La Syrie. Le point ce dimanche 14 juillet
Les températures torrides de l’été syrien et le début du ramadan ne sont guère propices aux grandes offensives militaires. Les opérations qui se déroulent dans le centre de Homs et dans la banlieue de Damas ne sont que des opérations de consolidation des positions après la victoire de l’AAS (Armée arabe syrienne, fidèle à Bachar al Assad) à Qousseir.
Les adversaires semblent fourbir leurs armes avant la bataille décisive qui se prépare pour l’automne.
Je vous propose une analyse de la situation actuelle suivie d’une étude prospective.
Cette analyse est vue sous un angle géopolitique qui cherche un changement de régime en Syrie pour les uns et qui tient au maintien du régime laïc actuel pour les autres.
L’aspect « droit d’ingérence humanitaire » en faveur d’un camp peut aujourd’hui être définitivement écarté tant les violences sont également partagées.
Les récents évènements dans certains pays du Machrek et en Turquie ont un lien entre eux et sont liés à une reprise en main stratégique par les États-Unis qui sera analysée dans un chapitre distinct.
Commençons par étudier la situation dans trois pays directement impliqués dans le conflit.
La Turquie.
La Turquie avait misée sur un renversement rapide de Bachar al Assad qui lui aurait permis d’étendre sa zone d’influence. Elle a autorisé l’installation de camps d’entrainement pour l’ASL (Armée syrienne libre, opposée à Bachar al Assad) sur son territoire. Le sud du pays est devenu une zone de transit pour les renforts de combattants islamistes internationaux et pour le passage d’armes, principalement envoyées pas les pétromonarchies du Golfe.
Environ 200.000 réfugiés ont fuit la guerre civile en Syrie et ont été installés dans des camps. Ces derniers sont sous la coupe de milices mafieuses et échappent au contrôle des autorités turques.
Les populations turques des zones frontalières se trouvent indirectement mêlées à un conflit qui ne les concerne pas. Les incidents avec les islamistes et avec les réfugiés deviennent de plus en plus nombreux. L’attentat dans la ville de Reyhanli (52 morts) en mai dernier en est l’exemple le plus dramatique.
L’économie locale est déstabilisée par l’afflux de Syriens prêt à accepter des salaires 50 % moins chers que les salaires perçu par les Turcs.
Un autre problème économique pour la Turquie est l’interruption du trafic routier vers le sud. L’Irak et surtout la Syrie sont devenus des zones instables et ne peuvent plus être traversés. Le fret routier emprunte maintenant des bateaux jusqu’à Haïfa (Israël) et se dirige ensuite vers l’est et vers le sud sous escorte militaire israélienne. [1] Il en est de même dans l’autre sens. Cela doit être humiliant pour les pays arabes officiellement en rupture avec Israël.
Pour ne pas prendre le risque d’avoir un deuxième front au Kurdistan, les autorités turques ont ouvert des discussions avec Abdullah Öcalan (toujours détenu sur l’ile prison d’Imrali). Un processus de paix est engagé. Il prévoit le retrait des miliciens du PKK vers l’Irak et une reconnaissance de certains droits à la minorité kurde. Cela ne plait pas à l’armée turque qui se veut garante de l’intégrité territoriale ainsi qu’à une grande partie de la population qui craint des revendications similaires d’autres minorités.
Recep Erdogan semble entamer une courbe rentrante. Les pays européens ne sont pas chauds pour se lancer dans une aventure militaire en Syrie, surtout sans mandat de l’ONU. La perspective d’une intervention de l’OTAN qu’il appelait de ses vœux il y a un an encore s’éloigne de plus en plus et la Turquie est bien seule aujourd’hui.
Il se rend aussi compte qu’en cas d’offensive de l’AAS, un reflux des miliciens islamistes de l’ASL vers la Turquie déstabilisera le Sud du pays pour une longue période.
Il a exigé le déplacement des camps d’entrainement de l’ASL vers le territoire syrien pour se soulager de la pression populaire mais je crains que ce ne soit trop tard.
Aujourd’hui, la Turquie est entourée sur trois cotés par des pays hostiles.
- A l’Ouest, par la Grèce et Chypre.
