Le mensonge est qu’aucun pays ne dit vouloir la bombe
A l’occasion de la première Journée internationale contre les essais nucléaires célébrée le 29 août, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a appelé tous les États à ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). « Nous ne saurions léguer ces problèmes aux générations futures. Chacun de nous doit s’employer à bâtir aujourd’hui un monde vivant dans de meilleures conditions de sûreté et de sécurité », a conclu le Secrétaire général de l’ONU. Le président de l’Assemblée générale de l’ONU, Ali Treki, a aussi appelé « la communauté internationale à embrasser l’idée d’étendre les zones exempts d’armes nucléaires, y compris au Moyen-Orient ». « Actuellement il y a un élan pour le désarmement, qui doit se traduire par une rapide entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires », a-t-il ajouté. Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) a été négocié à Genève entre 1994 et 1996. 44 États, qui avaient des capacités de technologie nucléaire au moment des négociations finales du Traité en 1996, sont listés dans le Traité. Parmi eux, il en manque neuf : la Chine, la Corée du Nord, l’Égypte, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran, Israël, le Pakistan et les États-Unis. En mai l’Indonésie a annoncé son intention de ratifier le TICE. 182 pays ont signé dont 153 ont ratifié le Traité et parmi eux trois États possesseurs d’armes nucléaires : la France, la Fédération de Russie, et le Royaume-Uni.
Lors de sa rencontre avec les Ambassadeurs de France, à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a fait mention d’un arc de crise qui s’étend des frontières du Pakistan aux confins du Sahel, en passant par l’Iran et le Proche-Orient. Dans une circonlocution lourde de sens, le président Sarkozy a lancé : il est des moments de l’Histoire où le sort hésite entre le meilleur et le pire. (...) Nous sommes aujourd’hui dans l’un de ces moments.
Les Occidentaux suspectent Téhéran de chercher à obtenir l’arme atomique sous couvert de programme nucléaire civil. L’Iran est-il seul à viser cet objectif ?
Dans son discours annuel, Nicolas Sarkozy a, pour cette édition 2010, fustigé à nouveau l’Iran en se montrant profondément irrité de l’appui que donnent les Russes à ce dernier pour obtenir de l’uranium enrichi à 3,5%. Pour le chef du programme nucléaire iranien, Ali Akbar Salehi, le chargement des 165 barres de combustible dans le réacteur de la centrale de Bouchehr est un succès technologique et politique pour l’Iran, et une arête en travers de la gorge de ses ennemis. Derrière cette rhétorique, la France sait fort bien que les objectifs de Mahmoud Ahmadinejad ne se limiteront pas à un combustible faiblement enrichi (3,5%).
La Russie considère que cette collaboration avec l’Iran aurait permis de préserver le régime de non-prolifération. La centrale de Bouchehr constitue le noyau du nucléaire civil iranien. « La Russie a de nouveau montré au monde entier qu’elle disposait de ressources et de technologies dignes d’un acteur-clé sur le marché énergétique mondial », déclarait à Moscou le directeur du Centre d’études de l’Iran contemporain, Radjab Safarov, cité par Ria Novosti.
Le ministère russe des Affaires étrangères déclare pour sa part, en appui à l’Iran, que la centrale de Bouchehr ne peut être utilisée à des fins militaires. Sergueï Kirienko, chef de Rosatom, se montre rassurant en soulignant que la possibilité d’une utilisation non pacifique de la centrale de Bouchehr n’existe tout simplement pas et n’a jamais existé. Moscou explique que, pendant toute la durée d’exploitation du site, le combustible sera obligatoirement restitué après irradiation. Le processus sera contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ce qui devrait exclure un détournement du combustible nucléaire à des fins autres que civiles.
Officiellement, le réacteur prendra un mois et demi pour atteindre 50% de sa puissance, permettant son raccordement au réseau national d’électricité, et six à sept mois pour que la centrale fournisse sa puissance maximale de 1.000 mégawatts. Mais, prévient le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Ramin Mehmanparast, Israël sera rayé de la carte si un quelconque raid préventif est lancé sur cette centrale. « Toute agression contre la centrale recevra une riposte sérieuse de la part de l’Iran ».
