2007 : le climat aura-t-il sa place dans le débat politique ?
L’agitation et les manoeuvres auxquelles on assiste depuis quelques mois sont l’indice que la classe politique n’a pas foncièrement changé d’attitude, les grands desseins seront au rendez-vous, ne seront pas ceux de la Nation, mais bien ceux des candidats. Les thèmes favoris seront l’emploi, la violence, la retraite, la dette, l’âge du capitaine, sujets fondamentaux dans une société nombriliste incapable de se projeter, à l’image des édiles, au-delà de quelques années, la fin du prêt pour la berline dans le garage pour les uns, les prochaines échéances électorales pour les autres. Caricatural, pensez-vous ?
Un sondage réalisé par l’Ifop (1) les 8 et 9 décembre 2005 auprès de 959 personnes révèle que les attentes des Français ne changent pas : 48% attendent une réduction du chômage, 17% souhaitent la lutte contre l’insécurité, 11% la diminution de la dette publique et 9% un effort en faveur de la protection de la nature.
Parmi ces 9% de Français qui placent en premier la protection de l’environnement (et les 26% qui la citent parmi leurs priorités), combien sont prêts à accepter de véritables mesures pour lutter contre le réchauffement climatique et ce qui s’annonce comme un bouleversement irréversible et sans issue pour notre espèce ?
Toute la question est là, et c’est celle que les politiques qui ont encore les yeux ouverts devront se poser avant de proposer, à l’occasion des élections présidentielles de 2007, des mesures drastiques de réduction de nos rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Car si la France ne montre pas l’exemple, la situation est plus que désespérée, elle est perdue d’avance.
La France, avec son parc nucléaire, occupe une place à part en Europe et dans le monde, mais le débat du nucléaire est un autre débat. Par contre, cette réalité fait que la première source d’émission de CO2 sur notre territoire, ce sont les transports avec 27% des gaz à effet de serre (2), chiffre qu’on peut porter à 40% (2) si on intègre les émissions imputables aux raffineries qui produisent les carburants, à l’industrie automobiles (constructeurs, routes) et au tertiaire associé (assurances, garages...)
- La part imputable aux transports ne va cesser de croître. Sources : IFP
Le secteur du transport routier est donc celui auquel toute politique doit désormais s’attaquer si on souhaite réduire de façon significative nos rejets.
Les constructeurs automobiles font des efforts depuis de nombreuses années pour réduire la consommation des véhicules, mais dans le même temps proposent de plus en plus de véhicules qui n’ont d’autre objectif que de flatter le propriétaire. Cylindrée en hausse, berlines aux performances toujours plus élevées, pneumatiques surdimensionnés augmentant la résistance et donc la consommation, carrosseries impressionnantes que même un usage tout-terrain ne peut justifier.
Les projections en terme de rejets dans les pays industrialisés supposent une baisse des émissions dues aux transports individuels, baisse annulée par l’augmentation des émissions imputables au transport de marchandises. En fait, la courbe devrait se stabiliser malgré une augmentation du trafic. Mais cela est loin d’être satisfaisant, car nous serons loin des objectifs fixés par le protocole de Kyoto, lui-même vraisemblablement largement insuffisant pour éviter une catastrophe.
Il n’y a pas d’alternative, seules des mesures restrictives en terme de conception automobile et une démarche volontariste de l’Etat pour transférer une partie du fret de la route sur le rail peuvent avoir de réels effets.
La limitation des cylindrées et une forte taxation des véhicules très polluants.
Quel sens peut encore avoir aujourd’hui la commercialisation de véhicules dont la consommation est aussi démesurée que le sont les performances, sur un réseau routier qui est permissif en raison d’un contrôle encore trop exceptionnel ? Aucun, hormis celui d’apporter au chauffeur une image flatteuse. Notre voisin allemand, grand pourvoyeur de berlines à la sobriété douteuse, ne verrait pas d’un bon oeil une interdiction de commercialisation sur notre territoire de la quasi-totalité de sa production. Et pourtant, le transport doit redevenir ce pour quoi il a été développé : transporter des individus d’un point A à un point B, si possible dans les meilleures conditions de sécurité. La baisse de la consommation du parc automobile français ne doit pas être uniquement portée par les véhicules bas de gamme. Sinon, nous entrons dans une logique dans laquelle les privilégiés useront d’un droit de polluer que les autres leur cèderont.
