Le bourrage de crânes
« Les Français préfèrent moins de fonctionnaires plutôt que des impôts en plus » (La Tribune - 7/03)
« La dépense publique (57 % du Produit Intérieur Brut) étouffe l’économie, et l’administration française manque d’efficience » (Laurence Parisot, Présidente du Medef).
Des affirmations comme celles-ci, on en entend ou on en lit chaque jour, et nos « meilleurs économistes » (ceux qui n’ont pas venu venir les crises), les répètent à l’envie, au point que le bon peuple en arrive à se poser des questions, à se demander s’il n’y aurait pas encore quelques mammouths à dégraisser dans les fonctions publiques afin que les impôts et taxes prélevés sur les ménages et les entreprises diminuent et permettent à ces dernières de « développer l’activité et l’emploi… »
Sur qui taper ?
S’agissant de la Fonction Publique d’Etat (Police, justice, éducation nationale, répression des fraudes,…) le mal est déjà fait et les mesures de rattrapage prises par le gouvernement actuel ne sont que des emplâtres.
Pour la Fonction publique hospitalière, il ne reste plus grand-chose à ronger sur l’os.
La Fonction publique territoriale semble être le seul endroit où l’on puisse gratter quelque chose, tant le système d’empilement de structures territoriales (communes, intercommunalités, Départements, Régions) a généré de doublons et de dépenses inutiles au cours des vingt dernières années.
Oui, mais voilà…
Diminuer à nouveau le périmètre d’intervention des services publics, qu’ils soient d’Etat, Hospitaliers ou locaux a des incidences, et pas seulement sur la diminution des dépenses publiques.
La première de ces incidences, et là, Madame Parisot sera ravie, est de transférer aux entreprises privées des missions jusque là assurée par des fonctionnaires, d’où augmentation de l’activité privée avec bien sûr des « créations d’emplois », et « un meilleur service assuré à un coût moindre », sauf que…sur la durée, on observe que le coût du service peut être parfois plus élevé en gestion privée qu’en gestion publique (la distribution de l’eau, par exemple, que certaines collectivités reprennent actuellement en gestion directe) et on observe que le service n’est pas toujours meilleur (exemple : de moins en moins de contrôles sur la qualité alimentaire en raison de la suppression de postes de fonctionnaires, ce qui nous conduit à des scandales comme celui des lasagnes à la viande de cheval.
La seconde incidence, c’est que le choix du transfert vers le privé se traduit par un paiement direct du service ainsi privatisé par les consommateurs de services alors que son coût était auparavant mutualisé via l’impôt payé par l’ensemble des contribuables. Par exemple, l’accueil aux urgences est payé par tous. L’Education des enfants dans l’enseignement public.
Demain, si la santé est privatisée (ce qui est déjà le cas en partie), on ne vous demandera plus de carte vitale à l’accueil des urgences, mais un chèque. Si l’Education n’est plus une mission assurée par l’Etat (les enseignants) et les collectivités territoriales (pour la construction et l’entretien des équipements), tous les parents d’élèves devront faire face à des frais de scolarité élevés (c’est déjà en partie vrai pour les établissements privés). Vous pouvez vous amuser à chercher d’autres exemples…
Vous êtes prévenus…
L’abandon de missions de service public se traduira parfois par une dégradation du service rendu, toujours par un prix facturé directement aux utilisateurs (alors que c’est la solidarité nationale qui assure aujourd’hui la péréquation), pas forcément par une baisse des prix à la consommation liée à la baisse des charges des entreprises (selon le principe : moins de fonctionnaires = moins d’impôts) et surement par la mise en difficulté de familles déjà fragilisées dans le système actuel et qui devront faire face à des charges de santé et d’éducation supplémentaires.
Le système que Madame Parisot propose donc a été théorisé depuis longtemps en droit public : « le choix entre l’usager et le contribuable dans la gestion des services publics » et il est clair que le balancier penche actuellement en défaveur de l’usager.
Mais, me direz-vous, je m’en fiche royalement…
Car je n’ai plus d’enfants scolarisés, je suis en bonne santé et je vis dans un quartier tranquille et je n’ai pas besoin d’être protégé et vous pourriez ajouter comme le regretté Jean Yanne dans un de ses sketches, « Je ne vais jamais sur les routes départementales » (sous entendu, je paye trop d’impôts au Conseil Général pour leur entretien).
C’est un point de vue !, mais rappelez vous qu’un jour ou l’autre, vous aurez besoin d’un des services publics qui existe encore (une aide personnes âgées par exemple, qui ne sera pas encore soumise aux primes versées à des assureurs), ou un de vos descendants en difficulté de santé devra faire un emprunt pour se soigner, sachant que sa maladie lui aura fait perdre son emploi et alors vous irez voir votre député pour lui demander ce qu’il peut faire.
Alors, avant de chanter en cœur avec Madame Parisot que les dépenses publiques sont trop importantes (sauf les aides aux entreprises, tout de même…) et que les impôts sont trop lourds, renseignez vous bien sur les avantages et les inconvénients de chaque système, n’hésitez pas à interpeler vos élus pour obtenir des explications et intéressez-vous à l’organisation des services publics en France et à leur financement (et à leur rationalisation, s’agissant des collectivités territoriales).
Après, il sera trop tard…