l’emploi. A débattre.

C’est parfois par les plus anodins détails que s’amorcent les dérives les plus nettes.

Dans le cadre de la loi de modernisation de la fonction publique dont le rapporteur était le député UMP de la 4e circonscription du Val-de-Marne, M. Jacques-Alain Bénisti, un texte a été présenté au nom de la Commission des lois, en première lecture à l’Assemblée nationale, le 21 juin 2006. Figurant comme rapport n°3173, il est directement consultable sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r3173.asp. Après navette au Sénat, ce texte est revenu vers l’Assemblée nationale, le 17 janvier 2007. Le contenu de ce second rapport enregistré sous le n°3592 est de même consultable sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r3592.asp. Entre les deux versions n’apparaissent que de menus détails. L’un toutefois mérite attention, il concerne l’Article 35. Article 35

(article L. 351-12 du code du travail) :

Extension du droit à l’allocation d’assurance chômage aux fonctionnaires titulaires de l’État et aux militaires. Cet article, inséré lors de la première lecture par le Sénat par un amendement du Gouvernement, étend aux fonctionnaires titulaires et aux militaires le droit à l’allocation d’assurance chômage. Cette mesure avait fait l’objet d’un amendement du Gouvernement lors de la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, mais cet amendement avait été retiré. Le Gouvernement a redéposé cet amendement, dans une version améliorée, au Sénat. Dans l’état du droit, les autres agents des administrations, organismes et sociétés relevant de la sphère publique ont droit, en cas de perte involontaire d’emploi, à l’allocation d’assurance chômage. Tel est le cas, notamment :

- des fonctionnaires titulaires des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière ;

- des agents non-titulaires des administrations publiques ;

- des agents non-statutaires des établissements publics et des groupements d’intérêt public ;

- des salariés des entreprises nationales ;

- des salariées non-statutaires des chambres consulaires et des établissements qui en dépendent ;

- des fonctionnaires de France Télécom mis à disposition, détachés ou placés hors-cadre pour continuer à exercer leurs fonctions dans cette entreprise.

Ces agents ne sont pas soumis au régime général, mais à des dispositions spécifiques figurant à l’article L. 351-12 du code de travail. Ainsi, l’indemnisation est gérée et versée directement par l’employeur. Toutefois, celui-ci peut confier cette gestion, par convention, aux institutions gestionnaires du régime d’assurance.

Le présent article ajoute les fonctionnaires de l’État et les militaires aux personnels bénéficiant de l’allocation d’assurance chômage en application de l’article L. 351-12 du code du travail. Il n’y a, en effet, aucune raison que les agents de l’État révoqués - pour motif disciplinaire ou pour inaptitude physique au travail - ne bénéficient pas des mêmes droits que ceux des autres fonctions publiques et des salariés licenciés. Ces agents percevront donc une indemnité d’assurance chômage versée par l’État à partir des crédits de personnel des ministères, de la même manière que les agents non-titulaires.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Ce texte a été adopté en l’état le 23 janvier 2007, voir http://www.assemblee-nationale.fr/12/ta/ta0657.asp. Voté par l’UMP, il a recueilli l’abstention des socialistes et le rejet des communistes qui s’étaient abstenus en première lecture. Quant à l’UDF, elle n’était pas présente. Ce texte concrétise un accord passé entre trois syndicats (la CFDT, la CFTC et l’UNSA) et le Gouvernement, le 25 janvier 2006. S’il comporte des avancées en termes de carrières individuelles, il intrigue par les modifications apportées à l’Article 35 précédemment mentionné, après suppression en première lecture.

Pour résumer, dorénavant, « les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de l’Etat ainsi que les militaires ont droit à l’assurance-chômage, en cas de perte involontaire d’emploi ». Quelle signification doit-on donner à la notion de « perte involontaire d’emploi » pour des salariés bénéficiant, du fait de leur statut, de la garantie de l’emploi ? Ne s’agit-il pas d’une porte ouverte laissant la possibilité de licencier plus aisément dans ce secteur en fonction d’impératifs économiques considérés comme majeurs ? Si les actifs des grandes institutions de l’Etat n’ont guère de raisons de se sentir a priori concernés, il n’en est pas de même des entreprises où subsistent des personnels fonctionnaires, en parallèle de non fonctionnaires toujours plus nombreux (à titre d’exemples, France-Telecom ou La Poste).



5 réactions


  • Le furtif (---.---.26.29) 6 février 2007 12:10

    C’est le statut de 1950 qui est visé , et cela depuis longtemps.

    Je me rappelle avoir été bien seul à protester contre la contribution de solidarité alors que signataire d’un engagement décennal :« je n’avais pas le droit de quitter mon travail »

    Dernièrement le statut des personnels ATOSS a été bouleversé , ils sont désormais sous l’autorité des conseils régionnaux...Pas un de ces conseils n’a refusé ce transfert. Surtout pas en Poitou Charentes

    Cordialement

    Le furtif


  • pingouin (---.---.234.109) 6 février 2007 13:51

    Eh bien ce n’est que justice : Quand un jeune militaire est amené à quitter le service après un engagement de 6, 8 ou 9ans, il n’avait droit à rien... Maintenant il aura une protection. Car jusqu’à présent des syndicats particulièrement dégueulasses et iniques allaint par antimilitarisme jusqu’à s’opposer à leur embauche, soi-disant parcequ’ils avaient une retraite... Et qui retrouvait-on à la rue des gens qui avaient tant bien que mal servi un pays qui ne voulait pas les reconnaitre !!!!

