jeudi 25 septembre 2008 - par Céphale

Du nouveau en économie

Sur la couverture du livre, on voit un homme en redingote, debout à l’avant d’un navire, observer la mer à travers une énorme longue-vue. Sur sa gauche, un autre navire s’éloigne. Il est facile d’imaginer que cet homme est un économiste solitaire qui scrute un horizon inconnu tandis que ses collègues s’éloignent sur une voie déjà tracée. On remarque aussi que la longue-vue sort du cadre de l’image, ce qui nous invite à sortir de notre cadre habituel de pensée.

Ce livre pourrait avoir aussi pour titre, à la manière de Bernard Maris, Anti-manuel d’économie. L’auteur est William Edwards Deming, P. D., un Américain qui fut professeur à l’université Columbia et administrateur au bureau fédéral des statistiques économiques (Bureau of the Census). Il est très célèbre au Japon, où un prix porte son nom. Ce livre a été publié aux Etats-Unis en 1994, un an après la mort de l’auteur, et sa traduction a été publiée en France en 1996. Le titre anglais est The New Economics et le titre français Du nouveau en économie.

À cette époque, Deming prévoyait déjà ce que nous observons maintenant : le déclin de l’Empire américain et le désordre de l’économie mondiale. Il commence par montrer que de mauvaises pratiques de management au niveau des entreprises comme au niveau de l’Etat provoquent des pertes économiques considérables. Ces pratiques consistent notamment à fixer des objectifs numériques sans bases sérieuses, à donner priorité aux résultats à court terme, à prendre des actions immédiates en se fiant à l’émotion plus qu’à la raison. Nous lisons par exemple : « Les rapports trimestriels exigés par la Commission fédérale du Commerce et le Service du revenu interne sont des forces malfaisantes qui obligent les dirigeants à garder un œil fixé sur le résultat financier. »

Une autre cause de ce désordre, soulignée par Deming, est de considérer les différents éléments d’un même système économique comme des centres de profit individuels et de les encourager dans cette voie. Les économistes libéraux ont tendance à croire que les gains des éléments d’un système s’ajoutent les uns aux autres, comme s’ils étaient « guidés par une main invisible » suivant la célèbre formule d’Adam Smith. L’individualisme est donc de règle. Deming explique au contraire que, dans de telles conditions, les interactions des différents éléments conduisent à la destruction du système. On comprend aujourd’hui combien il voyait juste, alors que l’on assiste en direct à l’effet domino qui secoue les banques du monde entier.

Après avoir expliqué que les pratiques de management qui déterminent le fonctionnement de l’économie ne peuvent conduire qu’à un désastre, Deming présente de nouveaux principes, fondés sur son expérience et sur la théorie des systèmes. On peut en dégager deux idées dominantes :

1. Pour conduire une personne ou un établissement sur la voie du progrès, étudier les processus et les méthodes qui permettent d’arriver au résultat escompté. Ne pas lui donner des notes assorties de promesses de récompenses et de menaces de sanction. La culture du résultat mène à une impasse.

2. Ne pas mettre en concurrence des personnes ou des établissements (sauf quand il s’agit de faire une sélection). Ne pas les classer. Les juger en fonction de leur contribution à la réalisation des objectifs du système dont ils font partie, et non pas de leurs performances individuelles.

Les considérations morales n’ont jamais fait progresser ni le management des entreprises ni l’administration. C’est lorsqu’ils se trouvent au pied du mur que les responsables acceptent de changer leurs habitudes. Ce livre ne donne pas de leçons de morale ; il présente seulement une nouvelle manière de voir les choses afin de sortir de la crise.



13 réactions


  • Bernard Dugué Bernard Dugué 25 septembre 2008 10:26

    bonjour,

    si j’ai bien compris, ce livre présente ce qu’il ne faut pas faire, chiffres, rapidité, classement, bref, tout le contraire de la politique de Sarkozy


    • Gasty Gasty 25 septembre 2008 10:54

      Ah ! Je dirais " Tout ce qu’un homme d’état élu par le peuple devrait combattre", gouverner c’est prévoir. Sakozy n’est pas un homme d’état, il fait son business avec ses amis sans ce soucier du reste.


  • Céphale Céphale 25 septembre 2008 10:52

    Bonjour Bernard

    Exactement !


  • pmxr pmxr 25 septembre 2008 11:25

    wai bof ... ce n’est pas faux .. mais ca ne fait pas vraiment avancer le schmilblick, en tant que chef d’entreprise, j’ai une obligation de résultat, des salaires et des charges à payer !

    La culture de l’individualisme est hélas de mise depuis longtemps, on le voit même dans notre systeme scolaire, on l’on encourage nos bambins à développer leur égo !

    Il faudrait revenir à la valeur travail tout simplement, mais j’ai bien peur qu’il soit déjà trop tard. Nos gouvernements successifs ont basé la croissance de notre économie sur la consommation depuis bien longtemps. La chine n’est pas une démocratie, ni un paradis, soit , mais c’est bien à travers le travail que le niveau de vie s’est amélorié, pas a bouffer des pop-corns devant une poste de TV (made iin china).