- Au Sud, par la Syrie et l’Irak.
- A l’Est par l’Iran, l’Arménie et l’entité en devenir qu’est le Kurdistan.
- Plusieurs pays européens sont aussi en froid avec la Turquie.
Cela fait beaucoup pour un pays dont le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, disait encore il y a 3 ans : « Nous voulons une politique de zéro problème avec nos voisins »
Recep Erdogan a peut-être aussi pris conscience que le redécoupage des frontières régionales planifié par le Pentagone ne sera pas favorable à son pays.
La carte ci-dessous date de 2006. Il y en a de plus récentes mais toutes prévoient un Kurdistan indépendant sur des territoires enlevés à la Turquie.
Quelques constatations.
- La Turquie est amputée de sa partie est pour créer un Kurdistan. C’est sans doute pour la punir de ne pas avoir autorisé l’invasion de l’Irak à partir de son territoire en 2003.
- L’Irak est éclaté. Un État irakien chiite se prolonge sur deux cotés du Golfe, sur les zones pétrolifères. C’était avant que l’Irak se rapproche de l’Iran et quand les États-Unis pensaient que les Chiites irakiens seraient de solides alliés.
- L’Arabie Saoudite est aussi éclatée. Les États-Unis savent très bien que le mouvement wahhabite sunnite leur est profondément hostile et qu’il est responsable de nombreux attentats dont le 9/11. Une division du pays pourrait l’éradiquer ou le cantonner dans un État autour des lieux saints de l’islam.
- La Jordanie gagne tout le pays nabatéen.
- La Syrie n’est pas éclatée mais perd sa bande côtière et sa partie Kurde.
- Assez étonnement, Israël revient sur ses frontières de 1967 et il n’y a pas d’État palestinien.
- Les petits pays sont maintenus : Koweït, RAU, Qatar etc.
Ce redécoupage est clairement fait en fonction des intérêts des États-Unis et cette mosaïque de petits États créés sur une base ethnique ou confessionnelle ne permettra aucune union future.
C’est sur ce fond trouble qu’ont éclaté les manifestations anti AKP qui ont réuni des millions de personnes dans les villes turques.
Je ne me prononce pas sur les motivations cachées de leurs organisateurs. S’agit-il de manifestations contre les abus de la réislamisation lente de la Turquie et contre les méthodes autoritaires du président, notamment sa politique syrienne ou s’agit-il d’un avertissement pour le dissuader de réduire son soutien à l’ASL ?
Le Liban.
Le Liban est aujourd’hui divisé en deux camps de nombre à-peu-près égal : le Mouvement du 14 mars qui regroupe les factions anti-syriennes et l’Alliance du 8 mars dont le noyau est le Hezbollah et qui est soutenu par l’Iran et la Syrie.
Les ports du Nord du pays ont été les portes d’entrée de milliers de combattants islamistes et de dizaines de cargos chargés de munitions pour l’ASL. Le principal pourvoyeur était le Qatar qui a financé ces transferts de combattants et d’armes.
Le Nord du pays a servi de couloir de transit et a permis la conquête du centre de la Syrie par cette armée. La ville de Qousseir (Syrie) servait de plaque tournante à la distribution des armes.
La reprise de Qousseir par l’AAS avec le soutien du Hezbollah en juin dernier a complètement désorganisé l’ASL qui s’est retrouvée sans renforts et sans ravitaillement possibles, d’où leurs difficultés actuelles dans le centre de la Syrie et à Damas.
Il semble que le Hezbollah se contente actuellement de sécuriser la région autour de Qousseir pour interdire une reprise du ravitaillement. Le gros de leurs forces est resté dans le sud du Liban, face à Israël. Il est probable que de petites unités opèrent aussi à Homs et à Damas.
La guerre civile libanaise qui a duré de 1975 à 1990 a été très dévastatrice et elle a pris fin avec les accords de Taëf. La reconstruction de Beyrouth eut lieu sous l’impulsion de Rafiq Hariri et elle a coûté des milliards de dollars en investissements privés.
