lundi 7 juillet 2014 - par Eliane Jacquot

LA SNCM, ou la chronique d’un naufrage annoncé 

L’État français détient directement ( 25%) et indirectement par l'intermédiaire de la Caisse des Dépôts (33%), la majorité du capital de la SNCM(1) Veolia Transdev, actionnaire à 66% étant une filiale commune et à parts égales de Veolia et de la Caisse des Dépôts. Dans ce contexte, il devrait assumer ses responsabilités de garant de la continuité territoriale à l'égard de la Corse.

Voici à présent 13 jours qu'une grève a été engagée par les officiers, les sédentaires et les marins de la compagnie, face à l'attitude désinvolte du gouvernement, soutenu par le président de la Collectivité Territoriale Corse, député de la majorité présidentielle, et partisan d'un rapide dépôt de bilan de la SNCM .

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Navire Casanova

La Privatisation et l'entrée de Veolia

C'est au mois de Mai 2006 que la SNCM a été privatisée, et l'on peut considérer l’État français comme un investisseur peu avisé, ou un « sleeping Partner »face à la récurrence des pertes d'exploitation, des cessions d'actifs et des apports en capital destinés en vain à rééquilibrer les comptes de la société, au cours d'un certain nombre d'années. C'est à ce moment là que le gouvernement De Villepin a choisi de céder ses parts non pas à un entrepreneur, mais au travers de Butler Capital Partners à un fonds d’investissement spécialisé dans l'apport de capitaux aux entreprises en difficulté, qui a pu ainsi réaliser une plus-value de 60 Millions d'€ en cédant ses parts à Veolia,dès 2009, ce dernier portant sa participation à 66% du capital, par l'intermédiaire de sa filiale Transdev.

En guise de comparaison,en 1996, la Compagnie Générale Maritime qui, autrefois, transportait des passagers à bord de paquebots comme le Normandie ou le France, ne conserve plus qu’une activité « marchandises » lorsque le gouvernement français décide de la privatiser. C’est le projet industriel présenté par la Compagnie maritime d'affrètement (CMA)qui est retenu pour le montant dérisoire de 20 Millions de Francs ,donnant naissance au Groupe CMA-CGM,actuellement N°3 mondial et N°1 français du transport maritime par conteneurs.

L'Europe et les conditions d' une situation de concurrence déloyale :

Corsica Ferries se positionne sur le marché en 2001, au moment où le cabotage s'ouvre à l'ensemble des pays de l'UE, sous pavillon italien, sa société de certification étant le RINA (celle du Costa Concordia), ses employés étant des marins croates, roumains, polonais,et son holding de contrôle étant immatriculé en Suisse.Faut-il alors s'étonner que cette dernière gagne en compétitivité,par rapport à sa concurrente, la SNCM ?

D'autre part la Commission Européenne réclame le remboursement de subventions versées entre 2002 et 2013 pour un montant de 440 millions d'€ ( soit plus ou moins 1,5 années de Chiffre d'Affaires)essentiellement au titre du renforcement de la rotation des navires au cours de la haute saison estivale, et ce, après avoir officiellement donné son accord. Le dépôt de plainte de Corsica Ferries est à l'origine des deux condamnations successives de 220 Millions d'€.

Notons qu'à ce jour, la question - cruciale pour l'avenir de la SNCM - du remboursement éventuel de tout ou partie des 440 millions d'euros réclamés par la Commission n'est toujours pas réglée. Un règlement des contentieux européens favorable à la SNCM constituerait une condition indispensable à la continuité d'exploitation de la compagnie en vue d'éviter la perspective d'une liquidation judiciaire.


