Traité de Lisbonne : contre le diktat de la minorité
Dix-huit pays ont aujourd’hui ratifié le pays de Lisbonne. Un seul d’entre eux, dont la population représente 1% d’une Europe de 500 millions d’habitants l’a repoussé. On trouve pourtant parmi les militants nationalistes des personnes souhaitant cesser la ratification.

Les nationalistes font preuve aujourd’hui d’une bien étrange vision de la démocratie. Alors qu’une vaste majorité de l’Europe souhaite voir le traité de Lisbonne enter en vigueur rapidement, le choix négatif dans l’un des États membres, l’un des plus petits, devraient selon eux s’imposer à tous [1].
Cela peut peut être se comprendre de la part des nationalistes irlandais. C’est beaucoup plus incompréhensible de la part des nationalistes français qui souhaitent que le choix de notre pays soit ignoré.
Il faut dire que la cohérence n’est pas la caractéristique principale de nos adversaires. Ainsi, le leader d’extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon a fait mine de s’enthousiasmer du Non réactionnaire et conservateur qui s’est exprimé en Irlande pour tenter sans honte de le faire passer pour un Non « de gauche » (cf. Jean Quatremer : Peut-on se réjouir du « non » irlandais ?). Ce type de propos absurde ne nous fera pas oublier par exemple, alors que les propagandistes anti-européens avaient en France menti en prétendant que le traité européen de 2004 menaçait le droit à l’avortement, que leurs « camarades » irlandais ont menti en prétendant l’inverse au sujet du nouveau traité.
En réalité le seul point commun entre le vote français de 2005 et le vote irlandais de ce vendredi est que le résultat est en partie dû au faible niveau d’information du public sur les questions européennes. Cette situation, dont les responsables sont les responsables gouvernementaux, a permis aux extrémistes de mener une campagne de désinformation majeure.
Poursuivre la ratification
La seule hypothèse raisonnable aujourd’hui est la poursuite du processus de ratification et l’entrée en vigueur du traité qu’une majorité d’États membres a déjà accepté.
La seule alternative serait imposer aux Européens le catastrophique traité de Nice comme le dernier des traités. Sans doute troublé par l’annonce des résultats, le premier ministre portugais, M. Luis Amado a pourtant à Marseille évoqué cette hypothèse scandaleuse.
Il est urgent que ceux qui l’envisagent reviennent à la raison et se rendent compte que suite aux élargissements successifs qui ont de manière irresponsable abouti à une Europe à 27 dans des institutions conçues pour 6, et soumise à la règle d’une modification des traités adoptée à l’unanimité et ratifiée à l’unanimité, tolérer que 1% de Non suffise à bloquer la ratification serait décréter la fin de tout progrès pour la construction européenne.
Robert Toulemon le soulignait sur son blog : Le référendum irlandais ou la démonstration par l’absurde. Il précise : « Il est aisé de concevoir une autre procédure démocratique et respectueuse des souverainetés. La réforme serait adoptée dès lors qu’elle serait approuvée par une majorité d’États à définir (deux tiers ou trois quarts) représentant la majorité de la population de l’Union. Les pays minoritaires auraient le choix de se rallier à la majorité ou de se retirer de l’UE et de négocier un accord d’association. Si l’on souhaitait néanmoins recourir au référendum, celui-ci devrait intervenir le même jour dans tous les États membres, les citoyens étant informés des conséquences d’un éventuel vote négatif. » [2]
Il faut souligner qu’une telle proposition avait été faite lors de la Convention sur l’avenir de l’Europe mais avait été écartée du texte final, notamment sur pression des gouvernements euro-sceptiques. À deux reprises à présent, où une minorité opposée au traité impose ou tente d’imposer son diktat à la majorité, il a été démontré que l’on a eu tort de leur céder.
Le courage politique qui a manqué à l’époque doit donc être retrouvé aujourd’hui. Il faudra proposer l’entrée en vigueur du texte, éventuellement en ne l’appliquant lorsque c’est possible qu’aux États-membres l’ayant ratifié, et un texte complémentaire précisant aux électeurs irlandais que les craintes qu’une campagne de désinformation a fait naître chez eux ne sont pas justifiées, par exemple sur la question de la neutralité. Tout ceci est déjà précisé dans le traité mais le redire explicitement peut servir.
