jeudi 16 février 2006 - par Pierre Bilger

Exubérance irrationnelle ?

Notre époque est celle des « bulles ». « Bulle » immobilière, « bulle » Internet, « bulle » financière... et j’en passe. Et puis il y a aussi la « bulle » des hautes rémunérations. Celles des dirigeants des sociétés cotées, grandeur et servitude de leur condition, sont les seules dont nous pouvons avoir connaissance avec de plus en plus de précisions et de détails, au fur et à mesure que les obligations de publication, mises en place à partir de 2002, rentrent dans les faits.
Alors que les informations relatives à l’année 2005 vont commencer à devenir disponibles, www.pdgceo.com, ce site -qui s’est fixé pour unique ambition de les rendre accessibles à chacun de manière objective, claire et commode sans porter aucun jugement de valeur ni s’engager dans aucune polémique- a mis en ligne des statistiques globales particulièrement éclairantes, extraites de sa base de données, portant pour le moment sur les sociétés du SBF 120, qui incluent par définition celles du CAC 40, et relatives aux trois années 2002, 2003 et 2004.

Un premier constat, qui peut surprendre, résulte de ces chiffres. C’est celui de la rapidité du renouvellement de la population des administrateurs et des exécutifs. Sur les 1003 administrateurs du SBF 120 en fonction en 2004, seuls, 54 %, à peine plus de la moitié, l’étaient déjà deux ans auparavant, en 2002, tandis que 18% ont été nommés en 2003, et 28% l’ont été au cours de cet exercice. Pour les exécutifs, le mouvement a été moins accentué. Sur les 286 exécutifs du SBF 120 recensés en 2004, 72% étaient déjà présents en 2002, 19% ont été nommés en 2003, et 9%, en 2004.
Ce rythme, en particulier pour les administrateurs, apparaît accéléré par rapport à un cheminement « normal », et reflète sans doute la volonté des sociétés d’adapter la composition de leurs conseils d’administrations et de leurs équipes de management aux exigences renforcées du gouvernement et aux contraintes de performance des entreprises. Les données relatives à l’exercice 2005 permettront de vérifier si l’ajustement constaté a eu un caractère exceptionnel, ou s’il traduit une tendance plus permanente au renouvellement.
Les informations relatives aux rémunérations sont également éclairantes. www.pdgceo.com se refuse sagement à entrer dans des calculs consistant à globaliser rémunérations fixes ou variables, payées en cash, avec des valeurs arbitraires attribuées aux options de souscription d’actions et aux indemnités de départ, dont néanmoins tout un chacun peut prendre connaissance au cas par cas dans sa base de données.
On est néanmoins frappé de constater qu’au cours de ces trois années, le nombre de cas où l’existence ou l’attribution d’indemnités de départ ont été mentionnées est infime. Faut-il y voir les progrès qui restent à accomplir en termes de transparence, ou au contraire l’indication que ces situations, qui ont beaucoup et exagérément défrayé la chronique, sont en réalité très peu nombreuses ?
En revanche, attribuer des options de souscription d’actions est désormais devenu une pratique ordinaire. Pour le CAC 40, 27 exécutifs en avaient bénéficié en 2002, 58 en 2003 et 61, soit 92% de l’effectif, en 2004. La proportion est à la fois un peu moins importante et plus stable pour les autres sociétés du SBF 120, avec 67 bénéficiaires en 2002, 51 en 2003, et 76 en 2004.
Dans ce cas particulier, il semble, compte tenu de l’attention portée par l’Autorité des marchés financiers à cette question, que dès le départ, l’information a été largement exhaustive. Aussi les chiffres constatés traduisent-ils la montée en puissance de cet instrument de rémunération, qui n’est plus seulement le fait de quelques exceptions qui ont retenu l’attention médiatique. Il sera intéressant d’observer en 2005 si cette tendance affirmée est modifiée par l’obligation nouvelle de comptabiliser l’impact des options de souscription d’actions en charges de l’entreprise.
S’agissant des rémunérations fixes et variables payées en cash, www.pdgceo.com propose deux approches statistiques complémentaires.
D’une part la rémunération totale moyenne des exécutifs du SBF 120 en 2004 s’est établie à 716 724 euros, correspondant à 1 667 994 euros pour ceux du CAC 40, et à 431 342 euros pour ceux des autres sociétés du SBF 120.