    C’est le « deux poids -deux mesures » de certains syndicats ! Et en plus ces jeunes militaires étaient encore moins bien considérés que certains « fonctionnaires »...


  • Sam (---.---.61.196) 6 février 2007 19:15

    Article très interessant.

    Comme quoi la politique passe par des petits coups de griffes cherchant à passer inaperçus.

    Les fonctionnaires ne peuvent attendre de se gouvernement Chirac qui a passé son temps à les dénigrer et leur ôter de maigres droits.

    C’est donc dans l’optique de charreter à la pelle les têtus ayant gardés le statut dans les entreprises publiques privatisées.

    C’est également pour hausser le niveau de sanctions contre les récalcitrants aux ordres des petits chefs, dans l’ensemble de la fonction publique, que cete loi est sans doute pondue. L’auteur le fait justement remarquer. Ainsi, pour respecter les normes de l’UE, le service public déjà exsangue verra se multiplier les coupes sombres et sans états d’âme.

    Evidemment, celà est pensé dans une perspective d’effort pour l’emploi dans notre pays, comme n’arrêtent pas de nous l’affirmer les honnêtes élites qui nous gouvernent...

    Je note le courage de nos amis socialistes qui se sont abstenus, alors qu’ils attendent les voix des fonctionnaires « godillots » pour gonfler les suffrages de la Poitevaine.


  • Muthesbest (---.---.92.205) 8 février 2007 15:29

    Je voudrais juste signaler qu’il existe des cellules de reclassement au sein de chaque régiment afin de trouver une solution au retour à la vie civile des militaires. Souvent, ces militaires qui se sont bien graissé la papatte en OP-EX(Opérations extérieures genre la Côte d’Ivoire, le Kosovo et encore, dans les endroits les moins dangereux)ne pensent en fait qu’à retaper leur cuisine équipée dont bobonne fera bon usage. Souvent, ces gens prennent la place à de jeunes diplômés tout aussi compétents voire bien plus mais qui ne sont aucunement prioritaires sur ces postes. Chaque poste dans la grande distribution est négocié par la cellule de reclassement, au cas par cas : dans la grande majorité des reclassements, la paye du désormais ex-militaire est prise en charge par la Défense durant plusieurs mois jusqu’au basculement définitif !! Si si ! Donc, l’Etat paye des salariés de la grande distrib’ parce que la grande distrib’ a accepté de les prendre. A quand des plâts sous vide made in Carrefour dans les rations de survie ? Mieux encore, cette extension du paiement des salaires permets au futur ex militaire de revenir vers sa cellule de reclassemant si le boulot ne « lui plait pas »...Alors que Sarkozy veut obliger tous les demandeurs d’emploi à prendre un taf qui ne leur plaît pas au bout de 2 refus. Moi c’est OK pour prendre un taf mais qui corresponde à mes qualifications, pas planteuse de bulbe parce que j’ai du persil sur ma fenêtre !!! Je n’ai rien contre le reclassement, ces cellules prouvent largement leur efficacité et je souhaiterais que l’ANPE sache faire de même ! Je viens d’une famille de militaire...leur étroitesse d’esprit n’a d’égal que leur appât du gain : j’en connais qui ont refusé des reclassements parce que la paye était inférieure à celle dans l’armée alors que leurs droits à leur retraite « Défense » étaient acquis et complets...va comprendre Charles !


  • non titulaire FPT (---.---.150.55) 9 février 2007 11:56

    Sujet intéressant sur la nécessaire réforme de la Fonction Publique (d’état, territoriale, hospitalière, ... ). Par petites touches celle-ci évolue avec notamment un rapprochement vers le privé sur plusieurs points.

    Il me paraît important de rappeler que, contrairement aux idées reçues, les fonctionnaires ne bénéficient pas tous d’une sécurité de l’emploi. Le nombre de non titulaires est assez important, ceux-ci dispose d’un contrat de droit public, sont soumis aux exigences de la fonction publique mais pour une durée limitée et non indéterminée.

    « Quelle signification doit-on donner à la notion de « perte involontaire d’emploi » pour des salariés bénéficiant, du fait de leur statut, de la garantie de l’emploi ? »

    - « Il n’y a, en effet, aucune raison que les agents de l’État révoqués - pour motif disciplinaire ou pour inaptitude physique au travail - ne bénéficient pas des mêmes droits que ceux des autres fonctions publiques et des salariés licenciés. »

    Effectivement les actifs des grandes institutions de l’Etat n’ont pas à se sentir concernés : la baisse du nombre de postes s’effectuera par un non renouvellement de postes plutôt que par voie de licenciement. (moins de problèmes électoraux, juridiques et financiers).

    Dans le cas de France Telecom le fonctionnariat est voué, à mon sens, à disparaître : l’Etat n’est plus majoritaire. Les salariés disposent d’une possibilité d’intégrer la fonction publique en gardant leur ancien statut, seulement y a t il les places disponibles ? L’intérêt d’une privatisation ? Pour une soi-disant concurrence dans les faits inexistante ?

    Un truc pas mal qui a été fait quand même par ce gouvernement : un salarié du privé intégrant la fonction publique bénéficie à son entrée d’une certaine ancienneté dépendant du nombre d’années déjà travaillées.


Réagir