Les faiblesses de l’État actionnaire

« Mensonges d’État, État passif » sont les slogans récemment relayés par les salariés qui ont consentis des efforts de productivité. En effet , 515 postes sur 2500 doivent être supprimés avant 2016. Le secrétaire d’État aux transports et Jean-Pierre Jouyet en tant que président de la Caisse des Dépôts ont validé en début d 'année un plan à long terme,garant d'un projet industriel viable : « Afin de donner à la SNCM les moyens de se redresser dans les prochains mois...L'autorisation donnée au conseil de surveillance du 18 Mars de signer une lettre d'intention pour la commande à STX de 4 navires dont 2 fermes". Et ce, avant le 30 Juin.Ces navires de nouvelle génération, garants d'un véritable projet industriel, auraient déjà du être commandés, à un chantier français de surcroît.

D'autre part, le secrétaire d’État français aux Transports et à la Mer, Frédéric Cuviller, avait proposé en début d’année : un décret concernant l'emploi des salariés sur les lignes de cabotage national devant être soumis à la réglementation du pays d'accueil, publié avant ce 30Juin, contraignant Corsica Ferries à passer sous pavillon Français, en vue de rétablir des conditions de concurrence plus équitables. Qu'en est-il ?

Enfin, Transdev, actionnaire à 66%, et désireux de se désengager au plus vite a déjà indiqué au niveau de ses comptes consolidés 2013 à propos de la la SNCM de «  cesser tout financement » et d’« accompagner toute solution de discontinuité dans le cadre d’une procédure collective appropriée ». Ceci a le mérite d'être clair.

Les déclarations du Secrétaire d’État au Transports au quotidien La Provence, le 5 Juillet prônent « la voie du redressement judiciaire pour la compagnie », rejoignant publiquement désormais la position de Veolia, et provoquant l'indignation des syndicats, qui exigent de négocier avec le premier ministre, Manuel Valls.

Il est évident que la grève actuelle, en début de la période estivale est une arme à double tranchant compte tenu de la situation de la trésorerie de la compagnie, et ce face à un ensemble de protagonistes partisans de la disparition programmée de la SNCM.

Eliane Jacquot

(1) La Société Nationale maritime Corse Méditerranée, dont le siège social est basé à Marseille, opère dans le transport des passagers, des véhicules et du fret en Méditerranée occidentale. Toute l'année, ses navires, battant pavillon français, assurent des services réguliers entre le continent français et la Corse et des liaisons internationales principalement au départ du port de Marseille. Cinq de ses navires bénéficient de la certification Qualicert pour les prestations qu'ils offrent à leurs passagers.

 



20 réactions


  • claude-michel claude-michel 7 juillet 2014 10:22

    La compagnie concurrente « Costa » donne les mêmes salaires que la SNCM..mais fait des profits...Alors y a un truc pas net avec la sncm...ou passe l’argent..Mafia Corse.. ?


    • Jeff84 13 juillet 2014 19:13

      Détourné par les salariés sous la houlette des syndicats, comme pour Seafrance. Ils encaissent au black quasiment toute la marge des produits vendus sur les bateaux, et ils vont donc couler l’entreprise de la même manière que Seafrance.


  • Spartacus Lequidam Spartacus 7 juillet 2014 10:24
    La « continuité territoriale » est une excuse stupide et bidon, sortie par des étatistes pour « justifier » une gabegie absolue de l’interventionnisme étatique et de politiciens clientélistes.
     
    La continuité territoriale  a été instaurée en 1976, bien après la création de la société, juste pour justifier les subventions qu’autre chose....

    Une entreprise commerciale fait une grande partie de son Chiffre d’’Affaire avec son image.
    Grèves des personnels, gabegies, vols et détournements dans les bateaux, même prise illicite d’un bateau comme en septembre 2005, avec GIGN pour aller le reprendre....
    Et si c’est pas le personnel de la SNCM, c’est la CGT du port de Marseille qui bloque.

    Prendre un billet de SNCM relève a prendre un billet de loto ou le gain est la possibilité de voyager pour le prix du billet.

    Même « gratos » aucun investisseur ne veut de cette compagnie....
    Laissons faire faillite cette entreprise qui nous a tous contribuables trop coûté.

