Benjamin Netanyahou devant le Congrès américain
Le 24 mai 2011, le premier ministre israélien s'est exprimé de façon officielle sur la politique étrangère d'Israël. Il a préféré Washington à New York (siège des Nations Unies). Son discours fera t-il date ? Si c'est le cas, ce ne sera pas forcément pour de bonnes raisons...
On retiendra de ce début de siècle que les principaux responsables politiques occidentaux ont été des hommes sensés, souvent expérimentés, faisant parfois même preuve de hautes capacités. Mais qu'ils n'ont pas été à la hauteur des enjeux. Comme à d'autres périodes-charnières, ils ont négligé les transformations du monde qui les entourait en s'accrochant à ce qu'ils connaissaient le mieux, le passé révolu. L'attachement à des convictions dépassées, et l'illusion que les déclarations d'intention suffisent à rassurer leurs auditeurs ont compliqué plus qu'ils n'ont arrangé les affaires du monde ['Obama au Caire'].
Benjamin Netanyahu s'exprimant devant le Congrès des Etats-Unis dans une séance solennelle le 24 mai confirme ma crainte, avec deux lignes directrices. Il y a d'une part l'évaluation de relations internationales présentées comme immuables. C'est incontestable à l'échelle d'une trentaine d'années, avec une faible probabilité de prolongement en l'état. Il y a d'autre part un Etat israélien bien réel, voué à s'étendre, aux côtés d'un Etat palestinien virtuel dont les limites restent floues. Cette incertitude résulte d'un choix délibéré et dessert les intérêts d'Israël à moyen ou à long termes.
J'ai tenté à plusieurs reprises d'évaluer par la géographie les données du conflit israélo-palestinien, en m'en tenant à une ligne de conduite simple : Israël comme un objet d'étude propre, en laissant de côté les droits pourtant légitimes des Arabes de Palestine, ceux vivant encore sur la rive droite du Jourdain (Cisjordanie), ou ceux partis vivre en exil. Mon choix a été guidé par l'existence d'une littérature abondante, par le manque de temps et de place, et surtout par le souci scrupuleux de ne pas être soupçonné de partialité. Depuis la critique d'une tribune de Shlomo Sand dans le Monde Diplomatique, c'est-à-dire bien avant que sa thèse ne déclenche une polémique en France, je n'ai pas varié ['Comment l'historien Shlomo Sand n'a rien inventé']. Israël est un Etat démocratique, défendu par une armée moderne de citoyens-soldats, doté d'une économie ouverte et tertiarisée sur un territoire périurbanisé. La cause palestinienne est évidemment estimable, mais il n'est même pas besoin de l'invoquer pour critiquer les dirigeants israéliens. B. Netanyahu prête plus que d'autres le flanc à la critique, du fait de ses éminentes responsabilités.
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Le premier ministre se veut le héraut de la cause israélienne ? Il la fragilise au contraire par l'imprécision de ses références et le flou de ses objectifs : traduction française ou version originale. Ses zélateurs ne manquent certes pas pour l'encourager dans cette voie. Je ne suis pas autrement surpris. Au printemps 2010, l'ancien militaire s'attaquait aux puissants ('les vingt familles') qui mettaient - selon lui - en péril l'équilibre de la société israélienne ['Naissance du retrosionisme ?']. Son discours au Congrès confirme qu'il sélectionne dans l'histoire ce qui l'intéresse, et déforme le reste. Pourquoi le Liban souffre t-il aujourd'hui de mille maux (l'intéressé parle de l'emprise du Hezbollah) si ce n'est par répercussion des guerres menées par Israël à ses frontières, qui ont déplacé des milliers de réfugiés au sud du Liban et à Beyrouth ? Evoquer en outre la situation des chrétiens en Israël où la liberté religieuse est certes assurée, suscite quand même l'étonnement. Car il ne fait nullement référence à la situation générale du Proche-Orient. Au cours des quarante dernières années, la politique israélienne dans les territoires occupés et la politique américaine en Irak et en Afghanistan ont conduit à une détérioration inédite dans l'histoire du sort des chrétiens arabes : persécutions, séparation des familles, exils pour les plus chanceux.