Ce dernier montant se décompose en un fixe moyen de 282 156 euros et un variable moyen de 154 322 euros qui représente 55% du précédent. Ces montants peuvent difficilement être qualifiés d’excessifs pour des sociétés dont le chiffre d’affaires moyen s’est établi en 2004 à 2 798 millions d’euros, le résultat net moyen, à 103 millions d’euros et l’effectif moyen, à 17 520 personnes.
Les montants moyens relatifs aux exécutifs du CAC 40 sont évidemment plus élevés : 1 667 994 euros pour la rémunération totale, dont 758 628 euros pour le fixe moyen et 943 606 euros pour le variable moyen, soit 124% du précédent. Mais le rapprochement avec la taille des entreprises concernées en relativise également la portée : 24 423 millions d’euros pour le chiffre d’affaires, 1391 millions d’euros pour le résultat net et 100 578 personnes pour l’effectif moyen.
Si le montant moyen des rémunérations fixes et variables en 2004 peut être jugé raisonnable dans l’absolu, l’évolution constatée entre 2002 et 2004 justifie davantage d’interrogations. Seule la rémunération totale moyenne peut être prise en compte pour une telle analyse, le nombre de sociétés qui n’ont pas ventilé la rémunération publiée entre part fixe et variable demeurant encore trop important (respectivement 50, 29 et 30 pour chacune des trois années au titre du SBF 120).
S’agissant du SBF 120, après avoir baissé de 3,5% en 2003, la rémunération totale moyenne a ainsi augmenté de 16% en 2004. La baisse de 2003 résulte cependant intégralement de celle qui a affecté à hauteur de 8,5% les autres sociétés du SBF 120, tandis que celles du CAC 40 avaient déjà enregistré une hausse de 6% en 2003, avant de progresser à nouveau de 21% en 2004. Les résultats des sociétés, meilleurs en 2004 qu’en 2003, peuvent, à travers leur impact sur la rémunération variable, expliquer cette tendance.
On peut aussi se demander si ce qui peut s’apparenter à une autre forme « d’exubérance irrationnelle », pour reprendre l’expression d’Alan Greenspan, désormais entrée dans la légende, ne constitue pas un effet pervers de la transparence. Dans cette population relativement étroite des dirigeants des sociétés cotées, chacun peut désormais se comparer aux autres, et les comités de rémunération ne peuvent pas ignorer la référence à un marché désormais totalement transparent et chiffré. Si cette interprétation n’était pas dénuée de fondement, il n’est pas exclu qu’à une phase d’ajustement relativement spontanée et sauvage succède un régime de croisière plus raisonnable.
Faut-il pour encourager une telle évolution mettre en oeuvre une approche normative, s’imposant de l’extérieur aux entreprises ? Courageusement, Proxinvest , « expert du vote d’actionnaire » et « conseiller des investisseurs en matière de valeur actionnariale », s’est risqué à apporter une contribution à ce débat. Dans un communiqué du 8 février 2006, il prend clairement position : « La question de la rémunération du principal dirigeant devenant, suite à la loi Clément-Breton de juillet 2005, matière à résolution d’assemblée générale, Proxinvest considère sur cette question qu’un maximum de 120 fois le SMIC horaire corrigé des impôts devrait constituer le maximum socialement tolérable de la rémunération globale annuelle d’entrepreneurs non fondateurs. »
Ce calcul aboutit à une rémunération globale annuelle d’environ 2 millions d’euros. La base de données de www.pdgceo.com permet immédiatement de mesurer l’impact de ce plafonnement. Pour fixer les idées, au sein du SBF 120, en 2004, 34 dirigeants bénéficiaient d’une rémunération totale brute supérieure à ce montant.
Cependant Proxinvest considère que le maximum devrait être corrigé des impôts. En interprétant peut-être abusivement ce codicille comme signifiant que ce maximum doit s’apprécier hors impôts, et en simplifiant outrageusement les choses, pour aboutir à 2 000 000 euros après impôts, le maximum brut serait d’environ 3 330 000 euros. Seuls six dirigeants avaient une rémunération totale supérieure à ce montant en 2004, dont un, entrepreneur, non fondateur certes, mais héritier, qui peut espérer échapper aux fourches caudines de Proxinvest ! Bien entendu, les populations concernées seraient plus nombreuses si l’intention de Proxinvest était d’inclure, à mon avis abusivement, dans la rémunération totale prise en compte, une valorisation des options de souscription d’actions.
Si les clients de Proxinvest, parmi lesquels figurent des grands investisseurs, suivent la recommandation qui leur est faite, il y aura de belles joutes en perspective dans les assemblées générales du printemps prochain !



