Après Poutine
C’est LUI le problème, nous dit-on ; après Poutine tout ira mieux. Donc il n’y a qu’à s’en débarrasser. Ou, comme il n’est qu’humain, attendre. VRAIMENT ?
C’est LUI le problème, nous dit-on ; après Poutine tout ira mieux. Donc il n’y a qu’à s’en débarrasser. Ou, comme il n’est qu’humain, attendre.
C’est comme Saddam. Sa pendaison, comme chacun sait, a résolu tous les problèmes en Irak et ailleurs, n’est-ce pas.
C’est comme Ayman al-Zawahiri. Découpé en rondelles (parait-il) sur son balcon à Kaboul, Al-Qaïda est condamnée à disparaitre. Comme chacun sait. La preuve, n’est-elle pas déjà disparue après la mort de Bin Laden ?
C’est comme Kadhafi, dont la géniale liquidation extra-judiciaire (merci Sarkozy) oblige la France au maintien de milliers de militaires au Sahel.
MAIS la Russie est d’une autre envergure. Voyons donc à quoi pourrait y mener le remplacement du chef. Plongeons dans les grandes lignes de l’Histoire de ce pays, qu’il s’appelle Russie, Union Soviétique ou l’empire des Tsars.
Son personnage politique le plus symptomatique au vingtième siècle était, sans doute, Joseph Staline. Inutile de préciser le type de régime auquel ce nom fut associé.
A fouiller l’Histoire on trouve, entre autres, Ivan le Terrible. Le régime russe de l’époque (vers 1590) est ainsi décrit par un ambassadeur britannique : « Ce gouvernement est une tyrannie pure et simple car il subordonne toutes choses à l'intérêt du prince et, cela, de la manière la plus barbare et la plus ouverte ».
Mais voilà : TOUS les tsars, ainsi que l’Union Soviétique, obéissaient peu ou prou aux mêmes principes de gouvernance. On aurait beau remonter dans l’Histoire russe aussi loin que possible (une douzaine de siècles), AUCUN régime n’y ressemblait à l’idée que nous voudrions nous faire (à tort ou à raison…) d’une démocratie occidentale actuelle.
Vue l’Histoire-géo russe il est donc puérile d’espérer une « démocratie éclairée » à Moscou à l’avenir prévisible, moyennant l’inévitable départ de Poutine. C’est dû à la nature du pays, son immensité et sa diversité ethnique et culturelle (en 1990, quinze « Républiques Socialistes Soviétiques » dont l’Ukraine, une centaine d’ethnies, le tout téléguidé par Moscou).
Tenir tout ça en paix (relative) nécessitait surtout une main de fer à Moscou. Et c’est toujours ainsi ; faute de quoi ce serait la foire d’empoigne entre régions belligérantes et des disputes territoriales entre zones tribales disposant, pour certaines, d’armes nucléaires.
Rappelons-nous de l’exemple de l’ex Yougoslavie. Pays composé de régions ethnico-culturelles à divergences profondes et animosités historiques anciennes. Proche du « rideau de fer » dès 1945, sa fragile « unité » n’était due qu’à la crainte permanente d’annexion par l’Union Soviétique.
L’affaiblissement et finalement la disparition de cette dernière au début des années 1990 a fait « sauter » le verrou de la peur.
La Yougoslavie s’est donc laissé aller à ses démons centrifuges, se scindant en plusieurs Etats qui se haïssent cordialement (cf. Serbie, Kossovo, Bosnie) et qui se livraient de guerres territoriales et démographiques, parfois génocidaires, au point d’entrainer des interventions militaires étrangères (cf. bombardements de Belgrade par l’Otan).
Et ça continue, puisque, par exemple, RIEN n’est résolu entre la Serbie et le Kossovo et la guerre en Ukraine semble rouvrir des plaies, sachant que les Serbes, comme les Russes et les Ukrainiens, sont majoritairement slaves de culture chrétienne orthodoxe.
Faute de main de fer à Moscou la Russie pourrait connaitre un sort semblable, MAIS à une échelle effrayante. Les dangers qui nous guettent tous, Russes ou non, en cas d’affaiblissement du régime central à Moscou, celui de Poutine ou un autre, sont infiniment plus graves que l’exemple Yougoslave.
Les Russes le savent. Ne laissons personne nous raconter qu’ils souhaitent, majoritairement, la chute de Poutine. Leur infliger des sanctions ne fait que cimenter leur reflexe « patriotique » qui consiste à soutenir l’unité du pays et donc le régime en place.
D’autant qu’ils ne se font pas d’illusions sur la nature du régime qui remplacerait l’actuel au Kremlin, quel qu’en soit le chef. Que cela nous plaise ou non force est de constater que le régime actuel, celui de Poutine, loin certes d’être un parangon de liberté, est LE PLUS LIBERAL (tout est relatif…) de TOUS les régimes que la Russie n’ait jamais connu. Les Russes savent ce qu’ils ont ; mais, connaissant leur pays, ils craignent ce qu’il pourrait advenir.
C’est là où le cri de cœur hystérique du pyromane sénile de Washington, Joe-la-gaffe, prononcé sur l’inflammable terrain européen (Pologne en mars 2022 !), prend toute sa gravité : "Au nom de dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir !", s’agissant de Poutine. ("For God’s sake, this man cannot remain in power.")
De quel droit ce descendant des croisés invoque-t-il « dieu » pour s’ingérer dans la gouvernance d’une puissance nucléaire, pour en appeler à la destitution du président ? Ce catholique pratiquant, se prend-il pour le prince d’un empire coloniale médiéval ? Et nous, nous prend-il pour les dégâts collatéraux ?
A-t-on jamais vu président russe appeler à la destitution de GW Bush pour avoir, en 2003, menti à la face du monde, allez savoir pourquoi, au sujet de l’Irak (ils y sont toujours embourbés) ? Celle de plusieurs présidents américains pour avoir, allez savoir pourquoi et pendant vingt ans, entrainé leurs acolytes (France comprise) dans le bourbier afghan, jusqu’à la honteuse défaite ? La destitution des trois présidents américains ayant sévit au Vietnam, allez savoir pourquoi, pour y avoir commis des crimes de guerre sans nom, toujours couronnés par une ignominieuse fuite ?
Force est de constater que les présidents russes ne parlent pas au nom de Dieu pour « conseiller » d’autres pays à changer de régime ; quitte à déclencher l’apocalypse.
Et nous autres dindons de la farce ? Suivrons-nous le pipo du vieux joueur de flute de la Maison Blanche jusqu’au précipice ?
K. Schnur Août 2022.