    Fabriquer de l’argent avec de l’argent a ses limites ... nous y sommes !
    Domage !


  • tmd 25 septembre 2008 12:50

    Les deux idées principales correspondent exactement à ce qui est appliqué dans l’Éducation nationale.

    D’une part au niveau des élèves, à qui ont hésite à donner des notes, que l’on "accompagne dans ses processus d’apprentissage". Quant-à effectuer un classement ...

    D’autre part au niveau des enseignants, sans aucun objectif de résultats, ni aucune sanction, avec en plus la carte scolaire qui supprime toute concurrence entre établissements.

    Le classement de la France dans les tests OCDE nous montrent où 25 ans de cette gestion nous ont mené.


    • Eloi Eloi 25 septembre 2008 19:54

      C’est très intéressant ce que vous dites

      Néanmoins convenez qu’une note n’a de l’intérêt que si elle sert à :
      * révéler de manière relative quels sont les points forts d’un élèvre (trouver sa voie)
      * établir des seuils de travail ou de talent nécessaire pour obtenir ce que l’élève veut faire (un objectif pour cet voie)
      * permettre à l’élève d’évaluer sa progression (quantifier la distance à la voie)

      Si une note ne sert qu’à :
      * se vanter de ses bonnes notes auprès des autres élèves (classement)
      * sélectionner les "bons" et les "mauvais" (voie imposée)
      * faire de la publicité pour un établissement

      Vous imaginez tous les effets pervers de ce système

      Rien contre les notes, mais il faut qu’elles aient un objectif qui permettent le développement personnel de l’individu et de se placer dans la société par rapport à ses avis. Notez d’ailleurs que ce principe ne remet nullement en cause la sélection.


    • Eloi Eloi 25 septembre 2008 19:55

      par rapport à ses envies (sa voie)


    • Céphale Céphale 25 septembre 2008 20:15

      @Eloi

      Je souscris à 100% à vos remarques. Je n’ai pas écrit "Ne pas lui donner de notes" mais "Ne pas lui donner des notes assorties de promesses..." et ça change tout.

      D’ailleurs ce n’est pas de moi, mais de Deming.

      Votre dernier paragraphe me paraît très important :

       Rien contre les notes, mais il faut qu’elles aient un objectif qui permettent le développement personnel de l’individu et de se placer dans la société par rapport à ses avis. Notez d’ailleurs que ce principe ne remet nullement en cause la sélection.

      Cordialement


    • Eloi Eloi 25 septembre 2008 20:25

      @ l’auteur

      je réagissais essentiellement au commentaire de TMD
      Quoi qu’il en soit, cela nous permet de clarifier nos opinions respectifs, ce qui n’est pas plus mal smiley

      Merci pour votre article (on oublie trop souvent de le dire)


  • goc goc 25 septembre 2008 19:28

    N’empeche ce dessin, on pourrait l’utiliser actuellement en faisant juste une petite modification

    1 - mettre la longue vue à l’envers, inscrire "Titanic" sur le bateau

    2 - faire dire à l’economiste : "pas de panique, l’iceberg est encore loin"

     smiley smiley

    1000 excuses pour ce detournement, qui n’a rien a voir avec la qualité du livre


  • Eloi Eloi 25 septembre 2008 20:06

    De manière plus générale, ne pourrions-nous pas avancer que les notes, les évaluations diverses et variées, c’est à dire juger un individu sur des critères prédéfinis, ne peuvent que servir à évaluer la part mécanique du travail d’un être humain ? Pour la partie plus humaine du travail, plus "artistique" (au sens large, les "Arts’, le talent) il semble difficile de définir un critère objectif

    Paradoxalement, dans nos sociétés occidentales, la part mécanique a tendance à disparaître justement par la "mécanisation". Le part dont nous avons le plus besoin est celle du talent. Que nous ne ciblons absoulement par nos méthodes d’évaluation scientifique (production, psychologie, tests de personnalité). Ne pourrions nous pas y voir comme une raison à notre perte de vitesse ?

    Si nous sélectionnons les gens par des manières qui ne sont pas adaptées à leur travail, cela pourrait expliquer beaucoup de chose...


    PS : si nous voulons éliminer la part rébarbative (mécanique) du travail humain, et que nous en avons les moyens techniques, c’est notre choix en tant que société, même si cela nous conduit à un surcoût, nous avons le droit de nous protéger des "esclaves" qui nous remplacent. Nous sommes libres en tant que peuple, nous sommes souverains, ne laissons pas des doctrines dicter notre comportement...


    • Eloi Eloi 25 septembre 2008 20:27

      Que nous ne ciblons absolement pas par...

      (pourtant je n’avais pas de mauvaises notes :-P)


  • Céphale Céphale 28 septembre 2008 22:57

    Petite rectification.

    Au début de l’article, on lit : William Edwards Deming, P. D.

    Il fallait lire : Ph.D. (Philosophy Doctor). Ce sont des initiales qu’on voit souvent sur les cartes de visite des universitaires américains. Deming a obtenu son doctorat à l’Université de Yale en 1927. Le sujet de sa thèse portait sur la physique mathématique. 


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