Faire commander les Etats par les juges
La pétition dite « l’affaire du siècle » demande au ministère de la justice de condamner l'Etat pour non-respect de ses engagements en matière de climat. C'est une manifestation de l'incapacité dans laquelle nous sommes de faire société : nous ne disposons plus de récits efficaces de nos manières de faire, d'être ensemble, nous ne disposons plus de récits suffisamment admis, connus et portés par tous. Le récit qui nous baigne et nous paraît explicatif est l'idée d'un peuple uni, ayant un intérêt commun, un intérêt généreux et universel, et qui est sans cesse trompé par ses dirigeants. La démocratie et ses institutions internes ne semblent pas être comprises parfois. La séparation du pouvoir en trois ne semble plus pertinente : L'exécutif a en charge le présent, le législatif l'avenir, et la justice le passé (la réparation des « erreurs »). L'indépendance de ces trois pouvoirs est régie de façon très différente pour chacun. L'exécutif et le législatif sont soumis aux élections, c'est-à-dire émanent du peuple. La justice est une corporation, c'est-à-dire que les juges organisent la formation et la sélection des nouveaux juges. Ils bénéficient d'une « indépendance de la justice » qui ne fonctionne pas bien : très peu d'élus sont condamnés, malgré le caractère flagrant de certaines de leur malversation ; nombre de décisions de justice ne respectent pas le minimum de bon sens et suscitent souffrances et colères légitimes. À l'inverse des deux autres pouvoirs, l'insularité de la justice est une déresponsabilisation des citoyens qui exercent cette justice, c’est un outil à double tranchant, disons : coupés du monde par cette irresponsabilité, ils peuvent se croire parfaits et justement mal faire, ou bien, n'ayant rien à prouver, n’ayant pas être réélus, ils peuvent prendre des décisions difficiles et salutaires. C'est sans doute cette dernière perception qui donne forme à cette pétition contre l'Etat : les juges, eux, vont être impartiaux. Pourtant : Comment des juges qui exercent au nom du peuple français vont-ils condamner des élus qui se représentent à échéances fixes devant le même peuple français ? Conflit de légitimités. Conflit tellement basique que la démarche ne devrait même pas être initiée.
Des plaintes ont été déposées contre le président Macron, quant à la violence de la police. Extension de l’incompréhension.
Cette impossibilité structurelle n’est plus comprise. Ou alors celles et ceux qui tentent ce coup espère que cela finira par ne plus avoir court ? A force de ténacité ? A force d’usure ?
Le populisme ambiant fait qu'on ne croit plus à la pertinence de l'élection pour avoir des élus engagés comme il faut dans la vie publique. Pourquoi ne pas tenter ce pouvoir structuré tellement différemment ?
Si les juges condamnent l’Etat, cela reviendrait à centraliser les trois pouvoirs en un seul, sous un seul d’entre eux : le judiciaire (non élu).
D’autre part, la justice, combien de divisions ? On a vu récemment les juges pour enfants de Bobigny venir dire que nombre de leurs décisions n'étaient pas appliquées (par le département) ce qui rendait leur travail inutile. Il faudrait que la justice demande au pouvoir exécutif d’exécuter précisément les sanctions.
Enfin, que se passerait-il si la justice ne condamnait pas l’Etat ? Cela ne semble pas envisagé. Poser la plainte, c’est comme avoir la condamnation.
Cette pétition remporte un franc succès parce qu'elle dédouane le peuple, elle dédouane chacun, des actes qu'il pourrait poser pour diminuer l'empreinte de l'activité humaine sur la nature et la planète : c'est le principe même du jugement, celui qui juge est considéré comme sans tache, sans défaut et il donne la culpabilité et les sanctions à d'autres. Une impeccable situation de populisme ! Cette pétition contient l'idée que nos indignes dirigeants sont coupables de ne rien faire pour détruire la pollution que nous faisons tous. Ils doivent être jugés pour n'avoir pas accompli les engagements contenus dans les COP précédentes. Le peuple n'avait pas pris d'engagement et n'est pas reprochable. Chacun se place dans la toute-puissance de l'enfant. Il n'est guère étonnant que cette pétition suscite une adhésion rapide et massive. Ce n'est pas un critère de sa qualité : Il appartiendrait aux Etats de corriger les surplus polluants du peuple, de telle sorte que son bien-être n'en soit pas atteint en retour.
Les hommes ne sont pas équipés pour résoudre les problèmes qui se posent à eux ; chacun se sent victime et demande réparation de cette victimisation, c’est un effet de l’individualisme poussé à l’extrême.
Certains, peut-être conscients de l'inanité d'une telle action y voient un moyen de parler et de faire parler du problème du climat. À ceci près, que depuis plus de cent ans, nous ne manquons pas de prophètes, nous manquons de décisions et surtout, nous manquons d’une volonté collective de sobriété. Il est plus aisé d'accabler le capitalisme… ou l'oligarchie… l’Etat que de voir l'immense accord de tous à la consommation et à son augmentation constante.
C’est surtout l’engouement pour cette idée de faire juger l’Etat par un organisme d’Etat malgré inadéquation de cette démarche à la démocratie qui est frappante et doit être analysée.