Monsieur le Président
Je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps…
Reprendre les paroles de la chanson « le déserteur » de Boris Vian au début de ce courrier répond en quelque sorte à votre phrase « chacun partage le destin des autres et chacun est appelé à décider du destin de tous : c’est cela la nation française », un peu trop optimiste à mon goût.
En effet, depuis plusieurs décennies, les notions de consentement à l’impôt et de citoyenneté se délitent, et si notre système social demeure (pour combien de temps encore ?) un des meilleurs, le système fiscal, quant à lui, avec sa myriade d’impôts, de taxes et de prélèvements avec ses cas particuliers, ses exemptions, ses dégrèvements, ses échappatoires (fraude, optimisation, niches, évasion…) le rend opaque aux yeux de bon nombre de citoyens, légitimement ulcérés par les subventions massives aux entreprises pour créer des emplois qu’elles ne créent pas.
Et puisqu’il n’y a pas de questions interdites, permettez-moi d’en évoquer quelques-unes qui ne figurent pas dans votre proposition et qui pourtant me semblent des préalables à une réflexion sur les thèmes de débat proposés.
Chacun partage le destin des autres…
L’affirmation mérite d’être clarifiée. En effet, si notre destin de mortels semble tout tracé, celui de vivants nourrit de nombreuses exceptions et ont des répercussions sur la notion de citoyenneté. Peut-on se considérer comme citoyen lorsqu’on fait tout pour se soustraire à l’impôt, lorsqu’on déserte en allant résider dans des contrées accueillantes parfois même au sein de l’Europe que vous chérissez ?
Le destin a bon dos puisqu’il bénéficie d’un fameux coup de pouce de la part des institutions politiques et de systèmes bancaires prompts, contre espèces sonnantes et trébuchantes ou par passivité, à organiser la fuite des transfuges. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, indique (article 13) : « Pour l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Où en sommes-nous aujourd’hui de ce principe ? Des artistes célèbres, des industriels, des sportifs que l’on décore généreusement de la Légion d’honneur et que l’on enterre en grandes pompes ont choisi délibérément de se soustraire à cette règle de solidarité essentielle en se domiciliant fiscalement dans d’autres pays. On appelle cela de l’optimisation, j’appelle cela de la fraude, de la fuite, de refus d’un destin commun, de la désertion. Cela ne mérite absolument pas l’engouement et les honneurs qu’on leur fait et les valeurs d’exemple qu’on leur attribue.
Il faut mettre un terme à cette mascarade qui coûte des dizaines de milliards au pays et que l’on récupère sur le dos de ceux qui restent en augmentant des taxes sous prétexte d’écologie ou en rognant sur les systèmes de protection sociale et de retraite, en affirmant que le pays n’a plus les moyens.
Avant même de répondre à la question des économies prioritaires, de l’organisation des services publics, du vote blanc ou obligatoire, c’est bien à la problématique de la citoyenneté vue sous l’angle fiscal, en particulier et s’adressant tant aux individus qu’aux entreprises, qu’elles soient françaises ou étrangères, qu’il faut réfléchir.
Il faut que chacun éprouve de la fierté d’être français que ce soit par naissance ou parce qu’il investit dans notre pays. Les étrangers naturalisés sont conviés à une cérémonie en Préfecture au cours de laquelle on leur remet leurs nouveaux papiers de citoyens français. On pourrait imaginer de même, que ceux qui ont choisi l’exil fiscal soient invités à renouveler leur appartenance au pays en y payant leurs impôts, afin de pouvoir conserver les attributs de leur nationalité que sont la carte d’électeur et la carte vitale.
Chacun partage le destin des autres (bis)
Si les lois semblent les mêmes pour tous, certaines personnes ou certaines institutions cherchent à s’exonérer du cadre commun avec son corpus législatif qui organise notre vie. Le communautarisme s’installe au vu et au su de tous, sans que cela ne suscite d’émotion démesurée de la part des pouvoirs publics et des élus, qui cherchent, au contraire, à fabriquer un lâche consensus que l’on retrouvera dans les urnes en faveur des plus accommodants.
Faute d’une majorité, certains contestent bruyamment les lois de la République en n’hésitant pas à injurier leurs initiateurs et en se constituant en groupes de pressions exigeant des obligations de résultats à des élus en quête de suffrages, en faisant de l’entrisme dans les institutions ou en cherchant à dénaturer des débats. La démocratie, ce n’est pas cela.
