mardi 16 décembre 2008 - par
Pourtant, les résultats des fonds gérés par Bernard Madoff suscitaient des doutes depuis plusieurs années. Dès 1999, un courtier d’une entreprise concurrente, Harry Markopolos, a envoyé une lettre à la Securities and Exchange Commission. Il qualifiait ces fonds de « plus grand montage Ponzi du monde », selon des documents obtenus par le Wall Street Journal. En 2005 Markopolos affirmait « "Bernie Madoff’s returns aren’t real and if they are real, then they would almost certainly have been generated by front-running customer order flow from the broker-dealer arm of Madoff Investment Securities LLC” en clair les rendements obtenus par Mr Madoff ne sont pas réels ou bien alors sont frauduleux.
Au cœur du système il y a donc l’avidité, la recherche toujours plus effrénée du profit, au mépris des règles de prudence, de gestion des risques et du bon sens le plus basique. Au cœur du système il y a le pari que font les hommes et les institutions : si ça marche mon gain peut être immense, quasi infini, si je perds ma perte est limitée, circonscrite à ma mise initiale. Comme pour le pari pascalien qui vise à postuler l’existence de Dieu (pour simplifier : gain infini en cas de pari juste, perte finie en cas de pari infondé) la finance pascalienne est une pure spéculation – on n’insistera jamais assez sur l’étymologie de ce mot, qui est « speculus » en latin, c’est à dire miroir, la finance contemporaine est aussi une finance de miroir, de mimétisme, de comportements moutonniers – où le risque est perçu comme faible.
Pour tous les traders et banquiers de la planète, les schémas les plus osés et les plus improbables valent le coup puisqu’en dernier ressort il n’y a pas grand-chose à perdre. En cas de réussite le trader audacieux pourra prendre sa retraite à 35 ans, en cas d’échec il perdra son travail et encore pas toujours. En cas d’investissements hasardeux mais couronnés de succès la banque affichera des résultats records – ce qui est bon pour les actionnaires et les banquiers-, en cas de pertes le contribuable finira bien par payer les ardoises comme on le constate ces derniers mois.
Au fait Bernard Madoff a été libéré jeudi soir après versement d’une caution de 10 millions de dollars ; il risque une amende de 5 millions de dollars mais surtout jusqu’à 20 ans de prison.
La finance pascalienne
A chaque jour son scandale – ou sa peine. On pensait que l’affaire Kerviel constituait un sommet dans l’ordre du dévoiement du capitalisme financier et de la perte de repères et de contrôles, mais l’affaire Madoff semble repousser les limites à tous points de vue. Elle illustre et résume ce que l’on pourrait qualifier de « finance pascalienne »
Bernard Madoff, 70 ans, était un financier réputé, vu comme un innovateur et un philanthrope, figure de proue de l’establishment du secteur ; il avait notamment dirigé le NASDAQ la bourse américaine des valeurs technologiques, et siégeait à son Conseil d’Administration. La SEC, le gendarme de la bourse aux Etats-Unis, l’avait même nommé en 2000 pour siéger au sein d’un conseil consultatif et sollicitait "fréquemment" ses conseils, selon le Wall Street Journal. Dès lors sa société d’investissement Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, fondée en 1960, pouvait compter parmi ses clients les plus grandes banques de la place comme BNP Paribas ou Natixis (apparemment dans tous les « bons coups » depuis 1 an) ainsi que des particuliers aussi célèbres que Elie Wiesel ou la famille Thyssen. Et puis surtout Madoff promettait à ses clients des rendements impressionnants – on évoque couramment le chiffre de 10% par an – ce qui apparemment ne se refusait pas.
Aussi lorsque jeudi dernier un communiqué conjoint du procureur Lev Dassin et de la police fédérale américaine (FBI), annonçait la découverte d’une gigantesque fraude opérée par Madoff, c’est une nouvelle déflagration qui a secoué le monde de la finance . En effet la fraude semble porter sur plus de 50 MM de dollars (près de 40 milliards d’euros). Si le montant de la fraude paraît incroyable, le schéma en est très simple, il s’agit du schéma de Ponzi, ou fraude pyramidale, du nom de Charles Ponzi, un financier italo-américain véreux qui dans les années 20 avait trompé des milliers d’épargnants en promettant des intérêts allant jusqu’à 40% en 90 jours.
Le principe simplifié de l’escroquerie est le suivant : on attire le maximum de clients en promettant des rendements inédits et on assure ces rendements avec l’argent déposé par les nouveaux clients. Le système tient tant que les souscripteurs ne viennent pas retirer massivement leurs avoirs. Comme le dit J.K Galbraith « La spéculation survient lorsque l’imagination se fixe sur quelque chose d’apparemment nouveau dans le domaine du commerce ou de la finance », ici la nouveauté tenait au fait que des rendements incroyables étaient promis par quelqu’un de prétenduement irréprochable.
