Barack Obama, « mon copain » qui nous veut du bien
Alors que Mc Cain ne trouvait rien de mieux que de parcourir un practice de golf en compagnie de G. Bush senior, tout en critiquant la tournée mondiale triomphale de son adversaire, Barack Obama faisait de Paris son avant-dernière étape, tout en ne consacrant au président Sarkozy qu’une poignée de minutes. Est-ce là le signe d’une quelconque volonté de renvoyer la France à son niveau de popularité auprès des citoyens américains, ou bien la simple conséquence d’un agenda débordant qui aura imposé un timing infernal au candidat démocrate à l’élection présidentielle, dont le compte à rebours s’apparente désormais à une course contre la montre ? La question est légitime, car même si le temps du candidat est compté, des choix stratégiques ont dû être arbitrés lors de l’organisation de cette tournée des grands-ducs.

Échanger autant d’amabilités en si peu de temps, contrairement aux apparences, ne fut pas une prouesse exceptionnelle pour deux politiciens de cette trempe, d’autant qu’il aura bien fallu compenser la brièveté de la rencontre par une intensité bien calculée de part et d’autre.
Alors que le président Sarkozy n’en avait que pour « son copain » Barack Obama, ce dernier de bien le lui rendre en affirmant que « l ’Américain moyen aime énormément les Français ». Propos que nous n’aurons pas grand mal à considérer comme largement exagérés tant la réalité démontre le contraire. De plus, s’il est quelques amoureux de notre « douce France » aux États-Unis, force est de constater qu’ils proviennent généralement des milieux intellectuels et artistiques, plutôt que de la classe laborieuse ou rurale du fin fond du pays, et c’est ici une constante historique.
Il n’est qu’à nous rappeler au bon souvenir de l’appel au boycott lancé à l’encontre des produits français lors du positionnement anti-guerre tenu par Jacques Chirac, et le slogan va-t-en guerre de G. Bush Junior qui s’ensuivit, « si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ». Gageons aussi que le peuple américain n’aura pas oublié le soufflet infligé à Colin Powell par Dominique de Villepin lors de son discours tenu devant le conseil de sécurité de l’ONU, ajoutant un douloureux épisode aux relations franco-américaines.
Mais revenons à nos spéculations. Alors que Berlin avait le droit à un discours déjà historique devant 200 000 fans extasiés, Paris et Sarkozy n’ont eu droit qu’à quelques heures de présence, dont une seule consacrée à un entretien avec ce dernier. Même si on peut concéder au candidat à la Maison-Blanche un agenda impossible, force est de constater que des choix ont dû s’imposer lors de la mise en place de cette tournée, et il aura bien fallu arbitrer entre une étape berlinoise soignée, et l’étape française quelque peu négligée.
C’est en partie l’histoire qui nous donne l’explication, comme le rappelle Cécile Dehesdin dans son article paru dans Le Monde. En effet, de l’épisode du pont aérien pour contrer le blocus de Berlin, en passant par la célèbre phrase prononcée par JF Kennedy « Ich bin ein Berliner », jusqu’à l’interpellation faite par R. Reagan à l’endroit de Gorbatchev l’invitant à faire tomber le mur de la honte, tous ces éléments constitutifs d’une histoire riche ont certainement pesé dans la balance lors de la mise en place de la tournée de Barack Obama. Mais on ne peut se contenter de ces justifications faisant appel à l’Histoire, même si cette mise en perspective peut avoir une certaine pertinence.
Dès lors, n’est-on pas en droit de chercher du côté de ce que peut représenter la France pour l’électeur américain moyen, un pays qui a refusé de s’allier à sa croisade guerrière en Irak. La France, ce pays qui a su tenir tête à la première puissance planétaire, certaine de son bon droit en faisant l’amalgame entre Al-Quaïda et l’Irak, alors que l’Histoire lui donnera bien évidemment tort.
N’y a-t-il pas ici comme une cicatrice encore non refermée que Barack Obama ne souhaite pas raviver, mesurant le risque encouru en termes électoraux ?