Une longue partie de l'exposé est consacée à l'Iran, et au combat légitime des démocraties contre les dictatures islamistes. La République iranienne incarne tous les dangers : Ahmanidejad nie la Shoah et appelle à la destruction d'Israël. L'Iran possède de surcroît les moyens logistiques et militaires pour détruire des villes ou des infrastructures. En 1979, la Révolution ouvrait pourtant d'intéressantes perspectives, confie Benjamin Netanyahu. On pourrait entre parenthèses rappeler que le 'Printemps arabe' peut tout à fait se conclure par l'installation de régimes implacables. Mais avant 1979, l'Iran autocratique du Shah était l'alliée d'Israël. Et depuis, l'Arabie Saoudite dont Oussama Ben Laden a été le ressortissant, théocratie islamiste qui finance les organisations comme le Hamas n'a cessé - et ne cesse - de se ranger dans le 'camp' occidental. A Bahrein, l'armée saoudienne réprime l'agitation de l'opposition chiite (source).
La comparaison entre ce qui s'est passé dans le monde arabe en 2011 d'un côté (Tunis et Le Caire) et l'effondrement du bloc soviétique (Berlin et Prague en 1989) revient à considérer qu'un empire dominait l'Afrique du nord, le Proche et le Moyen-Orient jusqu'à ces derniers mois. Or l'empire Ottoman n'existe plus. Et l'empire Britannique pas davantage, que les combattants juifs de l'Irgoun ont combattu les armes à la main. Et si le régime égyptien était si nauséabond, pourquoi les Etats-Unis et Israël l'ont-ils choisi pour allié dans cette partie du monde, depuis les accords de Camp David en 1979 ? Le 'Printemps arabe' est bien curieusement expliqué par le premier ministre israélien. Il faut être juste, cependant. Qui a oublié l'aveuglement des diplomaties occidentales confrontées à l'effondrement des dictatures de Ben Ali et de Moubarak ? Mais si comme Benjamin Netanyahu, on s'enthousiasme du mouvement des peuples pour s'affranchir du joug qui les enserre, alors il faut admettre que les Palestiniens comme les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Syriens mettront en cause tout ce qui a prévalu avant 2011 : les régimes en place, y compris Israël. Ils réclameront les terres confisquées et/ou le dédommagement pour les expropriations passées, ils empêcheront la colonisation de Jérusalem Est, ils demanderont la levée des postes-frontières sur les pourtours de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. J'y reviendrai en conclusion.
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Benjamin Netanyahu mentionne le fait colonial européen comme un élément lointain, anecdotique et révolu ('les Belges au Congo') pour couper court à la comparaison entre l'histoire d'Israël au XXème siècle et l'histoire de la colonisation. 'En Judée et en Samarie, les Juifs ne sont pas des occupants étrangers' [Geographedumonde]. Admettons. Mais alors, qu'est-ce que le sionisme ? Le dénigrement de la vieille Europe gomme les courants migratoires ayant relié l'Europe à la Palestine avant 1945. Il fait l'économie de l'aide apportée à Israël après 1948 par les Européens de l'ouest. L'ancien général israélien a semble-t-il oublié les détails de l'opération de 1956 contre le canal de Suez. Brocarder les Européens ne déplait sans doute pas à certains membres du Congrès, par ailleurs flattés par l'allusion de l'ancien diplomate en poste à Washington aux Etats-Unis, comme phare de la liberté universelle. Mais les faits résistent aux circonlocutions : la population de 'Samarie' et 'Judée' a bien été modifiée après la fin de la guerre des Six-Jours. Plus encore qu'en Palestine occidentale - à la base du territoire d'Israël lors de sa création en 1948 - les Juifs ne réprésentaient auparavant qu'une petite minorité de la population autochtone. Ils sont majoritaires. Pour les Israéliens, cette tendance est naturelle et légitime. Pour les Palestiniens, elle résulte de l'application de la force sur le droit. Mais nier le terme de 'colonisation' ne change rien à l'affaire.