D’autres, au nom d’un pouvoir religieux qui serait supérieur à celui de nos institutions organisent le communautarisme et la vie à part, imposant à leur communauté des règles qui ne sont pas celles que nous avons bâties en commun. Il ne s’agit pas de montrer du doigt une religion, mais de dire que celles qui étaient directement concernées par la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat, prenant appui sur les nouveaux dogmes religieux, dans leurs grandes diversités et obédiences, ne sont pas à l’abri de vouloir reconquérir le droit de peser sur le débat public et les citoyens et mettre en terre une bonne fois pour toute la notion de laïcité.
Il est étrange de constater que la communauté des élites cherche souvent à s’affranchir d’un système éducatif public, qu’elle protège fort peu, en mettant ses enfants dans les meilleures écoles confessionnelles privées, les coupant ainsi de la vie réelle, de la mixité sociale, qu’ils découvriront (ou pas) devenus adultes, une fois au pouvoir. Ce sont les mêmes qui vivent déconnectés de la réalité et ne comprennent pas qu’il soit si difficile pour le commun des mortels de trouver un emploi alors que pour eux il suffit simplement d’ouvrir leur carnet d’adresses pour caser leurs rejetons, brillants, certes, car estampillés « meilleures écoles de la République ou du privé », le diplôme n’étant pas toujours gage de compétence.
L’ignorance et le rejet des autres se développe avec les communautés, très diverses, qu’elles soient fiscales, religieuses, géographiques ou élitaires. Elle se bâtit sur des différences, des privilèges, des exclusions quand ce n’est pas sur le racisme. Ses attributs sont l’évitement, parfois le verbe, souvent violent, les fausses informations, ou tout simplement la violence physique, lorsque que le débat n’existe plus, que la confiance n’est plus là, que les conditions sociales de ceux qui exercent cette violence sont telles qu’ils ne voient pas d’autre issue.
Il n’y a qu’une seule communauté et elle est nationale. Elle n’ignore pas les convictions des uns et des autres et leur permet d’évoluer librement dans le cadre des lois républicaines. Cependant, les communautés créées de toutes pièces, qui cherchent à s’exonérer des règles communes (parce que les dispositifs d’évitement sont tolérés) doivent être remises à leur juste place et partager le destin commun qui demande à être amélioré.
Alors voilà, Monsieur le Président, il est clair que je ne me contente pas d’un débat à minima, qui plus est serait contraint par des contingences financières intangibles. Il faut, par exemple, vraiment cerner les causes de l’abstention massive aux élections avant de débattre sur le vote blanc ou obligatoire. Il faut aussi que la justice fiscale soit érigée au rang de principe fondamental avant de parler de baisse d’impôt ou de suppression de services publics.
Ce sont les notions de citoyenneté et de communauté nationale qu’il faut repréciser clairement.
Pour autant je n’entends pas déserter le débat proposé et sa complexité. Vous trouverez ci-dessous des propositions qui, vous le constaterez, sortent parfois du cadre imposé sur certains points, propositions sur lesquelles je m’estime suffisamment compétent.
« Baisser les impôts imposerait de baisser le niveau des dépenses publiques »
Certes des économies doivent être réalisées, et des recettes nouvelles doivent également être envisagées (parfois pour remplacer des contributions obsolètes). S’agissant des économies, je pense en particulier au CICE, qui le moins que l’on puisse dire, ne donne pas les résultats escomptés puisque 240 000 € ont été dépensés par emploi crée ou préservé.
Je propose donc que l’attribution de finances publiques aux entreprises ne fasse plus l’objet d’un simple contrat moral entre le pays et ses entreprises mais fasse l’objet d’un contrat d’objectifs écrit et que les financements soient attribués en fonction des créations réelles d’emplois. Cela suppose par ailleurs que la pérennisation du CICE par le biais d’une baisse de charges définitives soit réévaluée.
L’argent économisé pourrait servir, pour partie, à rétablir les emplois aidés qui font cruellement défaut au secteur associatif, notamment, si utile à la cohésion sociale et l’éducation populaire et véritable tremplin pour les demandeurs d’emploi.