En effet, il ne fait toujours pas très bon s’afficher francophile en période de campagne électorale dans un pays qui fait à la France le reproche incessant de sa position pacifiste à l’endroit de l’Irak notamment, mais aussi de son pragmatisme concernant la menace iranienne, pays désormais désigné comme diabolique par la politique étrangère américaine.
De plus, comme le précise Olivier Esteves « Les Etats-Unis n’ont pas attendu la brouille de la crise irakienne pour voir dans la France un ennemi, un repoussoir, un anti-modèle, une nation d’arrogants et d’élitistes jamais d’accord avec le type de société proposé par les résidents de la Maison-Blanche, de Reagan à Clinton en passant par Bush père et fils » [1]. L’auteur de nous rappeler aussi l’essai de Thomas Frank Le Marché de droit divin, capitalisme sauvage et populisme de marché, qui démontre parfaitement la constante du discours anti-français appuyant un populisme parfois forcené.
Même si cela est du passé, le sénateur Obama connaît parfaitement ce discours très ancré dans l’esprit de l’électeur moyen, et sait qu’il peut resurgir à tout moment, notamment durant la période la moins opportune.
En outre, il est un autre électorat qu’il faut impérativement s’approprier pour conquérir la Maison-Blanche, celui de la communauté juive, très impliquée dans la politique du pays et particulièrement puissante en matière d’opinion publique. Dans ce sens, les déclarations faites par Barack Obama lors de sa visite en Israël n’ont fait place à aucune ambiguïté, rappelant la position ferme de la doctrine américaine dans ce domaine. De plus, il n’est pas sans savoir que les électeurs juifs de Floride sont ceux qui auront fait cruellement défaut à Al Gore lors de l’élection présidentielle de 2000 [2]. Il s’est donc empressé de rappeler la position qu’il avait déjà exprimée, durant le mois de juin, au sujet de Jérusalem « je continue à dire que Jérusalem sera la capitale d’Israël. Je l’ai déjà dit et je le dirai encore ».
Dès lors, chaque voix pouvant faire potentiellement défaut lors du décompte final, on comprend peut-être un peu mieux pourquoi le candidat Obama a fait le choix de ne pas s’éterniser à Paris, la capitale française pouvant produire un solde négatif en termes électoraux.
Il s’agit donc ici de fine stratégie électorale, et non pas d’une position de fond du candidat Obama, certainement loin d’être francophobe. Ses engagements idéologiques, plutôt proches d’une sociale démocratie à l’européenne, tout autant que son parcours, témoignent ainsi d’une ouverture d’esprit plutôt en faveur d’un réel rapprochement avec la France. Mais il faudra attendre son élection à la magistrature suprême pour que nous puissions mesurer cette réalité.
Certes, la rencontre aura été chaleureuse et intense selon les sources, plutôt convenue et discrète dirons-nous. En effet, à quatre mois de l’échéance finale, tout faux pas pouvant se payer cash, le sénateur aura joué la carte de la prudence. Il se sait évoluer sur un terrain mouvant, et ne souhaite pas s’enliser si près du but, notamment après tant d’efforts produits lors d’une campagne primaire particulièrement ardue face à son adversaire féminine. La première marche aura peut-être été la plus dure à franchir, c’est ce que l’Histoire nous dira au soir du 4 novembre 2008, épilogue de cette campagne déjà historique.
Enfin, le sénateur de l’Illinois aura su ne pas se prendre les pieds dans une tournée à l’étranger à haut risque, son adversaire n’ayant pas manqué d’essayer d’en faire un argument de poids, sans pour autant y parvenir. Aussi, en évitant soigneusement d’accorder trop d’importance à son étape française, il a effectivement esquivé le risque de se voir reprocher une francophilie incompatible avec une pêche aux voix forcément légitime.
[1] Olivier Esteves, Une histoire populaire du boycott, volume 2, édition l’Harmattan.
[2]Yediot Aharonot.
Photo : Agence Reuters/ Philippe Wojaser