Du nouveau en économie
Sur la couverture du livre, on voit un homme en redingote, debout à l’avant d’un navire, observer la mer à travers une énorme longue-vue. Sur sa gauche, un autre navire s’éloigne. Il est facile d’imaginer que cet homme est un économiste solitaire qui scrute un horizon inconnu tandis que ses collègues s’éloignent sur une voie déjà tracée. On remarque aussi que la longue-vue sort du cadre de l’image, ce qui nous invite à sortir de notre cadre habituel de pensée.
Ce livre pourrait avoir aussi pour titre, à la manière de Bernard Maris, Anti-manuel d’économie. L’auteur est William Edwards Deming, P. D., un Américain qui fut professeur à l’université Columbia et administrateur au bureau fédéral des statistiques économiques (Bureau of the Census). Il est très célèbre au Japon, où un prix porte son nom. Ce livre a été publié aux Etats-Unis en 1994, un an après la mort de l’auteur, et sa traduction a été publiée en France en 1996. Le titre anglais est The New Economics et le titre français Du nouveau en économie.
À cette époque, Deming prévoyait déjà ce que nous observons maintenant : le déclin de l’Empire américain et le désordre de l’économie mondiale. Il commence par montrer que de mauvaises pratiques de management au niveau des entreprises comme au niveau de l’Etat provoquent des pertes économiques considérables. Ces pratiques consistent notamment à fixer des objectifs numériques sans bases sérieuses, à donner priorité aux résultats à court terme, à prendre des actions immédiates en se fiant à l’émotion plus qu’à la raison. Nous lisons par exemple : « Les rapports trimestriels exigés par la Commission fédérale du Commerce et le Service du revenu interne sont des forces malfaisantes qui obligent les dirigeants à garder un œil fixé sur le résultat financier. »
Une autre cause de ce désordre, soulignée par Deming, est de considérer les différents éléments d’un même système économique comme des centres de profit individuels et de les encourager dans cette voie. Les économistes libéraux ont tendance à croire que les gains des éléments d’un système s’ajoutent les uns aux autres, comme s’ils étaient « guidés par une main invisible » suivant la célèbre formule d’Adam Smith. L’individualisme est donc de règle. Deming explique au contraire que, dans de telles conditions, les interactions des différents éléments conduisent à la destruction du système. On comprend aujourd’hui combien il voyait juste, alors que l’on assiste en direct à l’effet domino qui secoue les banques du monde entier.
Après avoir expliqué que les pratiques de management qui déterminent le fonctionnement de l’économie ne peuvent conduire qu’à un désastre, Deming présente de nouveaux principes, fondés sur son expérience et sur la théorie des systèmes. On peut en dégager deux idées dominantes :
1. Pour conduire une personne ou un établissement sur la voie du progrès, étudier les processus et les méthodes qui permettent d’arriver au résultat escompté. Ne pas lui donner des notes assorties de promesses de récompenses et de menaces de sanction. La culture du résultat mène à une impasse.
2. Ne pas mettre en concurrence des personnes ou des établissements (sauf quand il s’agit de faire une sélection). Ne pas les classer. Les juger en fonction de leur contribution à la réalisation des objectifs du système dont ils font partie, et non pas de leurs performances individuelles.
Les considérations morales n’ont jamais fait progresser ni le management des entreprises ni l’administration. C’est lorsqu’ils se trouvent au pied du mur que les responsables acceptent de changer leurs habitudes. Ce livre ne donne pas de leçons de morale ; il présente seulement une nouvelle manière de voir les choses afin de sortir de la crise.