Katrina, désastre et leçon politique
L’Ouragan Katrina est un fait de nature, peut-être facilité par la combustion occidentale des énergies fossiles. Par contre l’inondation de plusieurs Etats américains et de la ville de La Nouvelle-Orléans provient, elle, de décisions politiques, tout comme l’incurie des services gouvernementaux pour secourir les populations abandonnées.
L’assèchement des marais avoisinants pour des opérations immobilières, le non-entretien des digues du lac Pontchartrain, le vieillissement accéléré du port de La Nouvelle-Orléans, les avertissements répétés par les experts de la probabilité d’une rupture des digues, tout ceci est le résultat d’un abandon qui ne date pas d’août 2005. La Louisiane pauvre, autrefois francophone, et noire, avait depuis longtemps un revenu moyen plus proche des pays pauvres d’Europe du sud que du reste des Etats-Unis. Ronald Reagan avait blagué cyniquement contre les démocrates : "Nos amis du gouvernement fédéral, il y a déjà quelques années, avaient déclaré la guerre contre la pauvreté et ... c’est la pauvreté qui a gagné”. De la difficulté de la tâche, il avait conclu que ce n’était pas la mission d’un gouvernement, et il avait au contraire opéré le plus grand transfert de richesse des classes pauvres ou moyennes vers les classes supérieures par la réforme fiscale -Tax Reform Act- en 1986 diminuant les impôts des plus aisés et commençant à tailler dans les budgets des services de l’Etat. De là date cette reprise, par presque toutes les droites du monde, que le moins de gouvernement, c’est le mieux, que l’argent qui va à l’Etat ferait mieux de rester dans la poche de ceux qui ont. Toute dépense sociale est présentée comme suspecte et doit être réduite au maximum. L’espace du politique, du sort collectif, de la capacité d’action de la puissance publique et de la solidarité est progressivement réduit. C’est pourquoi la FEMA - Federal Emergency Management Agency - en charge des catastrophes naturelles n’avait plus de fonds pour consolider les digues louisianaises. Rattachée au nouveau super-ministère de l’Intérieur (Homeland Security), elle a été noyée avec 20 autres agences dans cette machine mise en place pour lutter surtout contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme conçue avant tout comme une méthode d’assujettissement et d’intimidation de toute opposition politique est devenue la colonne vertébrale spectaculaire et médiatique du gouvernement des “Républicains” depuis le 11 septembre 2001. Les populations jusque dans des coins perdus sont ballottées depuis entre les niveaux d’alerte de risques d’attaques terroristes Low (vert), Guarded (bleu), Elevated (jaune), Hautes (orange) ou Severe (rouge). Cette orchestration de la peur permet un climat idéologique et une affirmation de l’ordre plus qu’un traitement méthodique des risques encourus par les populations. La sécurité des personnes, si elle n’est pas un enjeu visible de cette mise en scène, ne compte pas. Et la population des pauvres, chômeurs ou “working poors”, est invisible, marginalisée, et elle vote peu. La communication est le chantier le plus soigné de la politique gouvernementale. Pas d’images de cercueils de retour d’Iraq. Pas de contact public entre Bush et les familles en deuil. Et les médias - de plus en plus concentrés et de plus en plus complaisants- sont invités à ne pas montrer de photos de corps dans La Nouvelle-Orléans. Le gouvernement guerrier de Bush affiche donc régulièrement des prises et des coups d’éclat. Le commandant en chef est loué pour sa fermeté sans état d’âme. Rien à voir avec ces démocrates efféminés qui décrivent un monde plus complexe. Le voici donc en porte-à-faux, face à sa propre opinion. Il pourrait donc avoir des ratés. Sa belle création s’avère incapable de répondre aux défis de la nature. Il promet la sécurité et voici qu’il laisse des populations en danger de mort. Sa nouvelle organisation serait inefficiente. Et on apprend que les responsables ont été choisis en fonction d’affinités idéologiques avec le président. Leur compétences sont mises en cause par la presse qui, pour une fois, aggrave le fossé entre la population et les gouvernants. Tout un appareil d’Etat nageant dans l’impréparation. C’est Paul Krugman du New York Times et le Chicago Tribune qui déclarent qu’un bateau hôpital l’USS Bataan était au large de La Nouvelle-Orléans sans être mobilisé. Devant les images de catastrophe façon tiers-monde, la première puissance - et nous avec- reçoit une leçon de politique pleine et entière. Les “Républicains” jurent qu’ils vont étudier de près les leçons de cette débâcle. Pourquoi le feraient-ils, alors qu’ils n’ont pas voulu voir les précédentes ? Le discours a ceci d’avantageux qu’il reporte vers un futur non vérifiable le constat de l’incompétence et de l’irresponsabilité de cette équipe qui cherchera à les partager avec certaines autorités locales. Katrina, ce “11 septembre” de l’intérieur, ne permettra pas de galvaniser les foules contre un ennemi extérieur, mais contre un ennemi autrement plus dévastateur pour la population états-unienne, son gouvernement actuel. Mais à quel prix atroce !