mardi 17 septembre 2013 - par Henry Moreigne

Triste mondialisation

Le généticien Albert Jacquard est mort. Ce grand humaniste estimait au crépuscule de sa vie, en 2009, que "Notre monde court à la catastrophe". Cette vision qu'il jugeait "réaliste" plutôt que catastrophiste rejoint celle développée par l'anthropologue et philosophe Claude Lévi-Strauss qui confiait quelques années avant de s'éteindre à l'âge de 100 ans, qu'il finissait sa vie dans un monde qu'il n'aimait pas en raison des ravages causés par l'homme sur la planète.

"Etre humaniste, ce n’est pas être confiant aveuglément en ce que font les hommes. Etre humaniste, c’est à la fois être émerveillé par le potentiel de chaque humain et lucide sur les risques qu’il court, que ce soit du fait de la nature ou du fait de l’homme lui-même. C’est encore travailler sans fin au développement de cette espèce étrange. Je crois que l’issue est possible, mais les menaces sont, me semble-t-il, trop souvent oubliées". Ces propos sont ceux d'Albert Jacquard dans les colonnes de Paris-Match en 2009.

Un des premiers livres du généticien sorti en 1978 avait un titre tout aussi éloquent : Eloge de la différence. Or, l'une des conséquences de la mondialisation telle que nous la subissons, c'est l'émergence d'une monoculture dans tous les sens du terme.

Dans son très beau livre sorti dernièrement (De Darwin à Lévi-Strauss – Odile Jacob), le paléoanthropologue Pascal Picq retrace les grandes étapes de l’évolution de l’humanité et de la planète depuis 1492, date de la découverte des Amériques et début d'une mondialisation qui a entamé la sixième grande extinction des espèces, mettant un terme à des millénaires de diversité biologique et culturelle.

La mondialisation pose la question de la relation de l'Homo Sapiens à son environnement. Une relation aussi forte que mortifère qui se caractérise par sa capacité unique d'adaptation et de nuisance. Ce poids prédominant sur l'environnement sur une période excessivement courte à l'échelle de la Terre (essentiellement de la révolution industrielle de 1859 à nos jours) a donné naissance à un terme scientifique : l'Anthropocène.

Le point commun entre Charles Darwin, Claude Lévi-Strauss et au-delà Albert Jacquard tous témoins des dévastations naturelles et culturelles en cours c'est d'avoir pris conscience du chemin funeste emprunté par l'humanité en raison de la perte de la diversité engendrée par l'expansion humaine. Or notre époque se caractérise, outre par le consumérisme et la cupidité, par un déni de réalité des conséquences de nos modes de vie alors que toutes les preuves scientifiques qui attestent du mur vers lequel nous nous dirigeons sont sur la table.

La particularité de Claude Lévi-Strauss, c'est d'avoir démontré un siècle après Darwin sur la biodiversité que la diversité culturelle est tout aussi cruciale pour l'évolution de l'homme. Claude Lévi-Strauss condamnait la disparition des langues parce que celles-ci sont chargées d'une relation au monde. "Ce qui disparaît au-delà de la langue, ce sont des connaissances de la nature, des rapports à la médecine et à la compréhension du cosmos" défendait le philosophe quand l'ethnologue relevait la perte d'une expérience différente du genre humain et le fait que "les autres peuples" ont aussi des choses à nous apprendre.

Julien Bouissou dans les colonnes du Monde du 9 septembre revient sur le recul de la diversité linguistique en Inde où près d'un quart des langues parlées sont menacées de disparition. Or ces langues qui meurent emportent avec elles des conceptions du monde singulières avec des vocabulaires uniques

Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve dit-on. Le journaliste nous apprend ainsi que Ganesh Devy, un ancien professeur de littérature anglaise, mène un combat de titan pour recenser les langues de l'ensemble du pays, et qu'il a rallié près de 3 000 bénévoles à sa cause.

Au-delà de ce beau combat, le constat est sans appel. Ces dialectes disparaissent essentiellement du fait de l'urbanisation, de la mondialisation et de son cortège de migrations qui imposent un vocabulaire nouveau, toujours plus pauvre. Non, décidément, Claude Lévi-Strauss n'aurait pas aimé ce début de XXIème siècle.



