vendredi 17 juin 2005 - par Pierre Bilger

La question des hautes rémunérations (4) : Transparence

Alors que pour la généralité des salariés et des cadres dirigeants d’une entreprise, l’évaluation et la discussion, qui conduisent à décider les rémunérations, s’effectuent dans l’anonymat des négociations avec les syndicats ou dans la confidentialité d’un dialogue individuel, pour ce qui concerne les présidents directeurs généraux de sociétés cotées, la loi du 15 mai 2001 a imposé la transparence.
Depuis lors un rapport, accessible au public, doit rendre compte de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés, durant l’exercice, à chaque mandataire social et indique également le montant des rémunérations et des avantages de toute nature que chacun de ces mandataires a reçu durant l’exercice de la part des sociétés contrôlées.
Au vu des expériences récentes, la Commission des Lois de l’Asssemblée Nationale a considéré que cette disposition n’était pas suffisamment claire. D’ailleurs dans Les Echos du 6 juin 2005, Daniel Bouton, président directeur de la Société Générale et auteur du rapport dit Bouton, tout en relevant que l’intervention du législateur était la moins bonne des méthodes, ne reconnaissait-il pas que Nous avons probablement commis l’erreur de ne pas préciser, dans le rapport Bouton fin 2002, que tous les éléments accessoires et notamment les primes de retraite faisaient partie de la rémunération, et qu’ils devaient à ce titre être rendus publics.
Ainsi, à l’initiative de son président, Pascal Clément, devenu depuis lors Garde des Sceaux, un amendement au projet de loi Confiance et modernisation de l’économie est actuellement en cours de discussion. Ce texte complète le précédent en précisant le contenu du rapport : Ce rapport distingue et détaille les éléments fixes, variables et exceptionnels composant ces rémunérations et avantages ainsi que les critères en application desquels ils ont été calculés ou les circonstances en vertu desquelles ils ont été décidés. Il indique également les engagements de toutes natures, pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux, correspondant à des avantages ou éléments de rémunération dus ou susceptibles d’être dus consécutivement ou postérieurement à la cessation ou au changement de leurs fonctions. L’information donnée à ce titre doit préciser les modalités de détermination de ces engagements et, le cas échéant, le montant annuel susceptible d’être versé à chaque mandataire.
Le texte prévoit en outre une sanction en cas de non-respect : Les versements effectués et les engagements pris sans respecter les dispositions du présent alinéa peuvent être annulés. Dans ce cas, les rémunérations déjà perçues doivent être restituées.
Il impose enfin que les commissaires aux comptes attestent spécialement l’exactitude et la sincérité des informations concernées.
Même si revenir en arrière sur la transparence imposée par la loi de 2001 serait à la fois impossible et inopportun, on peut s’interroger sur l’équité d’une démarche qui impose à la seule catégorie des mandataires sociaux ou, pour faire simple, des présidents directeurs généraux de sociétés, d’ailleurs qu’elles soient cotées ou non, de publier leurs rémunérations. Certes, de facto et par des mécanismes divers, le public est en état de prendre connaissance des rémunérations des membres du gouvernement, des parlementaires, des membres du conseil constitutionnel et de quelques très hauts-fonctionnaires. Mais l’opprobre qui est attachée aux écarts, associés à l’économie de marché, entre les salaires les plus faibles et les rémunérations les plus élevées, se concentre sur cette catégorie très particulière alors que chacun sait qu’elle est loin d’être la seule à bénéficier dans notre société de situations financières privilégiées dont la légitimité ou l’illégitimité n’est pas toujours de nature très différente.
Il n’est sans doute pas nécessaire de s’interroger davantage sur cette singularité tant la démocratie actionnariale d’inspiration anglosaxonne la rend irréversible. Pour autant limiter l’obligation aux sociétés cotées en bourse pourrait être envisagé et, pour ce qui me concerne, me paraîtrait légitime. Mais le caractère discriminatoire de cette obligation de publicité devrait suggérer à tous ceux qui relaient ces informations, notamment dans les médias, un souci scrupuleux d’exactitude et de précision pour éviter qu’elle ne s’accompagne d’approximations et de déformations, particulièrement dommageables quand elles peuvent impacter le regard qui est porté, notamment mais pas seulement par leur entourage direct ou indirect, sur des personnes et des familles.
C’est cette même considération qui me fait soutenir les quatre novations qui seraient introduites par l’amendement Clément s’il était en définitive adopté : exhaustivité des informations publiées, motivation des décisions, attestation par les commissaires aux comptes de leur rectitude et sanction de restitution en cas de non publication. Ces éléments me paraissent d’autant plus de nature à encadrer convenablement la délivrance de l’information qu’elles ne font que traduire juridiquement les idées que j’avais développées à ce sujet au cours de mon audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2003 et que j’avais ensuite complétées dans mon livre Quatre millions d’euros Le prix de ma liberté. La rédaction finale devrait cependant éviter qu’un président directeur général ne soit pénalisé par un défaut ou une insuffisance de publication dont son successeur serait responsable. Le cas n’est pas théorique ; l’expérience récente l’a montré.
Au-delà de ce détail et sur le fond, il me semble en effet qu’à partir du moment où la transparence est devenue la règle, la logique et le bon sens imposent que les informations publiées soient exhaustives. Ma propre expérience le confirme. Il aurait mieux valu pour moi qu’en 1998, bien que ce n’était pas obligatoire, l’entreprise publie dans le rapport annuel le détail de la décision du conseil d’administration d’Alstom de m’appliquer, en tant que président directeur général de cette nouvelle société cotée, les dispositions en cas de départ dont je bénéficiais antérieurement en tant que salarié et patron de Gec Alsthom, le prédécesseur d’Alstom. Cette publication n’aurait pas évité la polémique quand j’ai quitté mes fonctions, mais je suis convaincu qu’elle l’aurait atténuée.
De même, dans mon cas comme dans beaucoup d’autres postérieurs, il me semble que les décisions de rémunération, sur quelque élément qu’elles portent, ne peuvent être jetées en pâture au public sans qu’elles soient soigneusement motivées par ceux qui les ont prises, c’est-à-dire le conseil d’administration sur proposition du comité des rémunérations quand il y en a un.
Certains m’ont dit, cyniques, que ma proposition était naïve, car, soutenaient-ils, de telles décisions sont impossibles à motiver devant l’opinion. A quoi je rétorque que, si tel est le cas, il ne faut pas les prendre et surtout je tiens que, derrière toute décision, il y a ou il doit y avoir un raisonnement. De même que je me sentais capable de justifier face à mes collaborateurs les décisions de rémunération que je prenais à leur endroit, de même je crois les conseils d’administration en état de formaliser leur jugement sur la performance du chef d’entreprise et sur les conditions de marché qui les ont déterminés. Cette exigence a évidemment une double vertu, celle de protéger le chef d’entreprise dont on ne peut pas attendre qu’il justifie lui-même sa propre rémunération et celle d’inciter les instances concernées à faire preuve de mesure et de discernement dans leurs décisions.
La certification par les commissaires aux comptes et la sanction en cas de non publication sont enfin des corollaires indispensables pour garantir la rigueur et la sincérité indispensables.
On peut regretter qu’il faille à nouveau une modification législative pour arriver à ce résultat. On aurait pu imaginer que l’autorégulation des entreprises, le cas échéant, soutenue par les autorités de marché, suffise. Mais tel n’a pas été le cas. L’initiative législative paraît donc légitime.