Il serait utile de revoir le barème de l’impôt sur le revenu avec la création d’une nouvelle tranche pour les revenus supérieurs et mettre de l’ordre dans les niches fiscales.
L’Impôt de solidarité sur la fortune doit être rétabli. Il s’agit d’un symbole fort pour les citoyens et sa suppression a été fortement contre-productive en matière de symbole.
La taxe d’habitation qualifiée d’injuste doit être définitivement supprimée et pour tous. La taxe sur le foncier bâti basée sur les mêmes critères obsolètes doit l’être également et remplacée par une taxe basée sur des critères objectifs (surface réelle du bien) ne pénalisant pas outre mesure les propriétaires les plus démunis. L’introduction d’une part variable basée sur le revenu protègerait cette dernière catégorie.
« L’organisation de l’Etat et des collectivités publiques »
On ne peut que constater la coupure entre les administrations centrales d’Etat et le terrain, en particulier les collectivités territoriales, c’est-à-dire qu’il faut absolument inverser la tendance à la désertification du terrain par les services de l’Etat et repenser cette présence en concertation et en partenariat avec les communes et les intercommunalités accompagnées par des financements d’Etat. S’agissant des moyens humains, les Ministères dont les effectifs sont importants et le bloc communal (communes et intercommunalités) dont les effectifs ont beaucoup augmenté contribueront à la mise en place de guichets multiservices au service des citoyens.
L’Etat doit s’interroger sur les démembrements de ses administrations que constitue la multiplication des agences dont le fonctionnement, la maîtrise de leur financement, les errements en matière de salaires et de coût de fonctionnement ont fait l’objet d’un rapport critique de l’Inspection des Finances en 2012.
L’Etat doit également s’interroger sur la privatisation de ses biens et éviter de reproduire le scandale des autoroutes concédées au privé. Il doit également s’interroger sur la nature des contrats passés avec les entreprises privées en matière de pénalités ou bien de Partenariats Publics Privés.
S’agissant des collectivités territoriales, je propose la suppression du Conseil Départemental dont les compétences fondent au fil du temps. Les compétences concernent principalement le secteur social dont le retour à l’Etat et la réattribution aux CAF permettrait, outre une meilleure maîtrise des dépenses par l’Etat, une égalité entre citoyens d’un Département à l’autre.
Les compétences résiduelles des conseils départementaux seraient attribuées aux Régions (qui gèrent déjà les lycées) concernant les collèges et les infrastructures et aux intercommunalités pour les compétences de moindre ampleur.
Il s’agirait au final de transférer les personnels opérationnels et fonctionnels aux collectivités nouvellement attributaires et de supprimer l’instance élue du Conseil Départemental, les membres de cabinet et les dépenses propres à son fonctionnement. Le pays déjà sur administré par des instances locales élues peut faire l’économie de plus de 4000 élus (sur 540 000) et par là même d’indemnités, de frais divers et variés dont la communication, les frais de bouche, les indemnités de déplacement, etc… qui ne sont pas essentielles pour la vie locale. J’estime l’économie potentielle à plus d’un Milliard d’euros par an.
Le Sénat, au rôle limité en matière législative devrait être supprimé et des assemblées citoyennes départementales issues des communes constituées pour faire le relais avec les députés et faire des propositions concrètes en matière de RIC.
« La transition écologique »
Sur ce point je demande que l’Etat qui s’est énormément désinvesti des projets de transports collectifs départementaux, régionaux et intercommunaux reprenne une place importante dans le financement de projets en sites propres (bus, tramway, métro, vélo) dont l’objectif sera de diminuer la part des déplacements en véhicule personnel. L’Etat devra se positionner en matière d’utilisation de terres agricoles nécessaires à ces projets, compte tenu notamment de l’usage polluant de pesticides sur ces terres. Il devra également se positionner de manière très claire vis-à-vis des constructeurs automobiles en accompagnant la reconversion des salariés vers d’autres activités non polluantes.
En ce qui concerne les solutions pour favoriser le changement des vieilles chaudières, l’incitation fiscale doit être conservée en lien avec la future taxe foncière (voir plus haut) et les services publics locaux nouvellement créés (voir plus haut également) formés à l’aide au diagnostic et au financement.
Bonne lecture, Monsieur le Président !