Voila pourquoi je ne crois pas à une nouvelle guerre au Liban. Les dirigeants du Courant du Futur (Mouvement du 14 mars) auraient beaucoup trop à perdre dans une nouvelle destruction du Liban, surtout quand on connait la puissance militaire du Hezbollah.
L’armée libanaise est, elle, relativement faible et elle n’intervient que rarement comme force d’interposition dans le pays Quand elle le fait, comme récemment à Tripoli (Liban), c’est en subissant de lourdes pertes.
Son intervention victorieuse à Saïda contre la milice du cheikh islamiste Ahmad al-Assir n’a pas soulevé beaucoup de réactions hostiles dans la communauté sunnite libanaise. J’en conclus que l’extrémisme islamique n’a pas vraiment pris racines au Liban et qu’il devrait encore diminuer dans les mois prochains avec le recul de l’influence du Qatar et l’interruption des arrivées d’armes.
Ces éléments me font croire que le Liban est neutralisé et qu’il n’a plus aucun intérêt à s’engager dans le conflit syrien.
Les deux points plus délicats, mais dont il est impossible d’évaluer les conséquences, sont l’installation d’environ 1.000.000 de réfugiés syriens dans le pays et les recommandations que l’Arabie Saoudite ne manquera pas de donner au Courant du Futur de Saad Hariri, son obligé.
La Jordanie.
La Jordanie est peuplée d’environ 6.400.000 habitants dont 30 % de Palestiniens. Elle accueille au moins 500.000 réfugiés syriens mais leur a fermé la frontière depuis mai dernier.
Ici aussi, les milices maffieuses contrôlent les camps et les scandales se succèdent comme par exemple celui des donateurs saoudiens qui conditionnent leurs dons à la livraison de filles à épouser. [2]
Les États-Unis viennent de terminer leurs manœuvres militaires « Eager Lion » avec l’armée jordanienne et d’autres armées arabes.
Cela a permis de livrer du matériel de guerre sophistiqué aux instructeurs étasuniens qui seront chargés de former des combattants sur place. On estime ces instructeurs au nombre de 1.000.
Les États-Unis ont aussi installé des missiles Patriotes et ils ont laissé des avions F16 sur place, officiellement pour défendre leur allié jordanien contre la Syrie qui … ne l’a jamais menacée.
Le roi Abdallah II a aussi autorisé le survol de son pays par des avions militaires et des drones israéliens.
La population est hostile à ces manœuvres ainsi qu’à Israël et aux États-Unis en général.
Le roi a beau avoir affirmé que son territoire ne servira pas de base de départ pour une invasion de la Syrie, je n’y crois pas du tout.
Il n’est pas en mesure de s’opposer à la volonté des États-Unis, il ne pourra que s’incliner.
Son pouvoir repose sur le soutien des tribus bédouines qui lui fournissent ses soldats. Il peut être renversé à tout moment, c’est simplement une question de dollars.
Le seul gain que la Jordanie pourrait avoir, c’est qu’un redécoupage des frontières au Moyen-Orient qui lui serait favorable.
La Syrie.
Nous savons maintenant qu’un changement de régime avait été préparé bien avant les premières manifestations qui n’étaient pas si spontanées que cela.
Un mouvement "droit-de-l’hommiste" a lancé les premières manifestations le mardi 15 mars 2011 dans l’indifférence générale. [3] Elle réunissait, à l’appel de réseaux sociaux d’Internet, 200 personnes à Damas. Elle a été rapidement dispersée et ses dirigeants ont été arrêtés.
Elle a été suivie, le vendredi, par un appel à manifester lancé lors de l’appel à la prière.
On peut dire que ce sont bien les imams saoudiens des mosquées de banlieues et des petites villes qui ont été à l’origine des premières manifestations significatives.
Nous avons, là, les deux groupes qui ont été à l’origine de cette guerre.
Il y a des intellectuels, en petit nombre, faisant partie des 10 % de Syriens connectés à Internet et mandatés par les Occidentaux pour réclamer plus de libertés politiques.
Ensuite, il y eut des habitants de banlieues ou de petites villes, souvent d’anciens paysans, paupérisés par la crise de 2008 et par deux années de sécheresses, qui répondirent aux appels d’imams qui avaient été envoyés en mission par l’Arabie Saoudite pour réislamiser la Syrie.