10 réactions


  • Kelimp 17 septembre 2013 09:42

    La marche de l’homo-sapiens, depuis qu’elle a commencée il y a quelques dizaines de milliers d’années est une marche continue vers sa propre destruction et malheureusement vers celle des espèces animales et végétales qui peuplent la Terre.
    Aussi, je me prend parfois à rêver que le scénario développé par Dan Brown dans son dernier roman, Inferno, se réalise : la création, par un généticien de génie, d’un « virus » qui stérilise aléatoirement une partie du genre humain pour sauver l’Humanité de son auto-destruction...
    Mais ce n’est qu’un roman !


    • Croa Croa 17 septembre 2013 10:16

      La nature suffira : L’homme a rendu la Terre malade et celle-ci nous fait une poussée de fièvre. La Terre s’en remettra mais l’homme... On ne sait pas !  smiley


  • bakerstreet bakerstreet 17 septembre 2013 13:16

    Il est vrai que la lecture de « tristes tropiques », de Levi Strauss vous donne un gout d’enchantement désanchanté. 

    Ecrit dans les années 30, l’auteur se fait l’exégète, le témoin d’un monde en train de disparaitre. 
    Trente ans qu’on vous le dit et le redit. 
    Trente, ans, que dis-je !

    Le club de Rome, ce clan d’experts, signait l’alerte de façon déjà très médiatisée à la fin des années 60.
    Au collège, c’était déjà des débats passionnés.
    Je me souviens de la catastrophe de Minamata, de la pollution du lac Erié, de la baisse de niveau du lac Tchad, des pluies acides plus tard....D’Aroun Tazieff, prétendant que tout cela n’était que de la connerie ! Qui se souvient de ce type tentant de nier l’évidence !
    Je me souviens comment ces questions étaient dans l’air du temps. 

    Il semble que nous sommes habitués à ces informations. 
    Plus rien ne nous étonne sur le front du chaos. Pour le moment il est vrai tout continue à tourner, du moins plus ou moins bien, à condition de ne pas être espagnol, grec, sans emploi, cheval roumain, platane le long du canal du midi, écolier dans la zone de Fukushima, allant à l’école avec son petit masque sur le nez, mais néanmoins portant un cartable pas trop lourd pour ses jeunes épaules. On ne peut pas dire quand même qu’on ne fait rien !

    Pour porter le cartable et le reste, les forts s’en sortent il est vrai bien mieux que les autres !
    Prenez par exemple Bernard Tapie et le frelon asiatique !
    Les petites abeilles n’ont qu’à bien se tenir et à se terrer. 
    Remarquez que les dinosaures n’ont pas survécu, alors que les mulots, en ce cachant dans un trou, ont plutôt bien résisté à la chute de cette foutue météorite. 

    Celle à venir tombe et s’écrase très lentement, et l’on pourrait croire une fois de plus qu’on va s’en sortir. D’ailleurs, on continue à s’amuser, à déboucher des bouteilles de champagne, et même à faire l’amour et la guerre, et les deux ensemble pour certains. 
    C’est ce qui vous donne ce gout de cendres dans la bouche. 

    Les gens finalement sont méchants et très bêtes ! 
    Ils méritent ce qu’il leur arrive !
    Vivement que tout s’arrête et se fige !
     En laissant la place aux musareignes et aux petits crabes et areignées qui lentement recommenceront à tisser cette toile d’areignée ! En espérant qu’un jour un imbécile ne découvre pas le feu, la roue, et tout ce qui s’ensuit !

    En attendant le pire est à venir. 
    Quand la mort sera t au rendez vous,
    Elle ne ressemblera pas à l’ankou, et son squelette trop humain. 
     Elle sera dans cette lente extinction qui ne dit pas son nom, sinon sous couvert du vocable « nouvelle technologie »
    Bientôt vous verrez qu’on renoncera définitivement à redresser un peu la barre, à se battre sur le front du feu, même si c’était pour rire, pour se donner une posture. 
    Quand l’incendie est trop important, les pompiers n’ont plus qu’à se tirer !

    Ils s’inventeront des nouvelles stratégies, des nouveaux buts, des nouveaux coupes- feu, puis des masques, des tenues adaptées aux nouvelles situations. 
    L’intelligence, c’est compendre et s’adapter, vous dira t’on, en citant le larousse. 