Le premier ministre israélien se veut conciliant, et défend le droit des Palestiniens à constituer un Etat. Il se félicite de la récente accalmie : après des mois de blocus intégral, une croissance à deux chiffres de l'économie palestinienne équivaut à celle qui prévaudrait en Corée du Nord en cas d'ouverture de la ligne de démarcation avec la Corée du Sud. Dont acte. Mais son approche territoriale de l'Etat palestinien futur relève de l'incantation. Et je ne relève même pas les piques contre le Hamas vainqueur d'élections reconnues comme régulières à Gaza. Benjamin Netanyahu n'indique aucune solution : ni pour Jérusalem 'qui ne peut être divisée' explique-t-il en substance, ni pour relier Gaza à la Cisjordanie, ni pour délimiter les zones désormais sous contrôle israélien sur la rive droite du Jourdain ; il réclame en effet le contrôle de la rive occidentale du fleuve. (incrustation)
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En revanche, il insiste à quatre reprises sur l'étroitesse du territoire israélien. Au sujet des 650.000 Israéliens installés au-délà des frontières de 1967, il dit qu'ils occupent des 'espaces à forte densité, mais relativement exigus ['quite small' / Traduction Geographedumonde] et doivent donc être à ce titre intégrés au territoire national : autant dire soustraits aux Palestiniens. Un peu plus loin, il décrit Israël comme 'l'un des plus petits Etats du monde', à peine 'plus grand que le Delaware et Rhode Island'. Puis il se lamente... Si les Israéliens se contentaient des frontières de 1967, la 'profondeur stratégique' de leur territoire serait de onze kilomètres. 'Y penser toujours, n'en parler jamais' (Jules Ferry, 1872) : cette phrase ressemble fort à une sorte de onzième commandement. Les Français revanchards après la catastrophe de 1870 et la perte de l'Alsace-Moselle ont créé ainsi les circonstances du premier conflit mondial, avec les meilleurs arguments du monde, un territoire injustement arraché à la France. Dans l'Entre-deux-guerres, les Allemands ont frémi à l'idée que la Rhénanie pourrait devenir française et ont succombé au même aveuglement. Après 1945, Allemands et Français se sont enfin réconciliés lorsque les craintes d'expansion territoriale des uns et des autres se sont dissipées. Benjamin Netanyahu reprend les mêmes arguments des leaders palestiniens qu'il exècre.
Israël est sous la menace permanente de bombardements : soit du fait de tirs de roquettes artisanales, soit par l'utisation d'armes plus sophistiquées à partir du sud Liban ['Un très grand fossé'] Le premier ministre rapporte à juste titre la peur quotidienne de beaucoup de ses concitoyens. Mais il ne précise pas comment un élargissement des territoires directement contrôlés par Israël améliorera la situation. Dans l'état actuel des choses, Tsahal ne parvient pas à faire taire ses ennemis ; en même temps les attentats urbains ont cessé. Je gage au contraire que les Israéliens attendent de leur premier ministre des objectifs précis : ce dernier se contente d'en appeler à la constitution d'un Etat palestinien selon des limites indéfinies. Il se montre à la fois elliptique et utopique : qui pourrait interdire aux Palestiniens de voter pour le Hamas (et qui sait si n'apparaîtra pas un parti plus radical encore ?) ? Quelle puissance entérinera-t-elle l'appropriation de Jérusalem par Israël ?
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Enfin, Benjamin Netanyahu ne se prononce pas en profondeur sur les conséquences du 'Printemps arabe'. Au Caire, les autorités de transition ont remis en cause les accords avec Israël concernant la frontière avec Gaza. La frontière est désormais ouverte (source) : rien n'empêche désormais le commerce et le transit avec l'Egypte (source). En Syrie, Bachar el-Assad réprime violemment l'opposition (source) ; Nasrallah applaudit (source), mais un écroulement du régime syrien est envisageable. En Jordanie, le roi Abdallah tergiverse face aux contestataires (source). Les monarchies du Golfe tremblent toutes sur leurs bases. Israël ne peut par conséquent compter sur aucun voisinage stable. Que décidera Benjamin Netanyahu si par exemple des Palestiniens réfugiés en Egypte cherchent à s'installer dans la bande de Gaza ? Il chercherait la guerre qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Il s'y prépare de bien curieuse façon : en dissimulant les motifs à la population, en subornant son allié américain, en désignant un ennemi lointain - l'Iran - sans s'assurer d'un voisinage immédiat stable. (Incrustation).
PS./ Geographedumonde sur Israël : Naissance du rétro-sionisme ?, Israël, Etat superflux ?, Gaza, le vent et la tempête, Un très grand fossé, Le puits sans fond, Une affaire de proportions... ?, Israël, tourne-toi et Comment l'historien Shlomo Sand n'a rien inventé...
Incrustation : Moïse recevant les tables de la loi (source) - Chagall