Dès les premières victimes, et on ne sait pas qui est responsable des premiers tirs, les Occidentaux on exigé le départ de Bachar al Assad.
L’escalade militaire fait qu’aujourd’hui, les morts se comptent par dizaines de milliers et que les quelques manifestants du début ont été renforcé par des milliers de combattants islamistes étrangers bien armés et aguerris par des années de luttes en Tchétchénie, en Irak, en Afghanistan ou en Libye. Ils ont été longtemps opposés à une armée de miliciens faiblement entrainés et souvent abandonnés à eux-mêmes à des check-points ou dans des garnisons isolées.
Aujourd’hui, l’Armé arabe syrienne à revu sa tactique de combat. Elle recourt davantage à l’artillerie et aux frappes aériennes pour chasser les opposants, quitte à provoquer d’importants dégâts matériels.
Les opérations militaires en Syrie.
Il est évident que je traiterai le sujet sous l’angle d’une intervention extérieure, politique au début et armée ensuite.
Il y a eu des défections de soldats, surtout au début de la crise, mais pas de façon suffisamment massive pour que ce soit significatif.
La première offensive importante de l’ASL eut lieu à partir de la Turquie. Des milliers de miliciens de l’ASL prirent le contrôle des postes frontières et se dirigèrent ensuite vers Alep au début de l’été 2012. Le gouvernement syrien y envoya alors 10.000 soldats pour en assurer la défense. Une partie de la ville est depuis lors aux mains de l’ASL et les combats se poursuivent toujours aujourd’hui. Un couloir de ravitaillement est libre et il permet de garder le contact avec le centre d’Alep.
Presque simultanément, une offensive massive sur Damas commença le 15 juillet 2012. Ici, les miliciens et leurs armements venaient du Liban et avaient été généreusement offert par le Qatar. Damas était et est encore défendue par la garde républicaine, une unité d’élite de 10.000 hommes avec un armement performant et commandée par Maher al Assad, le frère du président. Après d’âpres combats, l’armée régulière finit par repousser les assaillants en février 2013. Ce fut une victoire incontestable de Bachar al Assad qui n’avait pas quitté la Capitale.
Il se déroula au même moment, au large des côtes syriennes, un chassé-croisé entre des navires de guerres russes et US qui a été peu évoqué jusqu’à présent. Des navires US cherchaient à se positionner pour pouvoir lancer des missiles de croisière et les navires russes se plaçaient pour pouvoir les intercepter. [4] Il s’agissait pour les États-Unis de détruire la défense aérienne syrienne pour permettre la maitrise aérienne de l’US Air Force et d’ainsi venir en aide à l’ASL. Il s’agissait peut-être aussi d’éliminer Bachar al Assad. Je reviendrai sur ce point dans le prochain chapitre.
Ce petit jeu se termina par le retrait des navires US.
La bataille de Qousseir est une deuxième défaite de taille pour l’ASL. Ici, les pertes matérielles et humaines ont été significatives pour l’ASL. Elle perdra inexorablement le contrôle du centre du pays sans son couloir de ravitaillement. Nous avons très peu d’image de l’offensive du côté de l’AAS. Il ne semble pas y avoir eu beaucoup d’affrontement entre combattants. Il est sûr que la tactique a changé. L’AAS expose moins ses soldats et a donc moins de pertes. Je pense que la Russie a livré de nouveaux équipements plus performants, peut-être des systèmes d’artillerie plus précis, des bombes plus dévastatrices et sans doute des systèmes électroniques d’interception et de brouillage des communications.
Les vidéos du côté ASL nous montrent des combattants désemparés qui avaient perdu tout contact avec leur commandement.
Il y a un article assez intéressant où le journaliste interroge des rescapés de l’ASL dans un hôpital libanais. [5] C’est clair, Qousseir a été un enfer pour eux. Il est à remarquer que des journalistes occidentaux on pu interviewer de nombreux combattants de l’ASL mais il leur était strictement interdit de demander leur nationalité. C’est bien un signe que la majorité d’entre eux sont étrangers et que cela ne doit pas être étalé dans nos médias.