    Tous n’auront pas le droit de vivre, ou de survivre. 
    Ceux ci se verront en tout cas, suréquipés par la science, afin de résister. Leur corps, grâce à ses batteries, ses prothèses, et ses filtres, sera capable de résister aux pires calamités.
     
    Seront-ils encore des hommes ? 
    A partir de quelle date, seront ils devenus des machines ?
    Je crois qu’on nous volera notre mort, comme ces grands vieillards atteints de la maladie d’alzeimer, et qui sont devenus incapables de reconnaitre les leurs...
    « A partir de quel jour a t’il vraiment glissé ? »

    L’espèce humaine a encore triomphé, vous dira t’on. 
    Enfin, à vous ou à un autre. En tout cas pas à moi !
    Voilà longtemps que des gens comme moi et surement vous aussi, auront disparu : Des poètes, des rêveurs, des inutiles. 

    Seuls les frelons asiatiques continueront à tourner dans l’air !
    Avec un bruit de feraille et d’hélices !

    • gogoRat gogoRat 20 septembre 2013 11:30

      Ouf ! enfin un bon intermède poétique ... Bravo - et merci !

       Sans vraiment savoir justifier l’association d’idées cela m’a fait penser à cette citation :

      • « Les individus civilisés, ceux qui se cachent derrière la culture, l’art, la politique. .. et même la justice, c’est d’eux dont il faut se méfier. Ils portent un déguisement parfait. Mais ce sont les plus cruels. Ce sont les individus les plus dangereux sur terre. »

         Le Dernier Coyote. - Michael Connelly


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 17 septembre 2013 15:41

    Oui ,les bibliothèques brulent aussi .


    • bakerstreet bakerstreet 17 septembre 2013 19:51

      Bonjour Aita.


      Sans compter, que bien des hommes qui ne savent pas lire
      Sont tout de même de sacrés biliothèques !

  • tf1Goupie 17 septembre 2013 19:10

    Avant la mondialisation on ne connaissait pas la diversité de notre Monde et donc on n’en profitait aucunement.
    Si je veux découvrir les principales cultures sur Internet ou la télé j’en ai pour des années.

    Cet amoindrissement des cultures je ne le vois pas vraiment.

    Les challenges sont immenses certes, mais c’est la rançon du succès : depuis la mort de Malthus la population mondiale a été multipliée par 7 !
    Avant on avait peur des Dieux ou des extra-terrestres, maintenant on a peur des hommes.


  • herbe herbe 17 septembre 2013 21:02

  • epicure 18 septembre 2013 22:47

    La multiplicité des dialectes, vient d’un monde aux échanges limités, par les temps de voyage, les reliefs, fleuves etc..., d’un mode de vie où la plupart des gens vivaient dans le même village, parlaient principalement avec le même groupe de personne au long des journées etc...
    Dans ce monde là le fait d’avoir des dialectes différents à 50 km (par exemple), n’avait que peu d’incidence, sauf pour les échanges commerciaux.

    Mais voilà nous sommes dans un monde d’échanges, de déplacement, où l’on croise et côtoie des gens venant d’horizons différents. La multiplicité des dialectes devient un obstacle à la vie urbaine, et il y a forcément un processus vers des langues communes pour pouvoir communiquer entre voisin, entre collègue, pour éviter la multiplication des textes officiels etc....
    De plus certains dialectes ne sont plus adaptés à la vie moderne, car leur vocabulaire n’a pas les mots pour la décrire.

    Au final survivent en premier les langues qui servies de base à des civilisations urbaines.

    On pourrait dire qu’il y a un processus « darwinien » de sélection naturelle des langues où les plus adaptés survivent. les moins adaptées, les plus faibles dans le contexte moderne disparaissent. Après certaines politiques accélèrent le processus.

    Question : combien faut il théoriquement de traducteur pour faire communiquer 20 personnes avec des langues totalement différentes, si chaque traducteur ne connait que 2 langues ?
    réponse : 190 ( pour l’UE ils utilisent des traducteurs au moins trilingues )
    Voilà pourquoi il ne peut rester une multitude de langues dans un lieu ouvert qu’est une ville.

    Entre communication concrète des individus et l’accès à un large panel culturel dans une société moderne, et préservation du patrimoine culturel de la diversité linguistique, les besoins divergent, pire ils sont contradictoires.
    .


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