5 réactions


  • asmodede (---.---.155.30) 16 février 2006 14:35

    et les « bulles » papales ???? oui bon je retourne buller !!!!


  • www.jean-brice.fr (---.---.159.96) 17 février 2006 09:39

    Ces bulles ne sont que la conséquence de la politique désastreuse menée depuis trente ans environ par le monde anglo-saxon en réaction à la politique lancée par DE GAULLE et RUEFF le 4/2/65 : en supprimant tout régulateur fiable et indépendant des états, les USA et leurs acolytes ont livré le monde actuel à une mondialisation qui est en réalité une fuite en avant qui nous mène à un remake de 1929 à la puissance 10.


  • Pierre-Henri Leroy (---.---.37.197) 17 février 2006 18:02

    Merci Pierre Bilger de votre site et de votre réaction à notre position sur le montant « maximum socialement acceptable de la rémunération d’un dirigeant non fondateur » (l’adjectif final n’ouvrant pas à nos yeux droit à supplément mais constituant seulement un juste rappel de la vraie notion d’entrepreneur !). Comme vous l’avez bien lu, nous retenons très subjectivement le montant de 120 fois le SMIC après impôt soit avant impôt 240 smics sur l’hypothèse aussi tolérante que simple d’une imposition à 50% ... ceci incluant les avantages en nature, dotation de retraite sur-complémentaire et la valorisation de la dotation moyenne de stock- options des trois dernières années.

    Au total, vous avez bien calculé 3,5 millions € en brut « payé » par la société hors autres cotisations. Vous avez justement mesuré que ceci situait une trentaine de dirigeants d u CAC40 hors de l’épure, ce qui n’est pas, vous vous en doutez, un pur hasard ...

    Nous avons reçu des messages de sympathie de journalistes et d’investisseurs sur cette position devenue indispensable, et aussi d’un patron (un à ce jour) et vous seriez le second et le plus autorisé.

    Ceci me conduit à vous interroger sur une question très différente : celle des puts 2011 achetés la semaine dernière par un grand patron d’une société cotée sur l’action de son groupe (cf. site de l’AMF) .

    Nous ne sommes pas de ceux qui ont souhaité durcir la transparence ou la rigueur sur les opérations des dirigeants sur leur propre titre , mais n’y-a-t-il pas ici un problème de fond ? Il est souhaitable qu’existe un marché de terme et d’options sur les titres mais est-il légitime que les dirigeants puissent vendre à terme ou acheter des puts pour couvrir les positions d’options, exerçables ou non ?

    Merci Bien à vous

    Pierre-Henri Leroy

    Proxinvest


  • annie (---.---.15.21) 21 février 2006 14:49

    espere que cette bulle immobiliere explose pour en finir et enfin pouvoir se loger correctement , vivre tout simplement car sinon les gens vont craquer et c’est le cas de le dire


  • marc (---.---.15.21) 20 juillet 2006 15:57

    faut croire qu’il t’a entendu ca pete


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