    Laissons faire le marché qui a horreur du vide et si il y a un besoin à satisfaire en recréer une, voire plusieurs....

    Mais surtout que l’état ne s’en mêle pas avec notre argent. Que pas un seul centime ne parte dans une compagnie de transport d’état.
     
    Quand l’état s’en mêle, se sont les contribuables et clients qui sont pris en otage.

    Quand aux pleurnicheries d’un Holding de contrôle des concurrents en Suisse, n’est pas un argument factuel, mais juste qu’un signe de bonne gestion.
    Renault a bien sa Holding aux pays bas sans émouvoir personne...et une majorité des entreprises du CAC40 sont des investissement de capitaux étrangers.

  • pilhaouer 7 juillet 2014 10:54

    Un article intéressant et pondéré.

    ... suivi de vociférations en l’absence d’arguments.

     Un jour, comme le rapport sur la SNCF en voie de privatisation, (cf le succès de la privatisation de British Railways) à propos de Brétigny, il y aura peut-être un rapport sur Corsica Ferries ...

    « Le ferry Mega Express V avait accroché un haut fond à la sortie du port de L’Ile-Rousse (Haute-Corse) et effectué quatre voyages entre la Corse et le continent ... »

    article de Corse-Matin

    (Précision : la déchirure dans la coque n’était pas de 50 mètres, mais de 30 cm avec une éraflure de 50 m. Mais quand même ...)

    Laissons faire le marché, jusqu’au naufrage !


    • Spartacus Lequidam Spartacus 7 juillet 2014 11:02

      @phiphaouler

      Au contraire un très bon exemple de l’ignorance très intéressant et parlant !

      La privatisation des chemins de British Railway et la sécurité du privé versus public type Bretigny :

      Les chiffres existent dans le rapport officiel  Eurostat 2009

      413 accidents ferroviaires Français , contre 107 en Angleterre.
      126 morts dues au rail en France, 88 en Angleterre. 
      2 collisions de trains en France, 0 en Angleterre

      Le tout sur un trafic passagers de plus de 20% en plus !

      Cerise sur le gâteau, pour des coûts 30% inférieurs en Angleterre et une charge sur le contribuable proche de 0.

      A la vue des chiffres et des réalités, le privé fait moins chier et coûte moins cher....


    • Pyrathome Pyrathome 7 juillet 2014 19:13

      Avec Spartatroll, privatisons l’UMP.... smiley


  • dohc 7 juillet 2014 13:05

    Si on va jusqu’au bout du raisonnement :
    On prend des rafiots d’occase, on y met des marins affamés des ex-colonies, on réduit la maintenance au minimum, on enrobe le tout avec la fraude multiple ordinaire (condition de travail, taxes, anonymat...)...

    Le prix du billet diminue (pas tant que ça, d’ailleurs, faudrait pas rogner les marges), le gogo libéral (celui qui pense que sa place va lui être gardée au chaud) se réjouit, la concurrence a du bon...

    Et puis un jour le bateau coule, et cela fera 2 lignes en page intérieure d’un journal Thaïlandais...


  • ambilazaho 7 juillet 2014 17:24

    Chere Eliane, le Normandie et le France n’étaient pas à la CGM mais à la Compagnie

    Générale Transatlantique.
    Memes causes, memes effets. Pour nous, le France a été coulé par le syndicat cgt. Il a
    navigué plusieurs années sous pavillon norvégien. Aucun problème de rentabilié.
    Transmanche : 4 ferrys , personnel : 800, idem la sncm.
    A la Dreyfus, sur un porte-conteneurs de 100 m de longueur, l’équipage se compose de
    18 marins dont le Cdt qui fait le quart comme tot le monde.
    Alidadement

  • stetienne stetienne 7 juillet 2014 20:11

    blablabla
    comme pour le mamouth les responsables sont les electeurs car tous ce que touchent l etat il le transforme en merde
    ils veautent umps et apres se plaignent


  • A. Nonyme A. Nonyme 7 juillet 2014 22:10

    Je voulais écrire un billet d’humeur titré « Faut-il couler la SNCM ? ». Finalement je vais m’abstenir, cet article continue très bien à faire des trous dans la coque de cette compagnie pourrie jusqu’à la moëlle.