Comme le rappelle Ria Novosti : « la construction de la centrale de Bouchehr a été entamée par l’Allemagne en 1975. Les Allemands ont toutefois renoncé à poursuivre les travaux après la révolution iranienne de 1979, la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran, ainsi que l’embargo américain sur la livraison des hautes technologies à l’Iran. En 1995, la Russie et l’Iran ont signé un contrat d’un milliard de dollars portant sur l’achèvement des travaux de construction. Moscou a également promis de livrer un réacteur VVER-1000, de l’alimenter en combustible nucléaire et de former des spécialistes iraniens. Le montant du contrat sur la livraison du réacteur VVER-1000 s’est chiffré à 850 millions de dollars ». Il revient à Moscou d’avoir obtenu de l’ONU que la centrale de Bouchehr échappe à l’embargo international contre tout transfert d’équipements ou technologies nucléaires vers l’Iran.
Washington manœuvre avec beaucoup de circonspection. Placé devant un fait accompli, le Département d’État américain se veut lui aussi rassurant : « La mise en marche de la centrale nucléaire de Bouchehr en Iran ne présente aucun danger et qu’elle ne peut pas être utilisée à des fins militaires ». Le communiqué précise, comme l’avait fait Moscou, « que les activités de cette centrale sont soumises au contrôle de l’Agence Internationale à l’Énergie Atomique ».
Depuis 2006, l’Iran est sous le coup de sanctions internationales après plusieurs condamnations de son programme nucléaire par le Conseil de sécurité de l’ONU. Cela n’a nullement freiné son président, Mahmoud Ahmadinejad. Téhéran entend parvenir à enrichir lui-même l’uranium à 20%, histoire de prouver au monde que son pays peut produire la bombe atomique. Ce qui dépasse nettement le rôle prétendu de la centrale nucléaire de Bouchehr. Pour parvenir à cette fin, Téhéran a proposé à la Moscou de créer un consortium sous licence russe. Ce qui pourrait permettre à l’état iranien d’effectuer une partie du travail d’enrichissement en Iran, et l’autre partie en Russie.
Ces bonnes paroles ne rassurent pas pour autant le Koweït. La centrale de Bouchehr, en bord de mer, se trouve à quelque 300 km des côtes koweïtiennes. Devant l’inquiétude grandissante de l’émirat sur de possibles fuites nucléaires qui atteindraient le pays, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Ramin Mehmanparast a tenu à rassurer les parlementaires koweïtiens en réaffirmant que la centrale respectait des niveaux élevés de protection approuvés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Pour Israël, l’obtention de l’arme nucléaire par l’Iran fera que la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Égypte s’armeront également et cela aura des répercussions dans le monde entier.
En effet, il semble bien que la course à l’utilisation du nucléaire ne s’arrête pas aux portes de l’Iran. Le chef spirituel du Hezbollah, Hassan Nasrallah, considère que le Liban doit s’engager également dans la voie du nucléaire : « Le gouvernement libanais doit construire une centrale nucléaire pour régler le problème des sévères pénuries en électricité dans le pays ». Selon Hassan Nasrallah, la centrale de Bouchehr, qui assurera une grande partie des besoins énergétiques de l’Iran, a coûté moins que ce que le Liban a dépensé pour produire son électricité. Hassan Nasrallah voit même dans l’installation d’une telle installation un avantage financier pour le Liban : « Nous pouvons avoir des centrales nucléaires qui non seulement assureront de l’énergie à l’ensemble du Liban, mais nous permettra également d’en vendre à la Syrie, à Chypre, à la Turquie, à la Jordanie et d’autres pays ». Avec un déficit qui constitue 3% du Produit intérieur brut (PIB), l’électricité représente un gouffre financier pour le gouvernement qui vient d’adopter un projet de réforme de six milliards de dollars pour redresser ce secteur.
Une rumeur avait circulé, en février 2010, sur un projet d’Israël et de la Jordanie de se doter d’une centrale nucléaire commune pour produire de l’électricité. Selon une dépêche de l’agence JSSNews, Israël avait l’intention de demander officiellement à la France de construire une centrale nucléaire civile pour fournir l’État Hébreu et la Jordanie en électricité. Le ministre Jean-Louis Borloo s’était montré très intéressé par ce projet. Quelques heures plus tard, la même agence, JSSNews, annonçait que la Jordanie aurait renoncé au projet, en raison du fait que cette coopération priverait la Jordanie de son indépendance nucléaire. En juin 2010, soit quelques mois plus tard, The Wall Street Journal annonce que le Royaume Hachémite de Jordanie négocie avec les États-Unis un accord de transfert de technologies. Washington poserait comme condition que la Jordanie renonce à produire son combustible.