Le commandement syrien a eu la grande intelligence de ne pas se précipiter sur Alep après la victoire de Qousseir. Une bataille décisive se prépare dans le Sud et il ne faut pas laisser des poches de résistance dans son dos dans le centre du pays.
Je pense que les discussions de dirigeants occidentaux à Sochi avec Vladimir Poutine et aussi au G8 ont surtout porté sur le vote d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle aurait dû permettre une exfiltration de combattants de l’ASL, voire de conseillers occidentaux, qui sont pris au piège dans le centre de la Syrie. Elle permettrait aussi l’installation d’un territoire contrôlé par l’ASL dans le Sud avant d’hypothétiques négociations à Genève.
Le déploiement de 10 à 15 navires de guerre russes équipés de matériel électronique et de divers types de missiles au large des côtes syriennes contrarie grandement toute menace venant de l’Ouest contre la Syrie. [6]
Les États-Unis et Arabie Saoudite.
Depuis le début des offensives de l’ASL, je ne comprenais pas la position des responsables étatsuniens. Je me suis rendu compte que Zbigniew Brzezinsky non plus. [7] Selon toutes vraisemblances, un effondrement de l’AAS amènerait les islamistes fanatiques du Front al-Nosra et de l’État islamique en Irak et au Levant à la victoire. Or, ce sont les mêmes adversaires que les États-Unis combattaient en Irak et en Afghanistan. Est-ce que Barack Obama était prêt à bombarder la Syrie pour aider ces fanatiques religieux à prendre le pouvoir dans un pays qui possède un arsenal d’armes chimiques et les vecteurs pour les transporter.
Il me manquait une pièce du puzzle et c’est le chef de la diplomatie britannique, William Hague, qui me l’a fournie quand il a dit qu’un pouvoir militaire succéderait à Bachar al Assad. Il n’est donc pas question d’élections après son départ. Simplement un coup d’État militaire qui amènerait au pouvoir des pro-occidentaux qui ouvriraient le pays à leurs entreprises et qui signeraient une paix avec Israël.
Cela fait 12 ans que des contacts entre des officiers supérieurs syriens et occidentaux ont été établis dans le cadre de la lutte antiterroriste. Les États-Unis savent certainement quels sont ceux qui sont susceptibles d’entrer dans ce jeu. On peut croire que l’Arabie Saoudite sera généreuse avec eux.
Mais pourquoi cette défaite de Qousseir met tous les stratèges occidentaux en émoi ?
Parce que cette victoire de l’AAS empêche toute nouvelle offensive à partir du Liban et elle regonfle le moral des troupes.
Une nouvelle offensive sur Damas était en préparation. Elle devait provoquer un affrontement sanglant qui aurait affaibli à la fois les islamistes et la Garde républicaine.
Un groupe de généraux aurait alors pris le pouvoir et aurait décrété un cessez-le feu et ouvert un dialogue avec les dirigeants de l’ASL et du CNS qui, rappelons-le, ne sont pas constitués d’islamistes radicaux. Ils auraient sans doute demandé ensemble que les groupes djihadistes déposent les armes et rentrent chez eux.
Une élimination physique de Bachar al Assad était sans doute aussi envisagée.
L’Arabie Saoudite serait ensuite venue avec ses capitaux pour la reconstruction du pays sur le modèle libanais.
Le nouveau scénario et les prospectives.
Cette défaite de Qousseir à provoqué, dans les jours suivants, une réunion à la Maison blanche avec Barack Obama et tous les plus hauts responsables politiques et militaires du pays. C’est dire combien cela était inattendu pour eux et combien cela contrariait leurs plans. John Kerry, qui avait dû annuler une visite en Israël, s’est ensuite directement rendu en Arabie Saoudite. Cela indique que les États-Unis vont principalement s’appuyer sur ce pays pour rétablir une pression sur Bachar al Assad.
Le Qatar aux ambitions trop démesurées et rival de l’Arabie Saoudite dans la péninsule a été prié de s’écarter. On lui reproche son soutien à l’islam politique des Frères musulmans, responsables d’un manque de prise en considération des intérêts des États-Unis dans les pays où ils sont arrivés au pouvoir. En plus, la dynastie saoudienne est farouchement opposée à un islam politique qui pourrait la renverser à terme.