    Petit rappel des chiffres :
    - 2 500 salariés
    - 68 millions de pertes en 2013 (estimation, car les comptes ne sont pas publiés !)
    - 250 millions de pertes depuis 2001
    - les lignes de Nice et Toulon dont les recettes ne payent même pas le fioul des bateaux
    - une dégringolade chronique du nombre de passagers
    - 47 jours de grève en 2011, 245 traversées supprimées ; 16 jours de grève en 2104 (work in progress !)
    - 3 fois plus de personnel que ses 2 principaux concurrents
    - des salaires très élevés (2 288 euros nets pour un serveur, 3 800 euros nets pour un assistant chef de cuisine) pour un ratio de 1 jour travaillé pour 1,1 jour non travaillé !
    - 19 délégués syndicaux et personnels sans affectation
    - des non navigants payés au même titre que les navigants
    - des subventions abyssales payées par nos impôts...

    Alors que le gouvernement semble prendre pour une fois une décision pas trop naze (dépot de bilan), je milite plutôt pour une solution plus radicale : la liquidation ! Car quel repreneur serait intéressé par cette pétaudière, avec une épée de Damoclès de 440 millions à rembourser à l’Europe, et la certitude de ne pas pouvoir assurer toutes les rotations prévues ?...

    Les dernières de nos amis du Cancer Généralisé du Travail : exiger de l’état sa promesse (imbécile) de commander 4 nouveaux bateaux (pour perdre 4 fois plus ?) et faire aligner les compagnies concurrentes sur les contraintes maisons. Quitte à couler, embarquons tout le monde !


    • A. Nonyme A. Nonyme 7 juillet 2014 23:08

      Rien de tout ça Sampié. Et ne mélange pas tout STP. Si la SNCM coule, je te fiche mon billet qu’il n’y aura pas de problème de traversées. La nature a horreur du vide.

      Mais si tu veux disgresser, allons-y. Combien d’entreprises en faillite à cause des grèves répétées de la SNCM ? Quelles pertes pour les économies corses et marseillaises ? Combien d’hôteliers, de restaurateurs corses pendus avant la fin de la saison ? Combien de licenciés collatéraux à cause d’une poignée de connards défendant leur chapelle moisie ?

      Tu milites ? :)


  • poubellelavie poubellelavie 7 juillet 2014 22:13

    Merci pour Marseille !

    « L’Union maritime et fluviale de Marseille Fos (UMF) qui regroupe l’ensemble des professionnels de la place maritime, demande  »le rétablissement immédiat de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace public portuaire«  en rappelant que  »depuis une dizaine d’années, la liberté sur le port de Marseille avait toujours été garantie par la puissance publique dans de pareilles circonstances« .

    Et d’expliquer que  »l’abandon de cette règle fondamentale serait un très mauvais signal envoyé aux clients du port« . L’UMF rappelle que depuis le début de la grève, le Grand port maritime a perdu 30 000 passagers sur ses lignes régulières vers la Corse et le Maghreb, auxquels s’ajoutent 45 400 croisiéristes, conséquence du déroutement de 18 paquebots. Quant à la perte globale de cette activité croisières pour l’économie locale, elle s’élèverait, toujours selon l’UMF, environ 7 millions d’euros. »


  • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 8 juillet 2014 16:29

    Je remercie toutes celles et ceux qui ont bien voulu lire cette contribution.

    Pour aller plus loin dans l’approche que j’ai choisie à propos du devenir de cette compagnie maritime, je conseille le lien suivant(savoureux) :

    http://alainverdi.tumblr.com/post/86981735198/sncm-derniere-tempete-avant-naufrage-le-plan


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