Le principe simplifié de l’escroquerie est le suivant : on attire le maximum de clients en promettant des rendements inédits et on assure ces rendements avec l’argent déposé par les nouveaux clients. Le système tient tant que les souscripteurs ne viennent pas retirer massivement leurs avoirs. Comme le dit J.K Galbraith « La spéculation survient lorsque l’imagination se fixe sur quelque chose d’apparemment nouveau dans le domaine du commerce ou de la finance », ici la nouveauté tenait au fait que des rendements incroyables étaient promis par quelqu’un de prétenduement irréprochable.
Pourtant, les résultats des fonds gérés par Bernard Madoff suscitaient des doutes depuis plusieurs années. Dès 1999, un courtier d’une entreprise concurrente, Harry Markopolos, a envoyé une lettre à la Securities and Exchange Commission. Il qualifiait ces fonds de « plus grand montage Ponzi du monde », selon des documents obtenus par le Wall Street Journal. En 2005 Markopolos affirmait « "Bernie Madoff’s returns aren’t real and if they are real, then they would almost certainly have been generated by front-running customer order flow from the broker-dealer arm of Madoff Investment Securities LLC” en clair les rendements obtenus par Mr Madoff ne sont pas réels ou bien alors sont frauduleux.
Finalement une division de la SEC aurait ouvert une enquête en 2007, mais elle n’avait manifestement pas débouché sur des mises en accusation.
Le problème pour Mr Madoff c’est qu’avec un marché boursier en forte baisse, de l’ordre de 40% (-35% pour le Dow Jones, -43% pour le Nasdaq, -43% pour le CAC 40) depuis le début de l’année il s’est probablement retrouvé face à des demandes de retrait massives de la part de ses clients, demandes qu’il n’a pas pu honorer le contraignant à dévoiler la gigantesque fraude la semaine dernière.
Comme d’habitude le discours que l’on va entendre dans les prochains jours va consister à dire qu’il s’agit d’un acte frauduleux, non représentatif, œuvre d’un homme seul, très habile… En résumé le système n’est pas en cause. Or au contraire cette affaire illustre de façon magistrale les failles du système : une personnalité au cœur de la machine, reconnue et admirée, est capable de berner tout le monde pendant des dizaines d’années, y compris les plus grandes banques de la planète… aucun contrôle – que faisaient les cabinets d’audit, les experts comptables, la SEC ? – n’a révélé le pot aux roses,… personne – les gérants de fonds, les génies des mathématiques, les dirigeants d’institutions financières - ne s’interrogeait sur des rendements défiant toute expérience et tout modèle,… en somme tant que l’argent rentrait tout le monde fermait les yeux.
Au cœur du système il y a donc l’avidité, la recherche toujours plus effrénée du profit, au mépris des règles de prudence, de gestion des risques et du bon sens le plus basique. Au cœur du système il y a le pari que font les hommes et les institutions : si ça marche mon gain peut être immense, quasi infini, si je perds ma perte est limitée, circonscrite à ma mise initiale. Comme pour le pari pascalien qui vise à postuler l’existence de Dieu (pour simplifier : gain infini en cas de pari juste, perte finie en cas de pari infondé) la finance pascalienne est une pure spéculation – on n’insistera jamais assez sur l’étymologie de ce mot, qui est « speculus » en latin, c’est à dire miroir, la finance contemporaine est aussi une finance de miroir, de mimétisme, de comportements moutonniers – où le risque est perçu comme faible.
Pour tous les traders et banquiers de la planète, les schémas les plus osés et les plus improbables valent le coup puisqu’en dernier ressort il n’y a pas grand-chose à perdre. En cas de réussite le trader audacieux pourra prendre sa retraite à 35 ans, en cas d’échec il perdra son travail et encore pas toujours. En cas d’investissements hasardeux mais couronnés de succès la banque affichera des résultats records – ce qui est bon pour les actionnaires et les banquiers-, en cas de pertes le contribuable finira bien par payer les ardoises comme on le constate ces derniers mois.
En outre la finance pascalienne comme le pari du philisophe laisse les individus et les institutions seuls face au dilemme du pari. Personne n’est là pour dire la règle, l’ordre, la loi. L’auto-régulation individuelle, pour tenter un oxymore, ça ne marche pas.
En somme tant que la perte pour les joueurs de la finance pascalienne ne sera pas très importante, ce qui reviendrait par exemple à infliger des peines de prison à ceux qui volent des milliards comme on le fait pour ceux qui volent des voitures ou cambriolent des coffres-forts, il ne se passera rien.
Comme le dit à l’AFP un analyste souhaitant conserver l’anonymat."Il avait des positions officielles trop importantes pour ne pas inspirer confiance, tout ceci est très négatif pour l’image de Wall Street". Oui ceci est très négatif, d’autant plus que cela aura des effets bien au-delà de Wall Street, et il faut espérer que cela change enfin.
Au fait Bernard Madoff a été libéré jeudi soir après versement d’une caution de 10 millions de dollars ; il risque une amende de 5 millions de dollars mais surtout jusqu’à 20 ans de prison.