Le combat sur deux fronts des fédéralistes
Comme souvent en matière européenne, les propositions des fédéralistes s’avèrent les plus justes. Ne pas les avoir prises en compte est aujourd’hui la cause du désastre ? en raison du retard qu’il implique pour la construction européenne ? du processus Nice-Lisbonne. Il serait toutefois illusoire de croire que ces difficultés sont susceptibles d’entrainer une prise de conscience de la part de l’establishment européiste. Les fédéralistes, dans leur combat pour une Europe à la fois unie et démocratique, combattent en effet sur deux fronts.
D’un côté, les nationalistes, à droite comme à gauche. Ceux-ci entretiennent la croyance que l’humanité a vocation à demeurer cloitrée dans des États-nations et que ces derniers sont le seul cadre possible et légitime pour l’action politique et la démocratie. Les tenants de cette mythologie voient donc ? avec raison ? dans le projet européen de construction d’un droit et d’une démocratie internationale, l’antithèse de leur combat réactionnaire. De l’autre, les européistes ont compris qu’un certains nombre d’enjeux impliquent par leur nature et leur échelle une gouvernance supranationale. Ils restent toutefois prisonniers des schémas intellectuels du passé, ou défendent tout simplement leurs intérêts de gouvernants nationaux, en refusant que cette gouvernance passe par les voies démocratiques. Ce sont les tenants de l’intergouvernementalisme et souvent de l’unanimité. Contraints par les circonstances, et poussés par quelques uns de leurs collègues plus clairvoyants, ils ont dû toutefois accepter les progrès de la construction européenne, l’élection du Parlement européen et sa montée en puissance progressive… Ils jouent toutefois un rôle contre-productif aujourd’hui. En effet, en assimilant dans l’esprit des citoyens le projet européen à leur vision conservatrice issue de la culture diplomatique et non pas de la culture démocratique, ils suscitent des oppositions en partie infondées. En prétendant construire l’Europe et proposer des solutions alors qu’ils ne se payent souvent que de mots, en maintenant dans bon nombre de domaines l’unanimité et en encombrant les traités de déclarations d’intentions, ils créent un décalage fatal entre leurs promesses et les faits et par conséquent des désillusions de la part d’une population a priori plutôt sensible à la cause européenne.
Prétendre vouloir une Europe forte en ne lui octroyant que des institutions faibles : cette attitude a notamment été celle des gouvernements français successifs. C’est ce que dénonce fort à propos Sylvie Goulard dans Le Coq et la Perle.
En ne proposant comme alternative que des solutions aussi médiocres, les européistes enlisent l’Europe encore plus. En suggérant de se satisfaire des mauvais traités en vigueur actuellement ? mauvais car insuffisants au regard des enjeux ? ils ne se donnent comme perspective que des progrès par la bande, hors des traités et issus de la négociation intergouvernementale, c’est à dire à la fois peu démocratiques et moins efficaces.
Le vent du boulet qu’avait ressenti l’Europe au lendemain du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht n’avait pas suffit. Seul l’engagement et les qualités exceptionnelles du président de la Répubique de l’époque avaient permis d’éviter un premier désastre. Ses successeurs ? et leurs homologues ? n’ont pas su offrir les perspectives nécessaires pour éviter les obstacles que nous connaissons actuellement. Espérons qu’ils ne cèderont pas aux sirènes défaitistes de ceux qui veulent aujourd’hui amarrer l’Europe au corps-mort du traité de Nice et sauront innover afin que l’Europe puisse à nouveau retrouver la haute mer.
[1] avec une majorité de 53,4% soit 862 415 personnes seulement.
[2] Notons que le traité de Lisbonne prévoit le retrait de l’Union (article 50 du TUE consolidé).
Illustration : carte faisant l’état des ratifications en Europe, carte réalisée par Touteleurope.fr.
Légende de la carte :
en jaune, les pays qui ont rejeté le traité. en rouge, les pays qui ont ratifié. en orange, les pays qui ne se sont pas encore prononcés.