Les vidéos monstrueuses des exécutions sommaires commises par des islamistes, le chaos dans leurs rangs et la défaite de Qousseir sont aussi imputés au Qatar.
Voici le nouveau scénario qui a été élaboré.
- Une nouvelle ASL, principalement formée de recrues syriennes et encadré par des officiers syriens (plus de 70 ont récemment été exfiltrés de Syrie), sera rassemblée en Jordanie. Sa formation sera assurée par les militaires étasuniens qui sont restés après les manœuvres « Eager Lion ». Elle sera équipée avec un armement sophistiqué qui lui permettra de lutter à armes égales avec l’AAS. Ses soldats recevront une solde substantielle, payée par l’Arabie Saoudite, ce qui leur évitera la tentation de déserter ou de vendre leur équipement aux islamistes.
- Cette armée pourrait être renforcée par des éléments étrangers mais sous le commandement d’officiers syriens et sous la supervision des officiers des services spéciaux des États-Unis. Les opérations seront coordonnées par le Pentagone ou la CIA.
- Sa première mission sera d’établir une tête de pont dans le sud de la Syrie, de peut-être conquérir Deraa et les aéroports de la province.
- La nouvelle ASL pourrait alors être équipée d’armes antiaériennes et même de missiles sol-sol et d’armes lourdes.
Une nouvelle offensive contre Damas semble exclue à partir de ces positions sans un appui aérien ou au moins une zone d’exclusion aérienne.
Une telle zone pourrait être imposée à partir de la Jordanie ou d’Israël mais Andreï Lavrov a déjà dit que cela peut être considéré comme un acte de guerre qui justifie une riposte.
Vu l’autorisation de survol donnée par la Jordanie à Israël, on peut s’attendre à des missions de drones israéliens contre les forces loyales syriennes dans le sud du pays.
Le principal problème consistera peut-être à réussir à mobiliser suffisamment d’hommes. De cela dépendra sans doute la réussite ou l’échec de cette opération. Les pétrodollars saoudiens seront peut-être déterminants pour solutionner ce problème.
Il faut aussi préciser que les États-Unis ne soutiendront cette offensive que s’ils croient qu’elle aboutira à un résultat.
Une comparaison avec la Campagne de Russie.
Tout en sachant que les forces en présence sont beaucoup moins nombreuses, que les combats ne sont pas de la même ampleur et que les pertes humaines sont infiniment inférieures, je trouve qu’il y a un parallèle à faire avec la campagne de Russie (1941 – 1945).
Il y a l’invasion surprise d’une force étrangère, d’abord bien accueillie par la population dans certaines régions mais ensuite rejetée pour ses méthodes brutales.
Les principales batailles sur les deux théâtres peuvent être comparées ainsi.
- La bataille de Damas a marqué un coup d’arrêt à l’offensive de l’ASL. Comme la bataille de Moscou (octobre 1941 – janvier 1942) a arrêté l’offensive allemande. Dans les deux cas, l’agresseur n’a plus été en mesure de gagner la guerre.
- La bataille de Qousseir comme la bataille de Stalingrad (terminée en février 1943) sont des défaites coûteuses pour l’ennemi. Elles sont aussi symboliques. La victoire change de camp mais elle n’est pas décisive.
- La bataille prochaine sera décisive. Elle se déclenchera sans doute à partir de la Jordanie. Elle devra être comparée à la bataille de Koursk (juillet – août 1943). Le vainqueur reprendra l’initiative. Si c’est la nouvelle ASL, les rebelles syriens peuvent espérer des négociations en position de force. Si c’est l’AAS, on peut s’attendre à la reprise du contrôle du pays par le gouvernement syrien. Pour rappel, les Allemands auraient pu percer les lignes de défense soviétiques à Koursk. Il s’en était fallu de peu.
- Le siège d’Alep et le siège de Leningrad (levé en janvier 1944) ont aussi des points communs. Point moins stratégique, position d’attente des défenseurs et ravitaillement par un couloir plus ou moins sécurisé. Les assiégeants se retireront quand la province tombera aux mains de l’AAS et que le ravitaillement ne leur arrivera plus. Je ne crois pas que les forces syriennes loyales se lanceront dans un coûteux et destructeur assaut sur une ville de 1.700.000 habitants (sans doute moins aujourd’hui).
