Schengen et la désunion européenne
Les priorités contradictoires sur les « flux migratoires » entament l’unité de l'UE. Le démantèlement du système Schengen n'est plus exclu.
Début 2016, le Frankfurter Allgemeine Zeitung estimait que "la fin de l'UE n'avait jamais été aussi plausible qu’aujourd'hui."
En Février, le ministre allemand des Affaires étrangères M. Frank-Walter Steinmeier a mis en garde contre la « désintégration interne » de l'UE. En Mars, le président du Parlement Européen, M. Martin Schulz (du SPD) a laissé entendre que pour lui, l’Europe était « en train de perdre ses roues. »
On a rarement entendu ce genre de chose, même pendant la période la plus aiguë de la crise de l'euro, et de tels propos mettent en évidence des différences de positionnement politico-économique entre l'Allemagne et la majorité des autres Etats de l'UE.
Depuis un certain temps, les dirigeants allemands sont confrontés à deux problèmes majeurs :
- le gouvernement prévoit une baisse de la population qui passerait de 81,5 millions de personnes à la mi-2015 à un maximum de 70 millions en 2060. Un tel déclin de la population réduit le potentiel de profit pour les entreprises ainsi que la stabilité des influences politiques. Le gouvernement fédéral a tenté de renverser cette tendance sans succès.
- l'industrie allemande souffre d’un grave manque de personnel qualifié. En Janvier 2015, dans l'espoir d'encourager l'immigration de main-d'œuvre qualifiée.
M. Ulrich Grillo, président de la Fédération des industries allemandes (BDI), a clairement indiqué : « Nous avons besoin de l'immigration. » Lorsque le nombre de réfugiés a augmenté de façon spectaculaire au cours de l'été 2015, M. Grillo a fait monter la pression. Il a souligné que de nombreux réfugiés avaient "une formation exceptionnelle. Il faut les intégrer le plus rapidement possible dans le marché du travail. Nous allons aider les réfugiés, et ainsi nous nous aiderons. » M. Grillo fondait son affirmation sur le fait qu'un grand nombre de Syriens très qualifiés de la « classe moyenne » fuyaient vers l’Allemagne. De la même façon, M.Dieter Zetsche, PDG de Daimler Corporation, a déclaré en Septembre : »ils peuvent nous aider à maintenir notre niveau de richesse, ou même à l'améliorer."
Même les démographes partageaient cet « optimisme » patronal : une étude Juillet 2015 de l'Office fédéral des migrations et des réfugiés indique que "pour maintenir son offre de travail l'Allemagne a besoin de l'immigration, entre "276 000 et 491 000 personnes par an en provenance de pays tiers. »
En même temps, l'Allemagne, qui est l'un des très rares pays à tirer profit de la crise de l'euro, est fondamentalement isolée dans l'UE en ce qui concerne la nécessité économique de l'immigration.
La France connaît un déclin économique substantielle, avec un taux de chômage de 10,5 pour cent record fin 2015 (le double du niveau allemand actuel) et n'a pas besoin de main-d'œuvre qualifiée étrangère. Alors que les pays d'Europe de l'Est font état d'une certaine pénurie de main-d'œuvre qualifiée, la plupart d'entre eux sont également confrontés à un chômage élevé des jeunes et ne souffrent pas de déficit démographique, ce qui les conduit judicieusement à donner la priorité à la formation plutôt qu’à l'immigration. Aussi, les gouvernements des états de l'est de l'UE font tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter d’accueillir des réfugiés, ce qui donne du grain à moudre aux mouvements nationalistes très actifs, et parfois xénophobes, au sein de leurs populations.
On trouve d’ailleurs la même tendance en Allemagne. Il y a eu environ 250 attaques d’abris de réfugiés dans les deux premiers mois de 2016, mais là, compte tenu de la nécessité de l'immigration pour l’industrie, ces développements ont été freinés par le gouvernement.
Au niveau de l'UE, le conflit sur la politique des réfugiés a conduit à des perturbations sévères. Le gouvernement allemand, qui est utilisé pour faire valoir ses positions à Bruxelles, a présenté son plan pour l'acceptation et la redistribution des réfugiés dans l'UE, en gagnant un avantage secondaire dans le processus : une nouvelle sympathie des milieux progressistes dans presque toute l'UE. Le dernier acte connu de la réalisation de ce plan a été le contrat passé avec la Turquie pour filtrer contre rémunération les « bon » et les « mauvais » émigrants à fournir au patronat allemand.
Le Danemark et la Suède, ainsi que l'Autriche et, surtout, les pays d'Europe du Sud-Est, ne veulent pas accueillir de réfugiés et ont commencé à renforcer leurs frontières. On assiste à une forte escalade dans le conflit autour d'un élément clé du marché intérieur de l'UE, le système Schengen de frontières ouvertes.
Les contrôles aux frontières qui affectent le transport de marchandises coûtent du temps et de l'argent. Ils augmentent le prix des exportations et de l’approvisionnement en flux tendu.
En Janvier, le président BDI Grillo et les présidents des deux autres associations industrielles importantes d’Allemagne ont déclaré que « l'activité économique transfrontalière sans entrave » est « essentielle » pour l'industrie ; plutôt que d'étanchéité des frontières nationales, l'accent devrait être mis sur "la sécurisation efficace des frontières extérieures de l'UE." Le pacte avec Erdogan répond à cette préoccupation.
L'objectif des efforts allemands est clairement de sceller la frontière gréco-turque : la « forteresse Europe » se sent capable maintenant de contrôler strictement l'immigration. D’ailleurs, la "feuille de route vers Schengen" que ministre de l'Intérieur de l'UE Dimitris Avramopoulos a présenté début de Mars prévoit bien la fixation des frontières de l'UE et les troupes côtières le long de la frontière gréco-turque.
Le projet d’Avramopoulos présente la Grèce comme la plaque tournante pour l'exécution de presque tous les aspects de la politique des réfugiés de l'U, à partir de la réception des demandes d'asile, le traitement ainsi que l'expulsion des demandeurs d'asile rejetés.
Cela permettrait l'abandon des contrôles aux frontières internes de l’UE, la réintégration des aspects économiques du facteur de localisation de Schengen et, malgré tout, pour l'Allemagne d’obtenir une augmentation de l'immigration dont ses dirigeants estiment avoir besoin.
Il suffit d’attendre pour savoir si ce plan fonctionne et si les divergences actuelles s’estompent.