Prochaine note : (5) Décision



1 réactions


  • jules (---.---.70.28) 18 juin 2005 12:52

    La publicité des rémunérations dans les sociétés cotées se justifie par deux considérations principales.

    - Dans une société cotée, les titres sont librement négociables et les atteintes à la négociabilité sont prohibées. De la sorte, n’importe quelle personne est suceptible de devenir actionnaire. Il est donc cohérent que le public soit en mesure de juger de la situation financière de cette dernière et des rémunérations de l’équipe dirigeante.

    - Ce d’autant que la rémunération des Présidents du Conseil d’adminsitration et de la direction générale est fixée par le Conseil d’administration, et non par la communauté des actionnaires. Cette seule considération justifie que la rémunération soit assortie de mesures qui en organise la publicité.

    Naturellement, on pourrait estimer que la rémunération des dirigeant peut être fixée, ex ante, sur proposition du Conseil d’administration, par l’assemblée générale. En France, où les administrateurs forment une catégorie réduite de personne qui se partagent les fonctions sociales, par la voie des participations croisées, on peut comprendre que la suspicion s’impose.

    J’en veux du reste pour exemple le compromis litigieux passé entre des administrateurs de Vivendi Universal et son Président d’alors, au mépris des règles de droit français, et qui témoigne, tout de même, d’un certain irrespect de la communauté des actionnaires, et de l’intérêt social.


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