Reprise en main de la région par les États-Unis.
La politique de soutien en deuxième ligne des États-Unis a montré ses limites au Moyen-Orient et en Afrique du nord.
Les puissances régionales ne parviennent pas à s’accorder sur des objectifs communs et c’est souvent à l’encontre des intérêts des États-Unis : que ce soit en Tunisie, en Égypte, en Libye ou même en Turquie, leur perte d’influence est évidente.
Le point commun entre ces pays est l’arrivée au pouvoir de l’islam politique représenté par les Frères musulmans et principalement soutenus par le Qatar à coup de milliards de dollars.
Les Frères musulmans sont fondamentalement antioccidentaux et veulent l’imposition de la Charia en l’introduisant petit-à-petit dans la constitution. Il est évident que ce parti est incapable de gouverner un pays de manière moderne, équilibrée et dans l’intérêt de toutes ses composantes. Il fusionne le pouvoir politique et religieux.
L’Arabie Saoudite ne veut pas de cet islam politique. Elle préfère un pouvoir politique séculier et un pouvoir religieux séparés qui s’occupe de faire respecter les lois islamiques.
Le résultat est le même pour les citoyens mais le pouvoir politique, qu’il soit dynastique, militaire ou présidentiel garde la maitrise décisionnelle des affaires non religieuse.
Les États-Unis ont choisi l’alliance avec l’Arabie Saoudite. Le Qatar ne devra plus intervenir en finançant l’islam politique.
L’Égypte est la première victime de ce choix. Mohamed Morsi a par exemple fait une erreur en soutenant des discours de soutien aux djihadistes qui échappent au contrôle des États-Unis. Si l’ASL doit être soutenue militairement, ce sera par l’armée égyptienne, ce qui n’est pas nécessairement mieux pour Bachar al Assad.
La Libye passera sans doute par une intervention pour éliminer les milices hostiles aux occidentaux, soit par l’OTAN, soit par un voisin avec le soutien de l’OTAN.
Une direction militaire est aussi envisagée en Syrie après le départ de Bachar al Assad, s’il a lieu évidement.
La Turquie devra mieux veiller aux intérêts des États-Unis sous peine de sanctions.
C’est clair, les États-Unis sont de retour dans la région.
Je tiens à terminer cet article, qui peut peut-être sembler froid et distant à beaucoup, par un message aux Syriens porteur de l’espérance de la fin prochaine de leur calvaire. Je le sais, ils sont victimes d’une intervention extérieure et nos gouvernements et leurs serviteurs en portent une lourde responsabilité.
[1] http://www.courrierinternational.com/article/2013/05/21/les-camions-arabes-passent-par-haifa
[2] Le même scandale existe dans les camps de réfugiés turcs.
http://www.eschaton.ch/website/2013/syrie-les-allies-esclavagistes-de-loccident-droit-de-lhommiste/
[3] Une chronique du début des événements en Syrie.
http://alternatives-economiques.fr/blogs/moyenorient/2011/07/09/debut-de-la-revolution-syrienne/
[4] Il s’agissait évidement d’intercepter des missiles de croisière, pas des avions pilotés.
[5] On arrive à avoir pitié d’eux. Ce ne sont que de pauvres bougres qui ont été endoctrinés.
Ecrivez "Les derniers jours de Qousseir" Le Temps. ch sur votre moteur de recherche.
[6] La quantité et la qualité des navires déployés indiquent la détermination de Vladimir Poutine à interdire toute tentative d'intervention extérieure en Syrie..
https://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&v=ULeKGnCVmfU&NR=1http://
http://fr.ria.ru/defense/20130405/198001788.html
[7] Zbigniew Brzezinsky. Auteur du « Grand Échiquier ». Rappelons qu’il ne conseillait l’intervention militaire que quand tous les autres moyens avaient échoué.
http://www.legrandsoir.info/brzezinski-sur-la-crise-syrienne-the-national-interest.html