La Jordanie n’échappe pas à la nécessité de réduire sa dépendance au pétrole. La solution passe donc par le nucléaire civil. C’est en 2009 que la Commission jordanienne de l’énergie atomique avait annoncé le lancement d’une étude de faisabilité sur un site devant accueillir la première centrale nucléaire du royaume. L’un de ses atouts réside dans ses importantes réserves d’uranium. Dans ses cartons, elle envisage donc d’installer sur son territoire une première centrale d’une capacité initiale de 750 à 1.100 MWe qui devrait pourrait être en opération en 2015. La Jordanie prévoit d’investir 872 millions de dollars (environ 640 millions d’euros) pour la production d’énergie et 386 millions de dollars (environ 283 millions d’euros) dans la transmission d’électricité d’ici à 2014. A terme, au cours des 20 prochaines années, le Royaume vise l’ouverture de 4 centrales. Depuis, la Jordanie a signé des accords de coopération nucléaire avec plusieurs pays dont la France, la Russie, la Chine et l’Argentine. La Corée, le Canada, la France et les États-Unis suivent aussi de près ces projets de la Jordanie. La première centrale nucléaire pourrait être érigée très près du port d’Eilat sur une zone de faille sismique. Ce qui indispose Israël. S’agissant de la France, un accord minier entre le gouvernement jordanien et le groupe nucléaire français Areva avait été signé en février dernier dans le cadre de la visite du Premier ministre français, François Fillon. Cet accord, qui s’élèverait à 600 millions d’euros, visait l’exploitation des gisements d’uranium dans le centre de la Jordanie.
L’Égypte vient d’officialiser le choix du site d’Al-Dabaa, sur la côte méditerranéenne, pour la construction de sa première centrale nucléaire, un projet destiné à répondre à des besoins énergétiques dictés par une forte croissance économique et démographique. Le président Hosni Moubarak a décidé qu’Al-Dabaa serait l’emplacement de la première centrale électrique fonctionnant à l’énergie nucléaire en Égypte. Le coût d’une telle centrale à quatre milliards de dollars (3,1 milliards d’euros). La future centrale devrait produire 1.000 mégawatts à partir de 2018 ou 2019. Le site d’Al-Dabaa situé à l’ouest d’Alexandrie avait déjà été choisi pour une centrale nucléaire dès le début des années 1980. Il fut abandonné après la tragédie de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986. Comme l’indique RFI, la consommation égyptienne d’électricité augmente de 13% par an. A ce train, les stations thermiques consommeront toutes les réserves de gaz égyptien en vingt ans.
Cité par l’agence de presse officielle Suna, Mohamed Ahmed Hassan al Taeb du Soudan a affirmé que son pays planifiait le projet d’une centrale nucléaire d’ici à 2020, en coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Selon le quotidien Le Monde, du côté du bureau de presse de l’AIEA, la prudence reste de rigueur. Le Soudan a reçu une équipe de l’AIEA le lundi 23 août. Il existe bel et bien un programme destiné à aider le Soudan à déterminer son meilleur mix énergétique à horizon 2030, incluant le potentiel de l’énergie nucléaire pour l’électricité. Mais la date de 2020 laisse l’agence sceptique.
Le mensonge est qu’aucun pays ne dit vouloir la bombe. La vérité est qu’une réelle compétition a commencé. Une dizaine de pays du monde arabo-musulman s’intéressent beaucoup au nucléaire civil. Le motif en est leurs besoins énergiques. D’autres pays comme la Corée du Nord et le Soudain invoquent les mêmes motifs pour se doter du nucléaire civil. La Corée du Nord aurait même donné assistance à la Syrie. L’Afrique du Sud possède également le nucléaire. Qui contrôlera, une fois acquis ce nucléaire civil, les dérapages et les détournements ?
Comme le rappelle Le Post, lors de la dernière Conférence générale annuelle de l’AIEA en septembre 2009, une résolution adoptée avec difficulté demandait à Israël de rejoindre le TNP et de placer ainsi toutes ses installations nucléaires sous la supervision de l’AIEA dans le cadre des mesures de sauvegarde. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui refuse de connaître qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire, n’a pas cru nécessaire de rencontrer le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Yukiya Amano, qui était en visite en Palestine. Amano avait annoncé en juillet qu’il allait entrer personnellement en contact avec les autorités israéliennes afin de les persuader de signer le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).
Le ministre des Infrastructures nationales, Ouzi Landau avait pourtant, en mars 2010, déclaré qu’Israël souhaitait faire partie du cercle des États produisant de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire. Le ministre Landau s’était même engagé, au nom de son pays, à ce que cette centrale soit soumise à un contrôle international.