L’idée pourrait être tout simplement de limiter à la construction la cylindrée, la puissance et la vitesse maximum des véhicules commercialisés en France. L’Europe le permet-elle ? La réponse est oui. Mais il faut obtenir de l’agence des Nations Unies en charge des normes des véhicules (WP 29), basée à Genève, qu’elle entérine une proposition faite par un Etat membre. Ce fut le cas avec l’adoption de la limitation de vitesse à la construction pour les poids-lourds.
Il reste à régler le problème du parc existant. Difficile évidemment d’empêcher ces véhicules de rouler. Par contre, on peut limiter les changements de propriétaire en instaurant une écotaxe perçue lors de l’établissement d’une carte grise. Si son montant est assez élevé, elle découragera ceux qui chercheront par l’achat de véhicules d’occasion la performance et l’esprit des voitures d’aujourd’hui.
Le ferroutage pour le transport de marchandise de transit.
10% environ du transport routier international sur l’axe Rhin-Rhône est un transport de transit. Il devrait atteindre 13% en 2020 (3). Cette part du trafic n’ayant aucune raison de se trouver sur la route, une politique volontariste en matière de transport pourrait la transférer sur le fer en développant les capacités d’accueil des plates-formes multimodales et pourquoi pas, en légiférant sur ce type de transports internationaux pour les obliger à utiliser cette solution. La Suisse pratique cette politique depuis de nombreuses années.
Interrogé en 1996 par mes soins sur le problème de l’encombrement des autoroutes par les camions et sur l’opportunité d’imposer le ferroutage, Pierre Pons, alors ministre des Transports, m’avait répondu : "Nous ne pouvons imposer un moyen de transport plutôt qu’un autre aux entreprises de ce secteur dans une république. Ce serait nier l’un des principes fondamentaux qui la fondent : la liberté." Vingt ans plus tard, non seulement le ferroutage n’a pas avancé d’un pouce, mais le marché du transport international est détenu par des pays où le coût social du travail est faible. Aujourd’hui, entrées et sorties de marchandises confondues, nous réalisons avec des entreprises françaises moins de la moitié du transport de marchandises (4). En moyenne, en 2003, nous exportions moins de 35% et importions moins de 30% sous immatriculation française. Imposer le fer dans ces conditions aurait un impact économique moindre qu’on peut le penser.
Ces deux propositions sont clairement à contre-courant dans une société « libérale » et matérialiste. Le rapport à l’automobile, teinté de latinité, est fort en France, particulièrement chez les jeunes. Le sport automobile a d’ailleurs sa part de responsabilité dans cette relation irraisonnable, et il est temps également de s’interroger sur le sens que ces compétitions énergivores ont aujourd’hui, alors que la pénurie en pétrole guette, alors que la lutte contre les émissions de gaz carbonique est une priorité de tous. S’attaquer au sacro-saint sport mécanique alors que les ombres de Fangio, Trintignant, Ascaris, Villeneuve, Senna, et combien d’autres encore, tués en course ou non, planent encore sur les circuits les plus mythiques, est à la limite du blasphème. Le moteur thermique, hérésie technologique (20% de rendement) et écologique doit prendre au plus tôt sa retraite. En attendant que les constructeurs nous proposent des véhicules « réellement » propres, tout cela n’a plus de sens.
Aussi, quel candidat aura le courage de nous dire la vérité en face ? Lequel imposera des mesures qui auraient dû être prises depuis des années et qui auraient évité cette situation désespérée ? Il est probable qu’aucun n’y parviendra, sauf si l’opinion publique perçoit le risque et comprend que le principe de précaution impose de considérer le pire des scénarios. D’autant que ce scénario n’est pas l’oeuvre de quelques illuminés, mais correspond bien aux conclusions d’experts internationaux reconnus.
Sources :
(1) IFOP